Soulever la poussière

Entrevue avec Margaret Becklake par Jennifer Towell

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Jeune médecin dans son Afrique du Sud natale, Margaret Becklake a très tôt émis l’hypothèse que la pneumoconiose, une maladie pulmonaire causée par l’inhalation de poussières minérales, n’était pas la seule affection pulmonaire chronique qui frappait les ouvriers des mines de roches dures.

« J’étais jeune et croyais trouver la réponse rapidement », se souvient la professeure émérite des départements de médecine, d’épidémiologie et biostatistique et de santé au travail.

Ses recherches ont remis en question des croyances que l’on tenait pour vraies depuis longtemps, ainsi que le mode de fonctionnement des commissions d’indemnisation des accidents de travail. Dans cette entrevue, la Dre Becklake évoque les écueils et récompenses d’un domaine qu’elle a exploré avec conviction.

Identifier la question

« La poussière de silice mobilisait toute l’attention et on s’occupait très peu des autres poussières présentes dans les mines. Or, ce sont précisément ces dernières qui m’ont intéressée dès le début des années 1950, lorsque je travaillais au Miners’ Pneumoconiosis Bureau de Johannesburg. »

« Les mineurs dont les radiographies thoraciques révélaient une silicose, mais qui n’étaient pas invalides, recevaient une indemnité. Les autres qui étaient invalides, mais dont la radiographie thoracique ne montrait pas de silicose, n’étaient pas admissibles aux indemnités. Il y avait là un paradoxe que nous ne pouvions pas expliquer et j’ai donc décidé de suivre cette piste. »


Chercher des réponses

« En Afrique du Sud, mes recherches se sont déroulées dans les mines d’or sur lesquelles reposait l’économie du pays à cette époque. À mon arrivée au Canada, j’ai travaillé dans d’autres domaines, mais j’ai conservé mon intérêt pour les maladies respiratoires. »

« Lorsque le Dr Corbett McDonald du Département d’épidémiologie et de santé de McGill a lancé un programme de recherche sur la santé des mineurs et des minotiers de l’amiante au Québec, il m’a invitée à créer un laboratoire pour étudier leur fonction pulmonaire. La même question qu’en Afrique du Sud s’est alors posée. L’exposition aux autres poussières produites par l’amiante après son extraction provoquait-elle d’autres effets indésirables sur la santé? »

« À l’époque, la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) dont souffraient ces mineurs était uniquement attribuée au tabac et l’on songeait rarement à d’autres causes. »


Un parcours semé d’embûches

« On me demande souvent si le fait d’être une femme a compliqué mon parcours. J’ai toujours travaillé de manière collégiale. Au départ, ce milieu de recherche comptait peu de femmes, mais j’ai toujours senti que mes collègues m’écoutaient, qu’ils soient hommes ou femmes. Si nous n’étions pas d’accord sur un point, nous l’étions sur d’autres. »

« Jeune chercheuse, je n’étais pas habituée au fait que l’on puisse essuyer plusieurs refus pour un article. L’importance de la publication tient à ce que nos résultats trouvent un écho dans les revues internationales et soient accessibles à tous ceux qui travaillent dans le même domaine. Difficilement accessibles, les données préliminaires publiées dans les rapports techniques pour le gouvernement avaient peu d’utilité.»


Un travail ardu enfin récompensé

« Une avancée a été accomplie lors d’une conférence où les participants étaient pour l’essentiel en désaccord avec mes données ou l’interprétation que j’en faisais. Je ne pense pas que cet article aurait été accepté pour publication, mais il a été repris dans les actes de la conférence qui ont été publiés dans une revue très respectée en 1989. Au cours des années 1990, d’autres chercheurs sont parvenus à la même conclusion. »

« Mais c’est surtout lorsque l’American Thoracic Society m’a demandé de faire partie d’un comité pour préparer un énoncé sur “La contribution des expositions professionnelles aux maladies respiratoires” que les choses ont véritablement progressé. Lorsque cet énoncé a été publié en 2003 dans l’American Journal of Respiratory and Critical Care Medicine de l’American Thoracic Society, le concept a pu être porté à l’attention du plus grand nombre. »

« J’ai vu les résultats de mes recherches dans des cas portés à l’attention de la Commission de la santé et de la sécurité du travail du Québec et dans des cas reconnus ailleurs. Les données tirées des mines sud-africaines et québécoises font aujourd’hui partie du corpus des publications scientifiques. Le concept de BPCO est désormais largement accepté, au même titre que celui de la pneumoconiose : il s’agit d’une maladie professionnelle qui frappe les mineurs et les personnes exposées à des poussières minérales dans le cadre de leur travail. »