Par Chris Atack
Nous connaissons tous cet adage, mais qu’en est-il du véritable rôle de la nutrition dans la santé? Des chercheurs de l’École de diététique et de nutrition humaine étudient les communautés du Québec, des villes des Premières nations sur les rives de la Baie-James aux patients cancéreux des hôpitaux de Montréal, pour mieux comprendre comment nos choix alimentaires préviennent certaines maladies.
Il existe dans notre esprit un lien inextricable, et pourtant assez flou, entre santé et alimentation. Nourrir le rhume. Affamer la fièvre. Sans parler de la pomme mythique qui permet d’éloigner le médecin. Mais ces adages ont-ils le moindre fondement scientifique? Des chercheurs de l’École de diététique et de nutrition humaine (ÉDNH) de McGill, fondée en 1908, ont décidé d’étudier le lien entre santé et alimentation.
« Il ne fait aucun doute qu’une bonne alimentation empêche l’apparition de certaines maladies », déclare Kristine Koski, directrice de l’ÉDNH. « Certains aliments peuvent nous protéger contre la maladie, alors que les carences ou excès d’autres nutriments peuvent déclencher des phénomènes pathologiques. » Les chercheurs de l’ÉDNH étu-dient les effets de l’alimentation sur diverses populations pour approfondir leurs connaissances sur le lien complexe entre nutrition, maladie et santé, et relayer ces connaissances dans les communautés afin d’aider les habitants du Québec et du Nunavut à atteindre l’équilibre nutritionnel nécessaire au maintien d’une bonne santé.
L’obésité, le manque d’exercice et un régime alimentaire riche en matières grasses sont réputés être les principales causes du diabète de type 2, lequel prend des proportions épidémiques au sein des communautés cries du Nord québécois. En 2002, 15 pour cent de la population crie de la Baie-James souffrait de diabète, soit trois fois plus que les données enregistrées dans les régions plus au sud de la province. Si le diabète n’a pas encore atteint les mêmes proportions au Nunavut, les communautés inuites souhaitent néanmoins déployer des efforts de prévention avant qu’il ne soit trop tard.
Ces collectivités nordiques sont isolées et de petite taille; la plus grande compte environ 4 000 résidants et le village voisin le plus près est situé à 100 kilomètres et n’est accessible que par une route partiellement goudronnée. Compte tenu des coûts de transport élevés et de la courte durée de conservation des produits frais, les glucides raffinés y sont meilleur marché que les fruits et les légumes. Au Nunavut, le budget consacré à l’alimentation est encore plus prohibitif, puisqu’il faut généralement compter 300 dollars par semaine pour nourrir une famille de quatre, soit le double qu’à Montréal pour des produits comparables. À cela s’ajoute un fort taux de chômage et de pauvreté, souligne Grace Egeland, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur l’environnement, la nutrition et la santé, et chercheuse au Centre d’études sur la nutrition et l’environnement des peuples autochtones (CINE). « Dans ces conditions, rien d’étonnant à ce que les familles achètent des pâtes, mais pas la viande ni la salade verte devant idéalement les accompagner ».
Depuis 2005, Grace Egeland travaille avec les communautés inuites et le Conseil cri de la Santé et des Services sociaux de la Baie-James. « Nous étudions l’importance de la consommation d’aliments traditionnels et vendus au supermarché ainsi que le pourcentage de l’apport calorique dérivé d’aliments très énergétiques et pauvres en nutriments », souligne-t-elle. « Les enquêtes ont montré que les aliments traditionnels (orignal, poisson, volaille) sont davantage consommés par les personnes de plus de 40 ans. Les moins de 40 ans, et surtout les enfants, se nourrissent d’aliments beaucoup moins traditionnels et davantage de malbouffe. Les jeunes sont plus susceptibles d’adopter un mode de vie et une alimentation modernes, et moins enclins à s’adonner à la chasse et à la pêche. »
Pour calculer l’apport en aliments vides, les chercheurs mesurent les concentrations sanguines de gras trans, généralement associées à une consommation de croustilles, de frites et de pâtisseries riches en graisses hydrogénées. « Les personnes qui consomment beaucoup d’aliments vides ont plus de gras trans dans le sang », explique la Pre Egeland.
« Cette constatation est préoccupante, car les gras trans constituent un facteur de risque de maladie cardiovasculaire et vraisemblablement de diabète de type 2. »
Les recherches de la Pre Egeland ont débouché sur des initiatives pour modifier de mauvaises habitudes de vie, en collaboration avec les communautés locales. L’une d’entre elles prend appui sur la solide tradition orale des peuples autochtones et fait appel à la radio locale pour proposer des contes de nature à promouvoir la santé. « Les leaders communautaires perçoivent la radio comme un média essentiel pour diffuser des messages culturellement appropriés sur la nutrition », précise-t-elle. « Les Anciens sont invités à parler d’algues, de plantes et de baies sauvages. Ensuite, dans le but d’amener les auditeurs à faire de bons choix alimentaires au supermarché, l’émission revient sur la valeur nutritionnelle des aliments traditionnels. »
Le diabète de type 2 est aussi un problème des centres urbains. À titre de directrice scientifique du Projet de prévention du diabète (PPD) au sein des écoles de Kahnawake, Katherine Gray-Donald cherche à prévenir cette maladie chez les enfants de la communauté mohawk située à 15 kilomètres au sud-ouest du centre-ville de Montréal. Les adultes de Kahnawake sont déjà deux fois plus nombreux à souffrir de diabète de type 2 que la population générale, et ce risque augmente pour les générations futures.
« Le PPD est un partenariat chercheurs-communauté qui vise à trouver les moyens d’améliorer le régime alimentaire et l’activité physique chez les jeunes », souligne la Pre Gray-Donald. « Ces enfants sont de plus en plus en surpoids, ce qui peut avoir de graves conséquences sur leur santé, car l’obésité est fortement liée au diabète de type 2. Il y a quelques années, la communauté a pris conscience de cette menace et demandé l’aide de professionnels de la santé. Nos recherches visent précisément cet objectif. » Le PPD a mis en œuvre plusieurs interventions, telles qu’une promenade à pied quotidienne de 20 minutes, ce qui a considérablement augmenté le niveau d’activité physique des enfants scolarisés, et l’interdiction de servir des aliments mauvais pour la santé dans les cafétérias.
L’autre projet de recherche important mené par Katherine Gray-Donald concerne les personnes âgées. Échelonnée sur cinq ans, l’étude NuAge est la première enquête longitudinale exhaustive au Canada relativement à l’impact des habitudes alimentaires sur le vieillissement. L’équipe espère trouver les moyens d’améliorer la nutrition pour une vieillesse « réussie ». Il y a trois ans, ils ont recruté près de 1 800 Québécois autonomes de 68 à 82 ans (à Montréal et à Sherbrooke). Au début, les participants se sont prêtés à des évaluations nutritionnelles approfondies, notamment composées d’un relevé de l’apport alimentaire, de la mesure du tissu adipeux et du prélèvement d’échantillons de sang. Chaque année, les participants sont soumis à une batterie de tests intensifs d’une demi-journée et doivent répondre régulièrement à des enquêtes téléphoniques destinées à mesurer les changements à l’égard de la force physique, de la perte de poids, des aptitudes cognitives et de l’autonomie.
Pour les personnes âgées, perdre du poids revient à perdre de la masse musculaire, ce qui les rend plus frêles, plus susceptibles de tomber et moins aptes à prendre part à des activités physiques (ce qui accélère le déclin). C’est pourquoi Katherine Gray-Donald s’intéresse tout particulièrement aux causes de la perte de poids inexpliquée. « Au cours de la première année, neuf pour cent des sujets ont perdu plus de cinq pour cent de leur poids corporel », souligne-t-elle. « Certains étaient malades, d’autres pas. Nous avons étudié ce qui avait changé dans leur alimentation, ce qui s’était produit dans leur vie pendant cette période, et nous avons essayé de comprendre d’où venait la perte de poids. »
Hope Weiler, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en nutrition, développement et vieillissement, collabore avec l’équipe NuAge pour préciser le rôle de la vitamine D chez les personnes âgées en santé. Ce projet n’est qu’un volet des recherches qu’elle mène sur la vitamine D auprès de plusieurs générations et témoigne d’une tendance de plus en plus marquée vers l’étude de cette vitamine trop longtemps ignorée. La vitamine D est traditionnellement associée au rachitisme chez l’enfant, mais des recherches récentes donnent à penser que les carences en vitamine D peuvent contribuer considérablement à l’apparition du cancer, de la sclérose en plaques, du diabète juvénile, de la grippe et de l’ostéoporose. En août 2007, Hope Weiler s’est jointe à l’équipe de Grace Egeland pour prendre part à une étude du CINE intitulée Qanuipitali (traduction : « Et nous, comment nous portons-nous? »). À bord du navire Amundsen de la Garde côtière canadienne, l’équipe mènera une étude sans précédent sur la santé auprès de résidants de villages inuits éloignés. Les recherches de la Pre Weiler porteront sur le statut en vitamine D des enfants et des femmes. En collaboration avec la Dre Celia Rodd, directrice du Département d’endocrinologie pédiatrique de l’Hôpital de Montréal pour enfants, Hope Weiler participera également à une étude de base sur les nourrissons afin de déterminer quelle quantité de vitamine D est nécessaire pour obtenir des résultats optimaux (tels que la minéralisation osseuse). Pendant onze mois, des indices de croissance, des radiographies et des échantillons sanguins seront analysés pour mesurer la croissance osseuse des nourrissons. On espère que l’étude entreprise en mars 2007 permettra de préciser pour la première fois les besoins en vitamine D. Les résultats pourront être utilisés afin de modifier la politique de Santé Canada en matière de supplémentation vitaminique chez les nourrissons sains.
En octobre, Hope Weiler lancera une étude pilote de six mois à l’Hôpital Sainte-Anne pour anciens combattants (situé à Sainte-Anne-de-Bellevue, dans l’ouest de Montréal) afin de préciser le lien entre le taux de vitamine D des patients, le risque de mortalité et la fonctionnalité. Pendant l’été, les sources de vitamine D proviennent surtout de l’exposition au soleil, « mais lorsqu’on vieillit, on sort moins. Et pour les personnes confinées à l’intérieur, comme celles qui sont hospitalisées, la vitamine D est essentiellement d’origine alimentaire », explique-t-elle. Pendant l’étude, les chercheurs doseront les taux de 25-hydroxy-vitamine D dans le sang des patients (dont la plupart ont 80 ans et plus) hospitalisés pour affections chroniques.
« Nous étudierons le rapport entre nutrition, facteurs saisonniers et vitamine D », explique Hope Weiler. « Nous espérons ainsi corréler les taux de vitamine D au fonctionnement et à la force physique. Certains pensent qu’il existe un rapport entre le taux de vitamine D et l’aptitude à accomplir les activités de la vie quotidienne, ainsi qu’avec la force musculaire. Mais nous ne sommes pas certains de la cause, ni de l’importance de ce lien. Les données que nous recueillerons permettront de concevoir des interventions pour améliorer le statut en vitamine D et la santé. »
Une autre chercheuse de l’ÉDNH, Linda Wykes, a choisi pour sa part de mettre la nutrition en milieu hospitalier au service de la convalescence des patients de chirurgie. Titulaire d’une bourse William Dawson, elle s’intéresse aux interventions innovantes qui intègrent anesthésie et nutrition par intraveineuse. « Notre équipe a mené plusieurs études axées sur la nutrition, l’anesthésie et la chirurgie auprès de patients cancéreux des hôpitaux du Centre universitaire de santé McGill et nos résultats ont permis de concevoir une intervention à deux volets. »
L’organisme réagit au stress de l’intervention chirurgicale en sécrétant des hormones de stress et en dégradant les protéines, ce qui peut entraîner une perte musculaire, affaiblir les fonctions du système immunitaire et retarder la convalescence. Pour empêcher cette réaction, Linda Wykes et ses collègues administrent un anesthésique par péridurale (pendant et après l’intervention chirurgicale) et un mélange de glucose et d’acides aminés par perfusion. L’anesthésique empêche la transmission des signaux de la douleur au cerveau et donc la sécrétion d’hormones de stress, ce qui permet à l’organisme de mieux utiliser les nutriments. Les patients qui bénéficient de cette approche intensive affichent un gain net de protéines corporelles après l’intervention chirurgicale et présentent plus rapidement les critères autorisant leur sortie.
« Comme en témoignent les recherches de plus en plus nombreuses menées à ce sujet, la nutrition revêt une importance capitale à tout âge et parmi tout groupe », souligne la Pre Koski. « C’est un sujet que la communauté médicale prend aujourd’hui très au sérieux. Notre école fêtera son centenaire en 2008, au moment où les sciences de la nutrition gagnent leurs lettres de noblesse. »
Ces projets de recherche sont financés par les Instituts de recherche en santé, le Conseil cri de la Santé et des Services sociaux de la Baie-James, la Corporation Niskamoon, le Conseil de recherches en sciences humaines, le Programme du gouvernement du Canada pour l’Année polaire internationale et les Producteurs laitiers du Canada.