Troubles de la communication

L’étude interdisciplinaire du fonctionnement (ou du dysfonctionnement) du langage mobilise plusieurs unités de McGill, comme le Centre de recherche sur le vieillissement Bloomfield, l’École des sciences de la communication humaine et le Centre de recherche sur le langage, l’esprit et le cerveau.

La petite enfance est le moment où la maîtrise du langage connaît une formidable poussée de croissance. Le lexique s’enrichit rapidement, la construction des phrases devient de plus en plus élaborée et l’on apprend à jongler avec des notions comme le sarcasme ou l’ironie, où les non-dits sont plus parlants que les mots eux-mêmes. Et même si aucun autre apprentissage ne connaît d’évolution aussi spectaculaire et rapide, nos compétences linguistiques tendent néanmoins à s’améliorer de jour en jour. Car, à moins de vivre en ermite, nous affinons en effet constamment notre maîtrise du langage.

Mais parfois, le vieillissement vient perturber cette équation et les mots nous manquent.

Howard Chertkow étudie dans quelle mesure la stimulation cérébrale non invasive peut réduire les répercussions associées à la démence.

Dans son bureau de l’Hôpital général juif, Howard Chertkow, directeur du Centre de recherche sur le vieillissement Bloomfield de l’Institut Lady Davis pour la recherche médicale, étudie les photos d’un ours et d’un hippopotame. « Lorsque je montre la photo d’un ours à un patient atteint de la maladie d’Alzheimer, il me dit que c’est un chien. L’hippopotame est pour sa part un cochon. »

Les personnes souffrant de démence de type Alzheimer ont souvent de la difficulté à se souvenir des mots et, comme dans l’exemple fourni par Howard Chertkow, désignent régulièrement ce qu’ils voient par des termes erronés. La perturbation du langage et de la communication, deux facultés que la plupart d’entre nous tenons pour acquises, est l’une des complications du processus de vieillissement.

Les recherches d’Howard Chertkow se concentrent sur l’impact de la démence (induite notamment par la maladie d’Alzheimer) sur la mémoire sémantique, c’est-à-dire le système de stockage à long terme dans le cerveau des concepts, des mots et de leur signification. Grâce à l’imagerie cérébrale, il tente de comprendre la structure du langage dans le cerveau « normal ». Il espère que l’identification de la zone (voire des zones) de la mémoire sémantique et de son organisation permettra d’établir des corrélations entre les changements physiques dans le cerveau et les difficultés cognitives et, avec un peu de chance, de développer des traitements pour améliorer les facultés cognitives de patients atteints de démence.

À McGill, les partenariats de recherche interdisciplinaire et interfacultaire destinés à l’étude de l’esprit et du fonctionnement du langage se sont multipliés au cours des dix dernières années. « Il existe un solide noyau de chercheurs en neurologie traditionnelle et cognitive qui s’intéressent aux troubles du langage », explique le Dr Chertkow. « Par le biais de nos hôpitaux d’enseignement, nous pouvons établir des liens avec des patients. L’Institut neurologique de Montréal nous apporte ses outils et son expertise en imagerie cérébrale. La présence simultanée de spécialistes de la neurologie cognitive, de l’imagerie cérébrale et de la recherche fondamentale sur le cerveau et le langage rend possibles de multiples interactions et échanges. »

Comme pour de nombreux troubles, la détection précoce est importante et des tests en apparence très simples de photos d’animaux permettent de déceler les premières manifestations des troubles du langage.

« Les animaux sont particulièrement difficiles à appréhender pour les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer, car ils n’ont aucune fonction particulière. Le système qui permet de distinguer les animaux entre eux est assez élaboré et plus susceptible de faire défaut très tôt au cours du processus pathologique », explique Howard Chertkow.

Ce dernier entrevoit de nouveaux traitements pour les personnes âgées souffrant de la maladie d’Alzheimer, et ce, dès l’apparition des premiers signes. « Nous avons découvert que certaines zones du cerveau, comme le lobe temporal, étaient affectées par la maladie d’Alzheimer et que d’autres, comme le lobe pariétal, étaient non seulement épargnées, mais pouvaient également compenser pour les zones atteintes. » Ce mécanisme de compensation, appelé réserve cognitive, peut être renforcé grâce à des traitements comme la stimulation magnétique transcrânienne, dans le cadre de laquelle des impulsions micro-magnétiques produisent un courant électrique indolore sur le cuir chevelu et le crâne. « La stimulation de ces zones liées à la compensation semble améliorer la faculté des patients de nommer les objets correctement », explique le Dr Chertkow.

Shari Baum explore quant à elle le rôle du bilinguisme dans l’amélioration de la réserve cognitive.

L’entraînement peut également améliorer la capacité de réserve cognitive. Shari Baum, titulaire d’une chaire James McGill à l’École des sciences de la communication humaine et ancienne directrice fondatrice du Centre de recherche sur le langage, l’esprit et le cerveau (CRLEC), et Debra Titone, du Département de psychologie de McGill, étudient les fonctions exécutives d’adultes âgés bilingues. Les fonctions exécutives sont une série de processus qui permettent l’exécution de différentes tâches comme la poursuite d’un objectif, l’inhibition d’informations nuisibles à la concentration et le maintien de la mémoire des connaissances et de la mémoire de travail permettant de stocker des éléments dans la mémoire immédiate et de les manipuler de différentes manières. En vieillissant, ces fonctions tendent à s’émousser. Les Pres Baum et Titone s’appuient sur les recherches menées par Ellen Bialystok de l’Université York à Toronto ayant montré que le bilinguisme s’apparente à une véritable gymnastique pour les fonctions exécutives et qu’il peut retarder l’apparition des symptômes de la démence de type Alzheimer de presque quatre ans.

De concert avec Denise Klein, chercheuse clinicienne à l’Institut neurologique de Montréal, les Pres Titone et Baum ont récemment obtenu une subvention des IRSC pour étudier les effets du vieillissement et le bilinguisme. « La plupart des publications sur le vieillissement et les changements dans la communication et le langage associés à l’âge ont trait à des indicateurs et à des mesures du traitement du langage qui manquent parfois de nuances et de sensibilité », explique la Pre Titone. Pour remédier à cette situation, son équipe entend évaluer la compréhension du langage en mesurant les mouvements oculaires des sujets au moyen d’un oculomètre, un appareil permettant de déterminer la position de la pupille pour connaître les zones sur lesquelles le regard se pose ou se fixe. Les mouvements oculaires sont dotés d’une « résolution temporelle très précise », autrement dit, ils sont sensibles au traitement du langage en temps réel, lequel est de l’ordre de millisecondes. C’est une excellente mesure du niveau de compréhension de la personne.

Données sur le viellissement :

La maladie d’Alzheimer représente 63 pour cent de tous les cas de démence. La Société Alzheimer du Canada estime que ce pourcentage passera à 68 pour cent d’ici 2034.

La Pre Baum n’étudie pas seulement les problèmes liés à la compréhension des mots; elle cherche également à savoir pourquoi certains adultes âgés ont de la difficulté à reconnaître des changements importants dans l’intonation, le rythme et la phraséologie. Ces déficits du traitement de la prosodie linguistique peuvent occasionner des malentendus importants. Prenons par exemple la phrase : « À la soirée, Jean a dit que Marie était la plus sympathique ». Sans prosodie appropriée, il est difficile de déterminer si Jean a formulé cette remarque lors de la fête, ou s’il distinguait Marie des autres filles alors présentes. « L’intonation permettant de lever toute ambiguïté », explique-t-elle, « le fait d’éprouver de la difficulté à saisir les indices prosodiques entraîne des risques d’erreur quant à l’interprétation des propos. » Grâce à deux subventions des IRSC, les Prs Baum et Karsten Steinhauer, un neurobiologiste spécialiste de l’électrophysiologie au CRLEC, utilisent la mesure des potentiels évoqués cognitifs pour caractériser ces dysfonctionnements. En procédant à la lecture électroencéphalographique de l’activité électrique cérébrale d’une personne qui assiste à un discours, les chercheurs évaluent les potentiels évoqués cognitifs qui mesurent, une milliseconde à la fois, les informations sur la manière dont les indices prosodiques changent la façon dont cette personne traite ce qu’elle entend. « On peut croire à tort que les personnes âgées ne perçoivent pas les indices prosodiques en raison de troubles auditifs », explique le Pr Steinhauer, « mais nos recherches, ainsi que celles d’autres laboratoires, donnent à penser que cela n’est pas le cas. L’interprétation ou l’évaluation du sens des paroles orales varie beaucoup chez les adultes âgés de 65 à 80 ans. Comparativement aux jeunes adultes, les difficultés ou les différences observées ne sont peut-être pas dues à des problèmes de perception des indices prosodiques. Pour ces étapes du traitement précoce, nos données sur les potentiels évoqués cognitifs montrent des signatures cérébrales très comparables entre les adultes jeunes et âgés. » Par ailleurs, l’équipe de Karsten Steinhauer a découvert, dans les potentiels évoqués cognitifs, des preuves indiquant que le cerveau vieillissant peut avoir des difficultés à intégrer les indices prosodiques à d’autres types d’informations, tels que la structure des phrases. « Comme ces difficultés surviennent à des étapes tardives du traitement et reposent partiellement sur la capacité de la mémoire, cela pourrait expliquer pourquoi les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer ont également de la difficulté avec le traitement prosodique », explique le chercheur.