Vent de démocratie

Entretien avec le très honorable Joe Clark

par James Martin

 Joe Clark jette un coup d’œil à la liste de candidats aux élections qui ont eu lieu en 2006 en République démocratique du Congo
Joe Clark jette un coup d’œil à la liste de candidats aux élections qui ont eu lieu en 2006 en République démocratique du Congo

La solide amitié que Joe Clark porte aux peuples d’Afrique remonte à sa première visite au Cameroun en 1979 avant de se rendre en Zambie, au Sommet des chefs de gouvernement des pays du Commonwealth, à l’époque où il était premier ministre du Canada. En 1984, il est le premier homme politique et secrétaire d’État aux Affaires étrangères d’un pays industrialisé à se rendre en Éthiopie, où la famine fait rage. Son soutien indéfectible à l’égard des sanctions économiques a permis au Canada de se démarquer dans la lutte contre l’apartheid. Aujourd’hui, Joe Clark est professeur praticien en partenariats public-privé au Centre d’études sur les régions en développement (CERD) de l’Université McGill et il continue d’embrasser la cause de l’Afrique et de son développement.

Vous avez récemment participé à une mission d’observation des élections qui ont eu lieu au Cameroun, en République démocratique du Congo (RDC) et au Nigeria. Du point de vue du CERD, la gouvernance a-t-elle préséance sur la pauvreté ?

Ces objectifs sont indissociables. Le jour où les résultats des élections en RDC ont été annoncés, Radio-Canada m’a demandé si je ne pensais pas qu’il aurait mieux valu consacrer l’argent que les Nations Unies avaient investi dans le déroulement de ces élections à la lutte contre la pauvreté. Il est impossible de combattre la pauvreté lorsque la guerre fait rage. Pour un règlement durable des conflits, il faut mettre en place des institutions acceptées par la collectivité.

Évidemment, si ces institutions ne servent qu’à enrichir les puissants, tout cela est contre-productif. Mais la plupart du temps, l’élimination de la pauvreté devient une véritable priorité politique. Tenter d’apporter une solution aux problèmes de pauvreté dans un contexte de violence ne fait qu’entretenir la pauvreté. De même qu’il est inutile de mettre en place un système électoral si la société ne s’attache pas à résoudre les problèmes réels. Il nous appartient de veiller à ce que les actions que nous menons au nom de la gouvernance donnent des résultats.

Quelles mesures peut-on prendre pour y parvenir ?

l est très important de tenir compte des modèles indigènes. Le CERD collabore notamment avec Howard Wolpe, qui dirige le Programme africain du Woodrow Wilson International Center for Scholars. Son postulat est que les modèles occidentaux reposent trop sur le conflit d’intérêts, alors que la société africaine est beaucoup plus coopérative. Cela fait partie des questions que nous souhaitons étudier dans le cadre d’une conférence que nous tiendrons à la mi-mars.

Lorsque j’étais en RDC, j’ai travaillé avec l’abbé Apollinaire Malu Malu, un militant de la société civile et une personnalité remarquable qui a présidé la Commission électorale de la RDC. Durant le semestre automnal de 2008, il viendra à McGill à titre de chercheur invité et s’attachera à créer un réseau avec divers organismes (dont l’ACDI et Élections Québec) et des ONG. Il prononcera des conférences publiques et des allocutions devant des groupes étudiants. Mais son principal objectif consistera à rédiger ses mémoires sur la gestion des élections en RDC.

Pourquoi est-il si important que l’abbé Malu Malu rende compte de son expérience ?

Les élections au Congo ont été les plus pacifiques qu’il m’ait été donné de voir. Cela faisait 40 ans qu’il n’y avait pas eu d’élection dans ce pays qui vient de sortir d’un conflit fratricide ayant coûté le plus de vies depuis la Deuxième Guerre mondiale. Et pourtant, les Congolais ont gagné leur pari. Il y a malheureusement eu des incidents et des morts (pas autant qu’on ne le craignait, bien qu’il convienne naturellement de le déplorer), mais le système a très bien fonctionné. Ce dernier ayant été conçu par un gouvernement de transition ne comptant aucun membre précédemment en exercice, la loi électorale a été élaborée dans le seul objectif de conduire des élections équitables. Le gouvernement de transition a été soigneusement constitué et ses membres ont été choisis parmi les chefs de guerre des milices et des factions politiques qui s’étaient entretuées. Son succès est également attribuable aux extraordinaires compétences de l’abbé Malu Malu. Les mémoires qu’il écrira à ce sujet seront importantes du point de vue de l’histoire et de la gouvernance, car même si la RDC a bel et bien organisé des élections, elle n’est pas encore devenue un État à part entière. Ce sera aussi un modèle utile pour les autres pays en développement.

En 1960, Harold Macmillan, alors premier ministre du Royaume-Uni, a parlé du vent de changement qui soufflait sur l’Afrique. Peut-être pensait-il que ce vent soufflerait plus vite. Une chose est sûre cependant, des changements extraordinairement positifs ont eu lieu, dont les décisions politiques époustouflantes prises en RDC.


Le CERD reçoit le soutien de McGill et de l’ACDI.