Une lueur d’espoir…enfin!

Lutte contre le sida : des chercheurs de McGill sur le front de la virologie et de l’immunologie

Par Andrew Fazekas

Sombres statistiques : selon Le point sur l’épidémie de sida 2007 de l’ONUSIDA, le sida cause chaque année plus de deux millions de décès. Il faut convenir qu’en l’espace de 25 ans, le sida est passé d’une sentence de mort certaine à une maladie chronique grave. Trois chercheurs de McGill spécialisés en virologie et en immunologie qui étudient le sida depuis de longues années s’attachent à comprendre le mode de transmission du VIH, ainsi que la manière dont il évolue pour échapper aux traitements pharmacologiques, et à trouver les moyens de mieux divulguer les connaissances afin de redonner espoir.


Le sous-type du Botswana

Ardent défenseur de la réforme des politiques sur le VIH/sida, Mark Wainberg n’a pas peur de faire de bruit. Qu’il débatte avec le président kényan Daniel Arap Moi de la promotion de l’usage du préservatif ou qu’il brandisse une pancarte soulignant le rôle de la sexualité et de la consommation de drogues dans la prévention du VIH à l’occasion de la Conférence internationale sur le sida de 2006, il livre une bataille très publique. Dans son nouveau laboratoire de bioconfinement à haute sécurité, créé au coût de cinq millions de dollars au Centre sida McGill de l’Hôpital général juif, Mark Wainberg et ses collègues livrent un combat plus discret… à l’échelle microscopique.

Directeur de recherche à l’Hôpital général juif et directeur du Centre sida McGill, Mark Wainberg est un spécialiste réputé mondialement pour ses nombreuses contributions au développement de médicaments contre l’infection par le VIH. À la fin des années 1980, il a identifié les propriétés antivirales du 3TC, une véritable révélation à l’époque. Aujourd’hui, le 3TC est un outil essentiel de l’arsenal pharmaceutique qui retarde l’apparition des symptômes les plus graves du sida. Mais comme les médicaments d’aujourd’hui peuvent se révéler inutiles contre les virus de demain, le VIH est une cible mouvante. Pour la neutraliser, Mark Wainberg, en collaboration avec l’Institut de recherche sur le sida de l’Université Harvard, a créé des sites d’étude au Botswana. « C’est un sujet extrêmement important, car le VIH est en perpétuelle mutation et il peut devenir résistant à chacun des médicaments conçus à ce jour », souligne-t-il. « Le VIH évolue encore plus rapidement que le virus de la grippe, et pose de ce fait un problème considérable aux chercheurs. » Sans compter que le temps ne joue pas en leur faveur. Beaucoup s’inquiètent d’une résurgence spectaculaire des cas de résistance aux médicaments parmi les sujets sous traitement antirétroviral en Afrique.

Attribuable à Mark Wainberg et aux membres de son équipe, la découverte d’une variabilité génétique unique du virus du VIH au Botswana ne saurait donc mieux tomber. En prélevant le sang de milliers de volontaires infectés, ils ont séquencé l’ADN du virus et découvert que le sous-type spécifique du virus (ou sous-type C) qui circule au Botswana diffère de celui qui prédomine en Europe et en Amérique du Nord. Le processus de mutation et l’effet des médicaments sur ce processus semblent varier d’un sous-type à l’autre. Le virus qui prévaut au Botswana pourrait être l’un des sous-types les plus génétiquement variables qui soient. Mais la nature des mutations qui confèrent une résistance aux médicaments demeure un mystère.

Les conséquences de ce projet (essentiellement financé par les IRSC, avec l’aide du Partenariat international pour des microbicides – qui fédère des chercheurs du Kenya, du Mozambique, de Namibie, du Nigéria, d’Afrique du Sud, de Tanzanie, d’Ouganda et du Zimbabwe – et le FRSQ) sont susceptibles d’entraîner d’importantes répercussions. « Ces observations pourraient avoir de vastes ramifications à l’égard des traitements que nous pourrons proposer à l’Afrique et ailleurs. » Mark Wainberg espère étendre ses recherches plus au nord, vers le Cameroun et la Côte d’Ivoire.


La mine d’or zimbabwéenne

Étudier le VIH/sida est un exercice de patience et de persévérance. Le Dr Brian Ward puise sa motivation dans la volonté d’apporter une contribution positive et marquée auprès des patients et de la communauté médicale. Sommité mondiale en maladies infectieuses et en immunologie, le Dr Ward est l’ancien directeur de la Division des maladies infectieuses du CUSM et l’actuel directeur adjoint du Centre des maladies tropicales de McGill.

Dès 1996, le Dr Ward et ses collègues des universités Johns Hopkins et du Zimbabwe ont entrepris de suivre des mères et leurs enfants à Harare et dans la région environnante. Échelonnée sur deux ans, l’étude – l’une des plus importantes du genre – portait sur les effets protecteurs de l’administration de vitamine A aux nouveau-nés et aux mamans. Bien que les résultats n’aient pas permis d’obtenir l’effet protecteur attendu, une véritable mine d’or de données a été recueillie sous forme d’échantillons de lait maternel, de sang et d’ADN auprès des quelque 14 000 femmes et enfants participant à l’étude. Ces précieux échantillons remplissent 15 congélateurs et le Dr Ward pense qu’ils détiennent la clé du mécanisme qui sous-tend la transmission materno-infantile du VIH.

Malheureusement, la crise politique et économique qui agite le pays depuis 10 ans a eu des conséquences directes sur les projets de recherche et de suivi que planifiait le Dr Ward. L’exacerbation des tensions menace la sécurité et l’intégrité des échantillons et de leur pleine exploitation scientifique. Toute tentative d’extraction des archives en dehors des frontières risque de rencontrer une vive résistance. À l’instar de nombreux pays en développement, le gouvernement zimbabwéen a décrété que les échantillons ne pouvaient quitter le pays. Du fait de cette résistance et de l’incertitude politique, il est pratiquement impossible d’entreprendre la moindre recherche sur ces échantillons à l’intérieur des frontières, et encore moins à l’extérieur.

En attendant de soumettre ces échantillons à des analyses génétiques et immunologiques plus approfondies, le Dr Ward et sa principale collaboratrice, Jean Humphrey de l’École de santé publique Bloomberg de l’Université Johns Hopkins, ont décidé de piloter un programme communautaire intégrant les soins préventifs contre la transmission mère-enfant du VIH à des programmes de santé materno-infantile déjà en place dans certains hôpitaux de mission zimbabwéens. Financé par l’ACDI et le ministère du Développement international du Royaume-Uni, ce programme repose sur les observations de chercheurs selon lesquelles une alimentation mixte précoce (ajout d’éléments nutritifs autres que le lait maternel) peut augmenter sensiblement le risque de transmission du VIH. Ils étudient les moyens d’aider les femmes à allaiter exclusivement pendant les six premiers mois, puis à sevrer subitement les nourrissons en alternant leur alimentation: une intervention « simple » rendue fort complexe par un taux d’inflation fulgurant. Le programme intègre également l’administration d’antirétroviraux peu de temps avant la naissance, des compléments alimentaires et des efforts à l’échelle de la communauté pour freiner la propagation du VIH. Les chercheurs collaborent avec plus de 20 hôpitaux à la réduction de la transmission verticale du VIH.


Soins dans les régions éloignées

Si le Dr Christos Tsoukas parvient à ses fins, les patients infectés par le VIH vivant en région éloignée devraient bientôt avoir accès aux meilleurs soins de santé au monde, grâce à la vaste portée de la télémédecine. Les technologies de communication électronique permettent en effet de transmettre des services de consultation, de diagnostic et de traitement sur de grandes distances et de franchir des obstacles géographiques autrefois prohibitifs. « Enseigner – éduquer patients et médecins – est la vocation même de la télémédecine », précise Christos Tsoukas, professeur de médecine et de médecine expérimentale, directeur adjoint du Centre sida McGill et directeur de la Division d’allergie et d’immunologie clinique de McGill. « Il s’agit de transmettre l’information de manière rapide et concise pour préserver la vie des patients. »

Ce spécialiste du sida de renommée internationale vient de terminer une étude de faisabilité de trois ans financée par les IRSC vouée à l’élaboration d’outils d’intelligence artificielle capables de déterminer le meilleur traitement à administrer aux patients infectés par le VIH. Ce projet concerne neuf centres de recherche sur cinq continents et souligne l’importance des techniques de pointe en matière de saisie et de communication des données. La solution : relier, en temps réel grâce à Internet, le CUSM, le Centre de traitement du VIH infantile de Benghazi en Libye, l’Institut d’études supérieures en médecine et en recherche (Chandigarh, Inde), un hôpital public d’Athènes en Grèce et une clinique de Brazzaville en République du Congo.

L’idée d’avoir recours à la télémédecine est venue au Dr Tsoukas il y a trois ans, alors qu’il était en Libye pour étudier des infections au VIH auprès de 427 enfants. En raison de sanctions diplomatiques et d’un embargo commercial, très peu de médecins étrangers ont été autorisés à se rendre dans ce pays d’Afrique du Nord, où les fournitures médicales occidentales étaient plutôt rares. Le Dr Tsoukas a constaté que le personnel libyen, quoique très professionnel, n’avait pas les connaissances requises pour prendre en charge les patients et utiliser les traitements disponibles. Ces lacunes risquaient de compromettre le bien-être des enfants. « Le centre n’offrait pas de programme de formation continue. Les employés n’avaient aucun moyen d’assister à des conférences internationales, leur accès aux grandes publications médicales était limité et ils ignoraient totalement les nouveaux traitements utilisés en Occident », se rappelle-t-il.

En intégrant la technologie de la communication Internet à large bande et les technologies de l’information, l’équipe pluridisciplinaire de McGill dirigée par le Dr Tsoukas espère fournir aux professionnels de la santé des données sur les soins à prodiguer, de même que la formation et l’encadrement nécessaires pour que les personnes infectées soient prises en charge efficacement et à long terme.

« L’infection par le VIH peut devenir une maladie chronique, aussi voulons-nous nous assurer que le virus soit contrôlé des années durant », souligne le Dr Tsoukas. «Il faut des analyses de laboratoire, une surveillance et une représentation graphique des données afin que les médecins identifient les tendances et améliorent la prise en charge des patients. »

Confronté au virus pour la première fois en 1982, Christos Tsoukas a été l’un des premiers scientifiques à faire la preuve que les hémophiles recevant des produits sanguins couraient un risque élevé de contracter le sida et donc que le risque de transmission du VIH par transfusion sanguine menaçait l’ensemble de la population. Avant la venue de traitements anti-VIH, il a vu nombre de ses patients mourir en l’espace de trois jours. « Les premières années de l’épidémie étaient extrêmement déprimantes », se souvient-il. « Nous avions très peu de solutions à offrir. Aujourd’hui, de nombreuses personnes infectées par le VIH mènent une existence normale grâce aux nouveaux médicaments. Malgré ce progrès, il faut poursuivre les recherches sur le vaccin anti-VIH et continuer de former de jeunes médecins à McGill et à l’étranger. Je veux m’assurer que, dans un avenir rapproché, plus aucun de mes patients ne meure de cette maladie. »