Vieillir

L’arrivée à la retraite des générations issues du baby-boom annonce un changement démographique majeur. Conjugué au fait que la population canadienne vit plus longtemps (le nombre de centenaires devrait tripler et passer à 14 000 d’ici 2031) et que les Canadiens ont de moins en moins d’enfants, ce phénomène se solde par un vieillissement général de la population et suscite de nombreuses préoccupations. Des chercheurs issus de diverses disciplines s’interrogent sur les caractéristiques qui permettent à certaines personnes de mieux vieillir que d’autres, et sur les interventions à déployer pour améliorer la qualité de vie des personnes âgées dont la mobilité est réduite ou qui présentent des troubles cognitifs et d’autres maux liés au vieillissement. Les articles de ce numéro font le point sur les nombreuses recherches consacrées au vieillissement à l’Université McGill et dans ses hôpitaux.

En septembre 2009, Tanja Taivassalo est allée en Finlande voir son père, âgé de 70 ans, courir le marathon des Championnats mondiaux d’athlétisme. Keijo Taivassalo s’est classé quatrième dans son groupe d’âge. Mais c’est Olga Kotelko, une femme de stature délicate, alors âgée de 90 ans, qui a retenu l’attention de tous en établissant huit records mondiaux au cours des championnats, lesquels s’ajoutent aux 30 records mondiaux d’athlétisme qu’elle détient déjà. (Et comme si cela ne suffisait pas, sachez que cette résidante de Vancouver Ouest, en Colombie- Britannique, a amorcé sa carrière d’athlète à l’âge de 77 ans.)

Tanja Taivassalo est professeure agrégée au Département de kinésiologie et d’éducation physique de McGill. Habituellement, ses sujets sont des individus jeunes; cette dernière étudie les maladies génétiques mitochondriales qui occasionnent des faiblesses neuro-musculaires au point que faire le tour du pâté de maisons cause autant de fatigue qu’un sprint de 800 mètres. Il n’existe aucun traitement pour ce type de maladie qui affecte une personne sur 8 500, mais la chercheuse se demande si Olga ne détiendrait pas la clé de leur mystère. « Il ne fait aucun doute qu’Olga est exceptionnelle. Nous tentons de comprendre si cela tient à son patrimoine génétique ou à la manière dont elle s’entraîne. S’agit-il d’un phénomène inné ou acquis? »

Pour répondre à cette question, Tanja Taivassalo a invité Olga Kotelko dans son laboratoire de l’Institut thoracique de Montréal en mars 2010. Les chercheurs de McGill ont évalué la capacité aérobique d’Olga pendant l’effort et découvert que sa consommation d’oxygène était conforme à ce à quoi l’on pourrait s’attendre d’un athlète d’endurance nonagénaire (c’est-à-dire très bonne – et équivalente à celle d’une personne sédentaire de 80 ans). Par contre, ses fibres musculaires semblent tout à fait exceptionnelles et lui permettent d’exceller dans les sports énergétiques.

Russell Hepple, professeur agrégé au Département de kinésiologie et d’éducation physique et au Département de médecine (Division des soins intensifs), poursuit l’analyse de l’échantillon de fibres musculaires prélevé sur Olga par biopsie lors de sa visite. Contrairement aux autres chercheurs, le professeur Hepple ne pense pas que le vieillissement occasionne une perte des fibres musculaires de type 2 (fibres responsables de la puissance et de la force musculaire, par opposition aux fibres de type 1 qui sont celles de l’endurance aérobique). Et Olga Kotelko pourrait bien lui donner raison « parce qu’après tout, c’est une athlète qui pratique des sports nécessitant beaucoup de force ». Avec l’âge, nous perdons les neurones qui activent les fibres musculaires, de même que les terminaux nerveux liés aux muscles. L’équipe de Russell Hepple possède de nouvelles données, en cours d’évaluation, qui indiquent que pratiquement tous les cas d’atrophie musculaire liée au vieillissement se produisent dans les fibres musculaires dénervées. « Il s’agit d’une découverte capitale, explique- t-il, car cela signifie que si nous parvenons à comprendre la mort neuronale, nous pourrons alors prévenir l’essentiel de l’atrophie musculaire. Je cherche à savoir si Olga est protégée de ce type de mort neuronale – et l’étude de la taille et de la forme de ses fibres musculaires me laisse penser que c’est effectivement le cas. Si cela est vrai, reste maintenant à savoir pourquoi. » (Et il ajoute que ce type de protection pourrait aussi expliquer la vivacité d’esprit d’Olga : « Voilà qui cloue le bec à ceux qui doutent de l’intelligence des sportifs. »)

Russell Hepple et Tanja Taivassalo souhaitent réinviter Olga Kotelko à McGill pour une nouvelle batterie de tests, mais personne sans doute ne souhaite autant percer le secret d’Olga que la principale intéressée. « J’ai la même énergie qu’à 50 ans, a-t-elle déclaré au New York Times Magazine. Plus même. D’où me vient-elle? Honnêtement, je n’en sais rien. C’est un mystère pour moi aussi. »

Ces travaux sont subventionnés par le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada et les Instituts de recherche en santé du Canada.