Révolutionnaire du règlement

Frédéric Bachand est à la tête du mouvement en faveur de l’arbitrage de conflits commerciaux, au détriment des poursuites judiciaires.

Par Jeff Roberts

Frédéric Bachand
Frédéric Bachand

En matière juridique, nous étions bien loin d’une querelle ordinaire liée aux clauses d’un contrat. Les parties en cause étaient d’importantes sociétés aériennes française et lybienne, et leur contrat prévoyait que tout litige serait tranché par arbitrage, à Montréal. Rappelons au passage que la compagnie française prétendait que le contrat ne pouvait être honoré en raison des sanctions exercées par les Nations Unies auprès de la Lybie, à la suite de l’attentat terroriste dont ont été victimes les passagers du vol Pan Am 103, au-dessus du village de Lockerbie, en Écosse.

En 1999, Frédéric Bachand faisait ses premières armes d’avocat, et cette affaire n’a pas seulement été un véritable baptême du feu dans le monde de l’arbitrage commercial international; elle lui a aussi donné l’occasion de participer de plain-pied à un domaine émergent du droit dans lequel il est devenu depuis une autorité mondiale.

« Tout ce qui concernait la mondialisation et le mode substitut de règlement des conflits n’était pas à l’ordre du jour lorsque j’ai terminé mes études de droit », se souvient Frédéric Bachand, désormais professeur adjoint à la Faculté de droit de l’Université McGill. Ce n’est qu’à l’issue d’études supérieures à Cambridge que l’étudiant québécois a pris conscience de l’intérêt de l’arbitrage comme instrument de règlement. Il s’agissait d’un domaine émergent qui offrait de vastes possibilités de créativité en tant qu’avocat et chercheur.

Inspiré d’une loi modèle des Nations Unies, l’arbitrage international permet aux entreprises de régler leurs différends par le biais de l’arbitrage exécutoire plutôt que de litiges. Cette approche présente des avantages immédiats et pratiques. En créant un ensemble de règles justes et uniformes, les entre- prises gagnent du temps et s’épargnent les frais et les incertitudes associés aux procès engagés dans des juridictions étrangères.

Frédéric Bachand a beaucoup écrit sur les procédures arbitrales et leur mise en œuvre ainsi que sur les interactions entre les règles normalisées et la culture juridique régionale. Il met son expertise en matière d’arbitrage au service de plusieurs revues internationales à titre de rédacteur en chef et de collaborateur, et présente régulièrement des communications sur cette question dans des pays comme la Russie, le Vietnam et l’Allemagne.

Si les dimensions pratiques de l’arbitrage plaisent au Pr Bachand, ce sont néanmoins les aspects théoriques de ses recherches qui l’enthousiasment le plus. Il s’intéresse plus particulièrement au métissage de cultures juridiques qui se produit lorsque les juristes tentent de greffer des règles internationales normalisées à des contextes locaux.

Tout comme un vêtement à taille unique sied différemment à ceux qui le portent, les règles uni- formes d’arbitrage subissent quelques contorsions lorsqu’on les applique dans de nouvelles juridictions. Ainsi, malgré la promesse d’un règlement rapide par arbitrage, le contentieux qui a opposé la France à la Lybie a duré cinq ans, car l’une des parties a remis en cause le territoire de compétence et les fondements de la décision de l’arbitre. Ce faisant, avocats et juges ont été obligés de comprendre le rôle du droit civil du Québec dans un régime juridique créé à l’échelle internationale, puis appliqué par la législation canadienne. (Soit dit en passant, les tribunaux ont statué que les sanctions imposées par les Nations Unies à la Lybie n’affectaient pas le caractère exécutoire de l’accord d’arbitrage.)

« En pratique, les juges peuvent avoir de grandes difficultés à l’appliquer. Que faire en cas de précédents étrangers et d’un ensemble de lois étrangères? C’est un peu comme si on leur demandait de parler une langue qu’ils ne connaissent pas très bien. »

McGill a donné au Pr Bachand les moyens d’explorer ce métissage juridique qui fait intrinsèquement partie de l’arbitrage international. Il mène des recherches au sein d’une faculté qui, tant sur le plan intellectuel que physique, se situe à la croisée de deux langues et de deux systèmes juridiques. Cet environnement a donné naissance à une communauté vouée à l’étude des dimensions internationales du droit et de leur évolution et, plus particulièrement, à l’approche transsystémique qui en découle et qui interprète les problèmes juridiques à la lumière de plusieurs systèmes et juridictions.

« L’arbitrage est un espace juridique fascinant où l’on peut observer le jeu du pluralisme et des concepts transsystémiques, un espace juridique logé au carrefour de différentes juridictions et résolutions arrêtées par les Nations Unies », explique le Pr Bachand.

« À McGill, nous sommes particulièrement bien placés pour réfléchir aux nouveaux arguments dont chercheurs, juges et avocats auront besoin. »

Frédéric Bachand a également apporté une autre contribution, certes beaucoup moins conventionnelle, au monde du droit. Lors d’une récente soirée-bénéfice au profit d’Avocats sans frontières au centre-ville de Montréal, il s’est produit à la batterie avec les membres de son groupe de mu- sique rock et heavy metal.

Fervent admirateur de Led Zeppelin, le posé professeur renoue à l’occasion avec ses amis musiciens. Sa seule concession est l’acquisition récente d’un coussin amortisseur de bruit pour sa batterie, une décision qui résulte probablement d’un arbitrage informel avec son épouse et ses voisins.


Les recherches de Frédéric Bachand sont financées par la Fondation canadienne pour l’innovation.