Soif de réponses sur le VIH

Au Ghana, Grace Marquis étudie le rapport entre santé infantile, mère séropositive et allaitement maternel. Des résultats qui étonnent.

Par Andrew Mullins

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Lorsqu’on parle de mortalité infantile causée par la malnutrition, l’image médiatique stéréotypée de la famine apparaît aussitôt, celle de l’enfant dépourvu de gras ou de muscle, du « petit paquet d’os ». Mais selon Grace Marquis, professeure agrégée à l’École de diététique et de nutrition humaine et au Centre d’études sur la nutrition et l’environnement des peuples autochtones, les cas de malnutrition extrême ne représentent que 17 pour cent de l’ensemble des décès attribuables à la malnutrition infantile dans les pays en développement. La malnutrition légère et modérée cause davantage de décès. « Les enfants semblent bien portants. Ils sont nombreux à être de faible poids, mais comme ils sont aussi petits pour leur âge, leur malnutrition ne saute pas aux yeux. » Voilà l’une des étonnantes constatations tirées des travaux de recherche menés par la Pre Marquis au Ghana


Un solide réseau

En collaboration avec ses confrères des universités du Ghana, de l’Iowa et du Connecticut, Grace Marquis vise à évaluer l’impact de la séropositivité de mères vivant dans l’est du Ghana sur la nutrition et les soins prodigués à leurs enfants. Appuyée par une subvention de 1,5 million de dollars, cette recherche de cinq ans sur l’amélioration de la nutrition et la croissance du nourrisson s’inscrit dans le cadre d’une campagne des Instituts nationaux de santé des États-Unis visant à conforter les capacités de recherche des établissements subsahariens. Les résultats colligés pourront ultérieurement sauver des vies et améliorer la santé de millions d’enfants.

L’étude entreprise est un ambitieux projet qui entend recruter 450 mères du district de Manya Krobo dans l’est du Ghana, une région où l’on enregistre le plus fort taux d’infections par le VIH (environ 4,7 pour cent de la population) et où la pauvreté est endémique. Les mères sont réparties également en trois groupes : infectées par le VIH, non infectées par le VIH et affichant un statut inconnu au regard du VIH. Pendant la grossesse, et jusqu’au jour où l’enfant atteint l’âge d’un an, les chercheurs recueilleront des données minutieusement détaillées, notamment des données démographiques de base (âge, sexe, niveau de scolarité, profession), ainsi que des données socioéconomiques (y compris des indicateurs de richesse cumulative et des données sur la qualité physique du logement occupé). Les chercheurs étudieront également les pratiques agricoles de la famille et la situation du ménage en matière de sécurité alimentaire, confor-mément à la définition de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, selon laquelle « la sécurité alimentaire existe lorsque tous les êtres humains ont, à tout moment, un accès physique et économique à une nourriture suffisante, saine et nutritive leur permettant de satisfaire leurs besoins énergétiques et leurs préférences alimentaires pour mener une vie saine et active ».


Contrôle exhaustif

Chaque mois, des données sur la croissance et la santé des nourrissons sont colligées
Chaque mois, des données sur la croissance et la santé des nourrissons sont colligées

Au Ghana, l’infection par le VIH est fortement stigmatisée. Bien que d’une manière générale, la population connaisse et comprenne les véritables modes de transmission (comportements sexuels, échange d’aiguilles, transmission mère-enfant), certains croient encore que le VIH peut se transmettre par contact direct. Les croyances religieuses, les préjugés liés au genre et le fait que le VIH soit associé à l’infidélité ajoutent par ailleurs à la confusion. Il en résulte que les femmes séropositives courent souvent le risque d’être chassées de chez elles par leur partenaire ou les membres de leur famille, et de perdre l’accès à un logement sûr et à des ressources alimentaires pour elles-mêmes et leurs enfants. La confidentialité chercheur-sujet est par conséquent fondamentale. Le personnel de l’étude insiste sur le fait qu’elle porte sur la croissance et la santé des enfants ; le VIH n’est jamais mentionné ouvertement et seul le coordonnateur sur le terrain connaît le statut des participantes à ce chapitre.

Les agents locaux du projet de recherche, toutes des femmes pour la plupart originaires de la région (et parlant couramment au moins une des neuf langues officielles et nombreux dialectes du district de Manya Krobo), font des visites à domicile bihebdomadaires pour recueillir l’information sur la santé de la mère et de l’enfant. Une fois par mois, elles évaluent la croissance des enfants en les pesant et en mesurant leur taille ainsi que leur périmètre crânien, brachial et thoracique. L’équipe surveille ensuite attentivement l’alimentation de chaque enfant, faisant un suivi de l’apport nutritionnel quotidien et notant s’il est allaité au sein ou s’il a été nourri avec de l’eau, des produits laitiers ou d’autres aliments. Chaque trimestre, les chercheurs font le relevé de l’apport alimentaire échelonné sur 24 heures, lequel inclut la pesée avant et après chaque tétée, pour mesurer l’apport en lait.

Cette surveillance exhaustive peut paraître quelque peu envahissante, admet la Pre Marquis, « mais dès qu’une femme commence à participer au processus, elle s’enquiert très souvent de la date de notre prochaine visite. Les agentes déployées sur le terrain leur offrent un accompagnement et une camaraderie qui ne manquent pas de les séduire. »


Maximiser les bienfaits du lait maternel

 La professeure Grace Marquis collabore avec des collègues au Ghana et aux États-Unis à une recherche sur l’amélioration de la nutrition et de la croissance du nourrisson visant à évaluer les pratiques optimales en matière d’allaitement pour les mères ghanéennes séropositives.
La professeure Grace Marquis collabore avec des collègues au Ghana et aux États-Unis à une recherche sur l’amélioration de la nutrition et de la croissance du nourrisson visant à évaluer les pratiques optimales en matière d’allaitement pour les mères ghanéennes séropositives.

L’allaitement maternel revêt une importance particulière pour les chercheurs. L’Organisation mondiale de la Santé recommande en effet l’allaitement au sein exclusif (ni eau ni autre aliment que le lait maternel) durant les six premiers mois pour les mères infectées par le VIH, à moins qu’elles aient accès à de l’eau potable et puissent se procurer une préparation pour nourrissons. Ces conseils peu- vent paraître contre-intuitifs, fait remarquer la Pre Marquis, mais médicalement, ils sont irréprochables.

« L’on pourrait croire qu’une mère séropositive devrait éviter d’allaiter son enfant », précise-t-elle, « mais l’allaitement au sein exclusif préserve la santé de l’intestin de l’enfant. Avant l’âge de six mois, l’introduction d’aliments autres que le lait maternel augmente le risque de lésions de la muqueuse intestinale [la paroi interne du tractus gastrointestinal], ce qui rend l’enfant plus vulnérable aux infections. » Le risque d’infection par le VIH pour l’enfant d’une mère séropositive diminue donc si celui-ci est exclusivement allaité au sein. En outre, si le lait maternel est combiné à de la névéripine pendant l’accouchement, suivi d’un traitement par antirétroviraux après la naissance, le risque de transmission mère-enfant peut diminuer de manière spectaculaire.

Les services de santé du Ghana et les ONG qui travaillent dans le domaine de la santé infantile ont déployé des efforts concertés à l’échelle nationale pour encourager l’allaitement maternel exclusif et sa poursuite associée à des compléments alimentaires. Grâce à ces initiatives, le Ghana affiche un taux d’allaitement maternel élevé : d’après une enquête nationale menée en 2003, l’allaitement au sein exclusif jusqu’à six mois était pratiqué par un tiers des mères et la durée moyenne de l’allaitement était de 23 mois. (En Amérique du Nord, seulement 10 pour cent des femmes allaitent pendant plus de 12 mois.) Pourtant, les résultats préliminaires de l’étude indiquent que l’allaitement précoce chez les mères séropositives du district de Manya Krobo est loin d’être idéal. « Elles sont plus susceptibles de pratiquer un allaitement mixte que les mères séronégatives, alternant lait maternel et préparation traditionnelle telle que le koko – un gruau à base de maïs pauvre en énergie et en nutriments », indique la Pre Marquis. « L’alimentation mixte est à l’opposé de ce qui est recommandé en raison du risque accru de diarrhée, de malnutrition et de transmission du VIH. Il importe donc que le message sur l’allaitement maternel exclusif atteigne bien les sujets les plus à risque, c’est-à-dire les femmes séropositives. »


Redonner

Beaucoup de données demeurent à recueillir et à analyser, et il faudra attendre plusieurs années avant que les résultats ne soient disponibles. « Peut-être découvrirons-nous qu’il faut mettre en place des programmes de supplémentation nutritionnelle à l’intention des enfants de mères séropositives, quel que soit le statut de l’enfant à ce chapitre », indique la Pre Marquis. « Il est possible que nous soyons amenés à constater la défaillance des systèmes sociaux et la nécessité d’intervenir pour aider les mères. Il se peut aussi que les pratiques agricoles changent de manière spectaculaire (comme c’est le cas lorsque les ménages choisissent des cultures plus faciles à planter et à récolter) et que les mères aient besoin d’aide à ce chapitre. »

Relayer ces données à la communauté est également essentiel. Tout au long du projet, les chercheurs de l’étude ont transmis des mises à jour régulières aux Services de santé du Ghana, aux cliniques locales responsables de la prise en charge des patients infectés par le VIH et à l’Association des Reines Mères (organisme local de femmes vivant au sein de sociétés traditionnelles et ayant travaillé activement au problème du VIH). Une fois l’étude terminée, les chercheurs organiseront un atelier pour informer les leaders communautaires, les chercheurs et les responsables chargés de traduire les données recueillies en interventions concrètes. « Armés de données solides, les pouvoirs publics, les ONG et les communautés pourront prendre des décisions sur les modalités d’intervention, apporter un soutien efficace ou assurer la formation de personnes susceptibles de venir en aide aux familles touchées par le VIH », conclut la Pre Marquis.


Grace Marquis est titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les aspects sociaux et environnementaux de la nutrition. L’étude pour l’amélioration de la nutrition et la croissance du nourrisson est financée par les Instituts nationaux de santé des États-Unis.