Si les découvertes scientifi ques sont depuis longtemps transformées en applications concrètes, deux bureaux de McGill veulent maintenant faciliter et améliorer le processus en misant très précisément sur les forces et les domaines d’expertise de leurs partenaires. / /
Par Victoria Leenders-Cheng
En novembre 2013, Jay Nadeau, professeure de génie biomédical à l’Université McGill, a participé à la version scientifique d’un épisode de l’émission Dans l’oeil du dragon.
AmorChem, un fonds de capital de risque local investissant dans des projets de recherche en sciences de la vie conçus au Québec, mettait à l’essai un nouveau mode d’évaluation des propositions de fi nancement, et la professeure Nadeau a été invitée à titre de concurrente.
Contrairement aux appels de propositions traditionnels, qui exigent une importante documentation et de longues présentations, l’événement en question, qui s’est tenu à Québec, n’a exigé des cinq chercheurs concurrents qu’un bref exposé devant un jury composé de scientifi ques bien connus. Au terme de l’épreuve, l’un d’eux était déclaré vainqueur et recevait des fonds pour son projet.
« Nous avions cinq minutes pour présenter notre proposition, sans support visuel, et devions ensuite répondre à des questions pendant sept minutes », se rappelle la professeure Nadeau, ajoutant en souriant : « C’était un peu comme une épreuve sportive. »
Pendant toute la compétition, la chercheuse a été guidée par le Bureau de la commercialisation de McGill, dont le mandat est d’aider les professeurs qui souhaitent mettre en marché un produit ou une méthode issus de leurs recherches. Le Bureau, dont Michèle Beaulieu est la directrice adjointe, oriente les chercheurs vers des occasions comme l’appel de propositions d’AmorChem et leur off re du soutien tout au long des processus complexes d’évaluation du potentiel commercial de la recherche, de négociation des licences, de démarrage de sociétés dérivées et d’obtention de brevets ou d’autres formes de protection de la propriété intellectuelle.
Depuis qu’elle est passée de CalTech à McGill, il y a presque dix ans, la professeure Nadeau étudie les eff ets biologiques des nanoparticules. Dans sa présentation à AmorChem, elle a décrit le potentiel des nanoparticules d’or dans la lutte contre le mélanome, une forme mortelle de cancer de la peau causée par une altération de l’ADN résultant habituellement de l’exposition aux rayons ultraviolets (UV) du soleil.
« Le mélanome est le cancer qui connaît la croissance la plus rapide au monde, surtout chez les baby-boomers et dans les pays qui comptent une forte population blanche », explique la professeure Nadeau. Aux États-Unis, on recense chaque année près de 70 000 nouveaux cas de mélanome et plus de 8 000 personnes en meurent. De plus, le mélanome est considéré comme un cancer de catégorie 5, contre lequel il n’existe pas de chimiothérapie effi cace.
Cependant, la professeure Nadeau et son équipe ont obtenu des résultats prometteurs dans leur laboratoire de recherche à l’Université McGill. Ils ont découvert que lorsque des nanoparticules d’or étaient conjuguées (liées) à des agents chimiothérapeutiques comme la doxorubicine et le dabrafénib, ceux-ci gagnaient en effi cacité : ils devenaient plus stables, plus biodisponibles et plus solubles pour être libérés par le sang.
Bien que la professeure Nadeau n’ait pas gagné la compétition, le groupe d’experts d’AmorChem a néanmoins trouvé son idée intéressante. L’entreprise lui a accordé la deuxième place et a off ert de fi nancer sa recherche.
Pour la professeure Nadeau, il est essentiel de jeter ces ponts entre la recherche universitaire et les applications potentielles. « L’an dernier, pendant mon congé sabbatique, j’ai travaillé avec plusieurs cliniciens et bon nombre
d’entre eux m’ont dit à quel point ils étaient frustrés de ne jamais voir les travaux universitaires se traduire en applications concrètes. »
En fait, des programmes et des organisations comme MITACS et l’ACCT Canada cherchent depuis longtemps à favoriser les partenariats entre l’État, l’entreprise et le milieu universitaire. En novembre 2013, la Fondation canadienne pour l’innovation a lancé un répertoire interrogeable en ligne pour mettre en contact les centres de recherche et les artenaires d’aff aires. Appelé le Navigateur, ce répertoire est considéré comme le premier outil du genre en Amérique du Nord.
C’est avec ces initiatives en toile de fond que le Centre de partenariat avec les entreprises de l’Université McGill (MUBEC) entre en scène.
Le MUBEC a pour mission d’encourager et de coordonner les interactions entre l’Université et ses partenaires potentiels, qu’il s’agisse d’occasions commerciales ou philanthropiques, de recrutement, de stages ou de formation de cadres. Propre à une institution et destiné à mettre à profi t (dans tous les sens du terme) les ressources considérables, étendues, complexes et innovantes de McGill, le Centre est le premier du genre au Canada.
« Les entreprises voulaient un guichet unique pour nouer des partenariats avec l’Université », affi rme Jean-François Nadeau, directeur du MUBEC. « Le MUBEC s’eff orce de bien comprendre les besoins et les objectifs stratégiques de ses partenaires. Il peut donc les orienter vers des occasions, des projets et des services d’éducation dans l’ensemble de l’Université – des occasions dont ils ne soupçonnaient peut-être pas l’existence. »
Récemment, le Centre a joué un rôle de coordination dans le partenariat entre Simon Tran, professeur de médecine dentaire, et BioGen Idec, une société de biotechnologie de Cambridge, au Massachusetts.
BioGen est un chef de fi le dans la mise au point de médicaments pharmaceutiques pour traiter les maladies auto-immunes, comme la sclérose en plaques. Dans le cadre de leurs activités de recherche et développement, les scientifi ques de BioGen espéraient étudier le comportement des globules blancs dans certaines conditions pour mieux comprendre la réaction immunitaire de
l’organisme. Dans ce cas précis, ils voulaient examiner la façon dont les globules blancs attaquent les cellules salivaires et devaient donc faire croître des cellules salivaires en culture. À la recherche d’un expert pour les conseiller en la matière,ils se sont adressés au docteur Tran.
« Il est diffi cile de faire croître des cellules salivaires », affi rme le docteur Tran, expliquant que la culture cellulaire est facilement envahie par des cellules du tissu conjonctif ordinaire connues sous le nom de fi broblastes. « Si vous commencez avec 10 fi broblastes et 10 cellules salivaires, vous vous retrouverez après une semaine avec 95 % de fi broblastes. Il faut alors beaucoup de patience pour purifi er les cellules salivaires. »
Titulaire d’une chaire de recherche du Canada sur le génie tissulaire et les cellules souches craniofaciales, le docteur Tran a publié il y a dix ans un article sur la culture de cellules de glande salivaire, et les gestionnaires de relations avec les entreprises de MUBEC ont suggéré qu’il enseigne cette méthode au personnel de BioGen dans son laboratoire de McGill.
En 2013, les employés de BioGen y sont venus à deux reprises et sont restés environ une semaine chaque fois. Le docteur Tran a utilisé avec eux la même méthode d’enseignement qu’avec ses étudiants. « Tout le monde passe par les mêmes étapes, dit-il. Le voir une fois, le faire une fois (ou, encore mieux, plusieurs fois), puis l’enseigner. »
Autrement dit, chaque personne observe le processus de mise en culture une fois, l’exécute au moins une fois, puis l’enseigne à quelqu’un d’autre. À la fin de la deuxième semaine, les chercheurs de BioGen avaient acquis les compétences nécessaires pour faire croître des cellules salivaires in vitro dans leur laboratoire de Cambridge.
BioGen n’est pas le seul partenaire de McGill à vouloir trouver de nouveaux traitements pour la sclérose en plaques (SP). En décembre 2013, AmorChem a signé un accord de partenariat avec Philippe Gros, professeur de biochimie, qui prévoit le fi nancement de travaux de recherche axés sur de nouveaux modes de traitement de maladies neuroinfl ammatoires, comme la SP.
Cet intérêt commun témoigne de l’urgence de trouver de nouveaux traitements pour la maladie. La SP touche plus de 2,5 millions de personnes, et le Canada présente l’un des plus hauts taux de SP au monde. Maladie complexe caractérisée par une inflammation entraînant la destruction graduelle de la gaine de myéline qui entoure et protège les fi bres nerveuses de l’organisme, la SP demeure incurable.
« Mon groupe utilise l’analyse génétique de modèles animaux d’infection pour identifi er les principaux gènes, protéines, cellules et voies qui sont activés en présence de situations pathologiques, comme l’infl ammation neuronale, explique le professeur Gros. Grâce aux outils génomiques modernes, nous pouvons
déterminer quel gène porte la mutation et quel gène doit être inactivé pour assurer une protection contre l’infl ammation. Si nous pouvons reproduire cela chez l’humain, nous pourrons peut-être trouver de nouvelles cibles pour les anti-infl ammatoires. »
Le professeur Gros espère que ses recherches permettront de mieux comprendre le processus de l’infl ammation, avec à la clé des applications universitaires et commerciales.
« Nous étudions de nombreux gènes et protéines, qui sont tous très intéressants d’un point de vue universitaire, dit-il. Si nous tombons sur un élément qui pourrait se révéler intéressant comme produit pharmacologique, nous en profi tons pour évaluer la possibilité de l’utiliser dans ce contexte. Le travail sur
d’autres gènes est incorporé à notre recherche fondamentale. »
Jay Nadeau souligne que le processus de commercialisation s’inscrit souvent dans le prolongement de la recherche fondamentale. « De toute évidence, nous avons fait beaucoup appel à la science fondamentale pour en arriver jusque-là
dans la conjugaison de nanoparticules d’or, explique-t-elle. Maintenant, l’attention est davantage tournée vers le produit et dans ma présentation, j’ai voulu convaincre AmorChem que nous étions prêts à entreprendre le processus de commercialisation de cette recherche. »
Le professeur Gros ajoute que la relation entre la recherche pure et la recherche appliquée peut se révéler complexe. « Même lorsque nous signons
des ententes portant sur la commercialisation ou les applications industrielles de nos travaux, nous prévoyons toujours une clause stipulant que nous conservons le droit de publier nos résultats, précise-t-il. Nous sommes un etablissement universitaire et nous ne nous transformons pas en fournisseur de services; nous demeurons fi dèles à notre mission universitaire et d’enseignement. »
Il souligne cependant qu’en cette période où le fi nancement de la recherche scientifi que est limité, des partenariats comme ceux que propose AmorChem « procurent des fonds très importants et nous permettent de faire de la recherche tout en ajoutant une plus-value à nos travaux ».
Pour Simon Tran, la collaboration avec le MUBEC et BioGen a été « un bon moyen de découvrir le mode de fonctionnement de l’industrie » et un rappel immédiat que « le travail des scientifi ques dans leur laboratoire peut servir à mettre au point des médicaments ou à concevoir d’autres applications ».
En tant que pôles d’innovation et de recherche, les universités ont toujours joué un rôle actif dans la recherche appliquée, que ce soit par des initiatives communautaires, des partenariats avec l’industrie ou des demandes de brevets.
Le Bureau de la commercialisation et le MUBEC réexaminent les relations qui existent entre un établissement universitaire et ses partenaires, et proposent une vision renouvelée des possibilités de collaboration.
Chercheurs de McGill, le monde entier vous attend. ■
COORDONNÉES
Bureau de la commercialisation
Michèle Beaulieu, directrice adjointe
MUBEC
(Centre de partenariat avec les entreprises de l’Université McGill)
Jean-François Nadeau, directeur principal