Sur le terrain

Un semestre en Afrique pour mener des recherches pratiques et se confronter à des enjeux concrets.

Par Mark Reynolds

Le Pr John Galaty et le doctorant mcgillois Stephen Santamo Moiko donnent une conférence en plein air sur la culture masai aux étudiants du programme SCETA.
Le Pr John Galaty et le doctorant mcgillois Stephen Santamo Moiko donnent une conférence en plein air sur la culture masai aux étudiants du programme SCETA.

Aux abords d’une argilière, des étudiants de premier cycle observent un entrepreneur kényan extraire de l’argile pour la fabrication de briques. Mais il serait faux de croire que l’on n’y trouve que de l’argile : ses eaux stagnantes sont idéales pour la reproduction de moustiques vecteurs du paludisme. Au fur et à mesure que les étudiants entrent dans les détails (eau, moustiques, enfants jouant à proximité), ils commencent à établir des corrélations essentielles.

De janvier à mars, des étudiants de McGill sont dépêchés au Kenya, en Ouganda et en Tanzanie dans le cadre du Semestre canadien d’études sur le terrain en Afrique (SCETA), programme conçu pour les amener à réfléchir aux corrélations entre les problèmes environnementaux et humains. « Aux abords de cette argilière, nous voyons par le petit bout de la lorgnette, c’est-à-dire par le bout humain, à quoi tient l’intérêt du Canada pour l’aide étrangère », souligne le professeur de géographie de McGill et instructeur du SCETA, Thomas Meredith. « Nous prenons conscience que ce sont les enfants qui sont vulnérables au paludisme – les étudiants leur demandent s’ils ont des moustiquaires et s’ils les utilisent. Dans les cours, nous nous demandons souvent pourquoi le Canada semble être dans l’impossibilité de consacrer à peine la moitié de 0,7 pour cent de son PNB à l’aide étrangère comme il s’est engagé à le faire. Sur le campus, il s’agit d’une discussion abstraite quant aux politiques et aux priorités. Dans l’argilière, cette discussion prend un visage humain. »

Depuis 1998, Thomas Meredith accompagne les étudiants du programme SCETA en Afrique. « C’est l’occasion d’enseigner sur le terrain », souligne-t-il. « Malgré toutes les améliorations apportées à l’enseignement en classe (des présentations PowerPoint à la webdiffusion), rien ne vaut un séjour sur le terrain. De la sorte, nous pouvons replacer chaque chose dans son contexte et établir des liens cruciaux. En classe, on apprend que le paludisme fauche chaque jour la vie de 3 000 jeunes Africains. Ici, nous voyons des villages se battre contre les changements environnementaux, les impératifs économiques, l’échec des politiques – le paludisme n’est qu’un élément de la complexité de la vie quotidienne. »

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Bien que McGill participe depuis près de dix ans au SCETA, le rôle de l’Université a changé de manière radicale en 2004 lorsque le Collège Langara de Colombie-Britannique a transféré le programme à McGill. Le Semestre canadien d’études sur le terrain en Afrique était perçu comme un moyen de consolider les efforts d’internationalisation de McGill et d’enrichir les programmes de recherche sur le terrain que l’Université compte déjà au Panama et à la Barbade.

Ces dernières années, le SCETA est devenu un véritable modèle pour l’acquisition de compétences de recherche au premier cycle. « L’objectif est d’assurer la formation des futurs chercheurs », souligne le Pr Meredith. « Ce programme expose les étudiants à des enjeux concrets et les amène à réfléchir de manière créative. » Le programme d’études du SCETA comporte six modules de sciences sociales et biologiques, regroupés par thème, comme la conservation de l’eau, la biodiversité et le développement urbain. Les étudiants travaillent également avec des chercheurs, des organismes gouvernementaux et des instituts de recherche à but non lucratif africains (y compris UN-HABITAT et le Centre international sur la physiologie et l’écologie des insectes, tous deux situés à Nairobi, au Kenya). Avec ces partenaires institutionnels, les étudiants conçoivent leurs propres projets de recherche, dont les thèmes cadrent avec les objectifs du Millénaire pour le développement des Nations Unies, au nombre desquels figurent l’amélioration de l’accès à l’éducation ainsi que la lutte contre la pauvreté et le sida d’ici 2015. Les étudiants qui prennent part au SCETA « jouent un rôle dans le programme mondial mis en place pour atteindre ces objectifs », explique le Pr Meredith. « Ce qui pourrait être perçu comme un simple exercice didactique est de facto élevé au rang de projet beaucoup plus sérieux. »

L’hiver dernier, l’étudiante de dernière année du Programme de développement international Rachel Steed s’est penchée sur l’accès aux soins de santé au Kenya dans le cadre de son programme de recherche. Avec ses camarades, elle a interrogé un échantillon transversal de Kényans (dans des villages, des bidonvilles urbains et dans les campagnes) pour définir les principaux obstacles à l’accès aux soins de santé.

Plusieurs de ces obstacles ont confirmé ses hypothèses : médiocrité des infrastructures, pénurie de médecins, coûts élevés. Mais l’éducation pose également problème; certaines personnes ne cherchent pas à se faire soigner, soit parce qu’elles n’ont pas conscience d’être malades, soit parce qu’elles préfèrent se tourner vers des remèdes spirituels ou traditionnels.

« L’un des principaux obstacles est la distance : il faut parfois des heures pour se rendre à une clinique », explique Rachel Steed. Elle a découvert que les patients se font souvent accompagner d’un membre de leur famille, ce qui fait perdre une journée de travail à deux personnes. « Ce phénomène peut influer sur l’ensemble de la communauté. »

Rachel Steed utilise les données qu’elle a recueillies sur le terrain pour la rédaction de son mémoire de programme spécialisé sur les obstacles aux soins de santé au Kenya. Pour elle, ces entretiens en tête-à-tête sont irremplaçables : « L’opinion qu’ils ont des problèmes diffère souvent radicalement de ce que l’on peut lire dans les livres. »

l’étudiante de 1er cycle Rachel Steed étudie les obstacles à l’accès aux soins de santé au Kenya
l’étudiante de 1er cycle Rachel Steed étudie les obstacles à l’accès aux soins de santé au Kenya

Alors que Rachel Steed a ramené les fruits de son expérience africaine chez elle, d’autres étudiants enthousiastes ont décidé de rester en Afrique au-delà des trois mois prévus par le programme. Alexandre Corriveau-Bourque est arrivé en Afrique dans le cadre du SCETA en janvier 2006 et prévoit y rester jusqu’en mars 2008. Ce diplômé du Programme d’études en développement international a mis en place une série de projets communautaires sous le patronage de deux chefs de village, Calvin Ariko et Justus Ochwedo, de Gembe Est, près du lac Victoria au Kenya.

« Ces chefs ont vu des ONG bien intentionnées arriver par douzaines sur l’île de Rusinga, investir des quantités phénoménales d’argent, offrir des emplois temporaires et alimenter la corruption », explique Alexandre Corriveau-Bourque. Sans compter que les ONG relayaient rarement les connaissances acquises dans le cadre de leurs projets aux habitants des villages concernés.

Calvins Ariko et Justus Ochwedo ont demandé à Alexandre Corriveau-Bourque et à deux autres étudiants du SCETA, Kathrin Gottwald et Katie Zulak, de recueillir des données sur le nombre de cas de maladie, l’eau et l’assainissement, les infrastructures (écoles, services médicaux, routes), la sécurité alimentaire et les institutions en mesure de coordonner des projets de développement dans la communauté. Les étudiants ont interrogé plus de 400 ménages et 100 chefs locaux pour déterminer ce qu’ils pensaient de leurs conditions de vie. Au cours de sa dernière année d’études à McGill, Alexandre Corriveau-Bourque a analysé les données recueillies et rédigé un rapport établissant l’ordre des priorités en matière d’exploitation des ressources locales. Immédiatement après l’obtention de son diplôme à McGill, il est retourné sur le terrain pour approfondir son projet, présenter ses résultats et participer à des négociations avec les ONG locales et les ministères publics. Il a amorcé une collaboration avec les chefs de village pour aider ces derniers à identifier et à coordonner des initiatives avec les institutions et ressources locales, à la lumière des résultats de son rapport. Aujourd’hui, il vit à Nairobi, mène des recherches sur les conflits dans le cadre d’un stage au sein de l’International Crisis Group, une ONG qui mène des recherches sur le terrain et des activités de défense des intérêts pour empêcher les conflits meurtriers et les résoudre. Selon Alexandre Corriveau-Bourque, rien de cela n’aurait été possible sans l’apport des professeurs du SCETA.

« Les professeurs nous considèrent comme des collègues et des égaux. Ils nous incitent à analyser chaque situation de manière critique et à participer pleinement à des débats professionnels. »

L’étudiant de McGill Alec Blair (à gauche) rencontre le pasteur Jackson Ngayami à Enoosupukia, au Kenya, avec qui il discute des conflits homme-faune.
L’étudiant de McGill Alec Blair (à gauche) rencontre le pasteur Jackson Ngayami à Enoosupukia, au Kenya, avec qui il discute des conflits homme-faune.

L’étudiant de maîtrise en géographie Alec Blair est aussi un ancien de l’Afrique. En 2005, dans le cadre d’un échange entre McGill et l’Université de la Colombie-Britannique, il s’est inscrit au SCETA. Diplômé de premier cycle en sciences animales, il s’intéresse à la conservation des ressources et est retourné au Kenya au printemps 2007 pour recueillir des données qui serviront de base à son mémoire sur les conflits que soulève la conservation.

Dans le district de Laikipia, Alec Blair a étudié les conflits homme-faune et leur impact sur la gestion de la conservation. Laikipia abrite plusieurs centaines d’exploitants de ranch qui coexistent parfois avec difficulté avec une importante population d’éléphants, de rhinocéros noirs et de nombreuses espèces sauvages. Son objectif était d’interroger les habitants sur leurs inquiétudes en matière de conservation de la faune et de chercher à déterminer ce qui les motivait à accepter de protéger des animaux qui menacent souvent leur existence, voire leurs ressources alimentaires.

Au cours de sa première semaine d’études indépendantes en Afrique, après son semestre d’études sur le terrain, l’assistant de recherche qu’Alec Blair venait de recruter est rentré chez lui pour quelques jours. « Durant son séjour, une hyène s’est introduite chez lui et a tué une de ses chèvres », souligne Alec Blair, précisant que son assistant a dû tuer la hyène pour protéger le reste du troupeau. « Cet événement m’a véritablement ouvert les yeux et m’a fait comprendre combien ces problèmes sont fréquents. » Alec Blair a constaté que les éleveurs souhaitent participer aux efforts de conservation, sinon dans leur propre intérêt, du moins dans l’espoir que cela améliore leur existence. Pour ceux qui se lancent dans l’écotourisme, ne pas tuer les éléphants peut être intéressant sur le plan commercial, surtout si les touristes sont prêts à payer pour voir les animaux.

Selon le Pr Meredith, l’épiphanie d’Alec Blair – et sa volonté de retourner en Afrique – est typique et témoigne du succès du SCETA.

« C’est un processus de germination sans fin », souligne-t-il, en précisant que les travaux menés par les étudiants du programme sont directement utiles aux organismes partenaires qui, à leur tour, invitent souvent les étudiants à revenir sur le terrain. « S’éloigner de la salle de classe traditionnelle est extrêmement stimulant pour les étudiants. Ils s’estiment à juste titre des acteurs importants de la recherche de solutions pour les enjeux planétaires qu’ils ont étudiés. »


Le SCETA est administré et financé par la Faculté des sciences de l’Université McGill, en partenariat avec la Faculté des sciences de l’agriculture et de l’environnement et la Faculté des arts ainsi qu’avec le concours du Musée Redpath, de l’École de diététique et de nutrition humaine et des départements d’anthropologie, de biologie, de géographie, d’histoire et des sciences des ressources naturelles. L’Université de la Colombie-Britannique est un partenaire officiel du SCETA, auquel les professeurs et les étudiants de l’Université Queen’s participent également. Le financement des recherches menées par les étudiants est assuré par le ministère de l’Éducation du Québec. Le Centre international sur la physiologie et l’écologie des insectes fournit pour sa part une aide pratique et institutionnelle.