Plan vert

En cartographiant la perte de biodiversité dans la région de la Montérégie, des chercheurs de l’Université McGill aident les planificateurs municipaux à éviter de perturber davantage les écosystèmes de la ceinture verte de Montréal.
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Katriina O’Kane, étudiante à McGill, mesure le diamètre d’un arbre pour ensuite calculer le stockage de carbone. Photo: Alex Tran

Par Meaghan Thurston

En cartographiant la perte de biodiversité dans la région de la Montérégie, des chercheurs de l’Université McGill aident les planificateurs municipaux à éviter de perturber davantage les écosystèmes de la ceinture verte de Montréal.

Une vue aérienne de la région de la Montérégie, au Québec, révèle une foule de zones boisées coupées par des routes, des terres agricoles et des secteurs fortement résidentiels. Ces « îlots de verdure » qui parsèment ce secteur constituent l’une des sources les plus riches de ce que les chercheurs appellent « écoservices ». Ces services comprennent, entre autres, la production de sirop d’érable et de fruits, des habitats pour la pollinisation par les abeilles sauvages, ainsi que la séquestration du carbone et des espaces pour diverses activités récréatives.

Cependant, le fait que les îlots de verdure sont rares et non reliés entre eux soulève des préoccupations et peut représenter un enjeu sérieux pour la biodiversité de la région, laquelle n’a pas toujours eu l’aspect qu’elle connaît aujourd’hui; le nombre de ces « îlots de verdure » et leur nature ont changé au cours des années en raison de l’activité humaine, comme l’agriculture et la croissance urbaine.

Alors qu’elle était étudiante à la maîtrise à McGill, Martine Larouche a réalisé une étude du paysage de la région et découvert que le déboisement graduel causé par l’expansion des terres agricoles depuis plus de 140 ans a entraîné la perte de 36 pour cent de la forêt, et que 67 pour cent des parcelles forestières sont devenues isolées au fil du temps. Cette isolation a donné lieu à des habitats fragmentés – des cours d’eau non reliés et des zones boisées isolées – pour les espèces qui y vivent, menaçant leur survie.

La doctorante Dorothy Maguire recueille des insectes dans les feuillages. / Photo: Alex Tran
La doctorante Dorothy Maguire recueille des insectes dans les feuillages. / Photo: Alex Tran

La Montérégie est maintenant la région la plus peuplée du Québec à l’extérieur de Montréal; elle comprend des villes et des banlieues de plus en plus denses sur la rive sud du fleuve Saint-Laurent, juste en face de Montréal, ainsi que des localités rurales et des terres agricoles qui s’étendent jusqu’à la frontière américaine. Les municipalités sont de plus en plus soumises à des pressions en faveur de la construction de routes et d’ensembles résidentiels, ce qui menace encore plus la biodiversité et les écoservices si convoités par les citadins. Toutefois, on sait étonnamment peu de choses sur la façon de gérer ces habitats de manière à préserver ces nombreux écoservices.

Les études de Martine Larouche s’inscrivent dans le cadre du projet de recherche Connexion Montérégie, mené par Elena Bennett, de l’École d’environnement et du Département des sciences des ressources naturelles de l’Université McGill, Martin Lechowicz et Andrew Gonzalez, du Département de biologie de l’Université McGill, et Jeanine Rhemtulla, anciennement du Département de géographie de l’Université McGill (maintenant à l’Université de la Colombie-Britannique). Ces chercheurs ont consacré les cinq dernières années à la recherche de liens entre les écoservices, la biodiversité et l’utilisation des terres.

« Si nous parvenons à gérer notre mosaïque d’habitats et de forêts pour en assurer la connectivité, nous réduirons non seulement le taux de perte de la biodiversité, mais nous profiterons davantage des services (par exemple : cultures agricoles, contrôle des parasites et décomposition) », explique Andrew Gonzalez.

Le professeur Gonzalez élabore des modèles mathématiques afin d’expliquer la fonction du paysage et le rôle que joue la biodiversité pour soutenir les écoservices. Bien que le chercheur soutienne qu’il n’existe pas de modèle parfait en matière de gestion des paysages, il ne fait aucun doute qu’il est important d’inclure divers types de forêt fragmentée dans les paysages agricoles.

« La connectivité, à mon avis, est le but fondamental de ce projet afin de démontrer son importance dans le monde réel, et pas seulement sous forme de modèle mathématique. »

Carly Ziter, étudiante aux cycles supérieurs, et Claudia Atomei et Katriina O’Kane, étudiantes au premier cycle, se déplacent sur le terrain pour évaluer le stockage de carbone et la biodiversité. / Photo: Alex Tran
Carly Ziter, étudiante aux cycles supérieurs, et Claudia Atomei et Katriina O’Kane, étudiantes au premier cycle, se déplacent sur le terrain pour évaluer le stockage de carbone et la biodiversité. / Photo: Alex Tran

Dans un paysage fragmenté, les espèces seront confrontées à des problèmes très réels pour se déplacer sur la terre et sur l’eau, une difficulté aggravée par les fluctuations des climats. « En raison des changements climatiques, certaines espèces vivant dans le Sud se déplacent vers le Nord, et d’autres descendent du Nord vers des régions plus au Sud. Un oiseau peut voler au-dessus de la ville – s’il peut éviter les gratte-ciel – mais une grenouille a besoin de sentiers », fait remarquer Martin Lechowicz.

Lorsque des forêts sont reliées, non seulement la biodiversité d’un secteur est conservée, mais on augmente les possibilités d’améliorer l’utilisation multifonctionnelle des paysages agricoles. Dans l’une des premières études empiriques sur les effets de la fragmentation des forêts quant à l’offre simultanée de multiples écoservices, Matthew Mitchell, récent diplômé au doctorat de McGill , ainsi qu’Elena Bennett et Andrew Gonzalez, ont observé que les champs cultivés adjacents à des lisières de forêt peuvent profiter de la présence d’insectes prédateurs (comme les coccinelles) qui luttent contre les pucerons nuisibles connus pour réduire le rendement des récoltes.

Dans une autre étude réalisée par Kyle Martins, dont la maîtrise était codirigée par Andrew Gonzalez et Martin Lechowicz, on a démontré qu’en préservant des parcelles de pré et de forêt adjacentes aux vergers, les producteurs pouvaient compter sur les abeilles sauvages pour la pollinisation. Étant donné que les populations d’abeilles domestiques continuent de diminuer au Québec et en Ontario, cette option de gestion du paysage pour maintenir la connectivité entre les différents écosystèmes prend une nouvelle signification pour les producteurs agricoles.

Établir des liens avec la collectivité

Grâce aux liens de longue date établis par Martin Lechowicz dans la région (il a occupé le poste de directeur de la Réserve naturelle Gault de l’Université McGill de 1995 à 2011, une propriété privée léguée à l’Université en 1958 à condition qu’elle en préserve le paysage forestier), les chercheurs de McGill, en collaboration avec les dirigeants municipaux et autres parties prenantes, ont élaboré des scénarios quant aux perspectives d’avenir de la région, afin de faire avancer le dialogue sur la durabilité de la Montérégie [voir texte ci-dessous].

En octobre 2014, Elena Bennett et son équipe ont rencontré les membres d’un conseil consultatif municipal et provincial afin de présenter des scénarios inspirés des préoccupations des parties prenantes concernant l’avenir de la région et de ses écoservices. Ces « trajectoires écologiques » fournissent aux membres de la collectivité des exemples concrets des effets à long terme occasionnés par les modifications du paysage et le développement.

Kees Vanderheyden, directeur du Centre de la Nature du mont Saint- Hilaire, un des nombreux partenaires du projet, considère ces scénarios comme des outils susceptibles d’amorcer une discussion sur ces questions urgentes : quelle sera l’incidence à long terme sur l’écosystème si nous envisageons la construction d’une autoroute ou d’un pont de banlieue dans une municipalité en particulier? « Il est difficile d’expliquer les choses lorsqu’elles se situent loin dans le temps, explique-t-il. Nous devons mettre au grand jour ces problèmes écologiques et en faire une question personnelle. »

Elena Bennett ajoute que l’engagement des partenaires relativement à ces scénarios et à leur participation fait « chaud au cœur ». « [Lors de cette rencontre,] j’ai parcouru la salle des yeux et les auditeurs étaient littéralement tenus en haleine. Ils se questionnaient eux-mêmes et entre eux sur ce qu’ils souhaitaient pour l’avenir de leur région et sur le message qu’ils désiraient envoyer afin d’atteindre ce but. »

Les dirigeants municipaux ont une bonne raison de réfléchir sérieusement aux mesures à adopter. Une récente loi provinciale exige que toutes les municipalités mettent à jour leur plan d’aménagement des paysages et de l’environnement naturel d’ici les cinq prochaines années.

Selon Bernard Morel, directeur du Service de l’aménagement du territoire et de l’environnement à la municipalité de Mont-Saint-Hilaire, la collectivité est préoccupée par la protection de la biodiversité dans la région, y compris des zones boisées. « Les chercheurs ont sensibilisé la collectivité aux données scientifiques qui expliquent la nécessité de préserver et de relier les zones boisées, mentionne-t-il. Les collectivités ont été en mesure, grâce aux connaissances qu’elles avaient acquises, de changer leur approche, ce qui nous a permis de commencer à mettre en place des plans pour réaliser le scénario que nous privilégions. »

Le projet Connexion Montérégie est financé par le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada, Ouranos et la Fondation Max Bell.

Choisir l’avenir : quatre scénarios pour l’aménagement du paysage

À partir de leur consultation auprès de dirigeants municipaux de la Montérégie et d’autres parties prenantes, les chercheurs de McGill ont élaboré ces quatre scénarios qui pourraient se révéler utiles, à l’avenir, pour l’utilisation des terres dans la région :

Développement périurbain : Une croissance démographique importante mène à la construction de quatre nouveaux quartiers résidentiels. Un nouveau pont est construit dans l’est de l’ile de Montreal en 2030, accentuant la croissance résidentielle dans les villes situées dans le nord de la Montérégie. L’étalement urbain exige davantage de déforestation et une diminution de l’activité agricole dans certaines régions. L’agrotourisme est menacé.

Demande d’énergie : Afin d’atténuer la hausse du coût de l’énergie, on exploite le gaz de schiste, on installe des éoliennes, on explore diverses options pour la production d’hydroélectricité; les forêts sont dépouillées de leur bois dans les secteurs nord. Un canal partiel est installé sur la rivière Richelieu pour arrêter la montée du niveau de l’eau. L’emploi est à la hausse, tout comme les taxes. La production agricole diminue et les changements climatiques s’accentuent.

Crise du système entier : L’augmentation de la dette des ménages fait diminuer le prix de l’immobilier. Une population vieillissante entraîne une demande accrue de services et limite les occasions d’emploi. Les maisons unifamiliales sont converties en appartements en copropriété. L’invasion du longicorne asiatique décime la population d’érables à sucre. Les terres déboisées sont converties en terres agricoles ou laissées en jachère. L’agriculture intensive est utilisée pour l’exportation. L’investissement en matière de transport électrique (tramways) est presque inexistant.

Développement écologique : Un virage politique s’effectue en faveur du développement durable. Les ressources renouvelables comme l’énergie éolienne et solaire sont privilégiées, à l’instar des investissements en matière de pistes cyclables et de tramways écologiques. L’emploi est à la hausse. La reforestation des terres agricoles dans le Nord permet de fournir des produits de l’érable, des espaces récréatifs et des récoltes de champignons. Soixante-dix pour cent du territoire sont protégés contre le développement d’ici 2035. Enfin, toute initiative de développement est axée sur le partage des ressources.