Quand l'infiniment petit voit grand

Par Michael Woloschuk

Tous les deux ans, le Réseau Nanotech Junior rassemble des doctorants des universités McGill et Ludwig-Maximilians de Munich. Si les nanosciences se mesurent à l’échelle de l’infiniment petit, il n’en reste pas moins que les innovations qu’elles permettent ont un rayonnement véritablement planétaire.

Université Ludwig-Maximilians, Munich
Université Ludwig-Maximilians, Munich

Connaissant l’allant et l’entrain qui font la réputation de ses deux villes hôtes– Montréal et son Festival de jazz l’été, Munich et sa Fête de la bière l’automne – rien de surprenant à ce que le Réseau Nanotech Junior ait été imaginé autour d’un ou deux verres dans un café vénitien. « Nous avons peutêtre trop arrosé notre rencontre », plaisante Peter Grütter, titulaire de la Chaire de physique James McGill et vice-doyen à la recherche et aux études supérieures de la Faculté des sciences de l’Université McGill, au souvenir de la conversation qu’il a eue en 2005 à Venise avec le professeur Hermann Gaub, directeur du Département de physique appliquée de l’Université Ludwig-Maximilians de Munich.

À cette époque, l’Université Ludwig-Maximilians, deuxième d’Allemagne, souhaitait créer, pour ses étudiants au doctorat en nanosciences, un programme d’échange. « J’ai alors proposé un échange avec McGill et suggéré que les étudiants s’hébergent mutuellement, explique le professeur Grütter, et ça a marché! »

Véritable « programme d’échange autogéré », le Réseau Nanotech Junior a lieu tous les deux ans depuis 2006; le prochain échange est prévu en juillet et en octobre 2010. Le Réseau regroupe dix doctorants de l’Institut des matériaux avancés de McGill et dix homologues du Centre des nanosciences (CeNS) de l’Université Ludwig-Maximilians. Pendant six semaines, les étudiants participent à des collaborations de recherche et à des conférences (voir encadré pour des exemples de projets passés). Les trois semaines à Montréal coïncident avec le Festival international de jazz, début juillet, et les trois semaines à Munich, avec l’Oktoberfest. De plus, le séjour à Munich s’accompagne d’une semaine à Venise, où le CeNS organise un atelier.

Situé au sous-sol du Pavillon M. H. Wong de l'Université McGill, ce microscope à forces atomiques doté d'un système à ultravide sert à la caractérisation et à la manipulation d'échantillons à échelle atomique.
Situé au sous-sol du Pavillon M. H. Wong de l'Université McGill, ce microscope à forces atomiques doté d'un système à ultravide sert à la caractérisation et à la manipulation d'échantillons à échelle atomique.

Ce calendrier n’a pas été arrêté par hasard : organiser cet échange en même temps que des événements culturels majeurs, fait remarquer le professeur Grütter, permet « de recruter pratiquement tous les conférenciers que nous vou lons ». C’est ainsi que le Réseau a pu inviter des sommités comme Duncan Stewart (Laboratoires Hewlett-Packard, à Palo Alto), Martin Moskovits (Université de Californie à Santa Barbara) et Mark Reed (Université Yale). Mais les véritables étoiles du programme sont les étudiants eux-mêmes qui conçoivent, présentent et encadrent des expériences scientifiques. Le travail de laboratoire est réalisé par les étudiants invités sous la direction des étudiants

hôtes, une formule propice à des échanges fructueux de connaissances et de nouvelles compétences techniques.

La nanotechnologie s’attache à scruter le comportement des matériaux à l’échelle atomique et permet aux chercheurs de concevoir des structures de 100 nanomètres ou moins (un nano mètre équivaut à un milliardième de mètre). Parmi les applications de la nanotechnologie figurent la nanoélectronique (comme les têtes de lecture des disques durs d’ordinateur), la nanomédecine (de nouveaux médicaments anticancéreux, à base de nanocoquilles d’or chauffées au moyen d’un laser capable de traverser les tissus, font actuellement l’objet d’essais cliniques) et l’optoélectronique (l’éclairage à incandescence est responsable de 20 pour cent de la consommation énergétique mondiale, mais les nouvelles lampes LED à nanoparticules semiconductrices pourraient permettre de réduire nettement cette consommation en la ramenant à un infime 0,2 pour cent). À l’échelle atomique, les frontières traditionnelles entre la physique, la chimie, le génie et les sciences de la vie disparaissent : la recherche en nanosciences exigeant que les scientifiques formés à ces différentes disciplines unissent leurs forces et bâtissent de solides réseaux internationaux.

« Le programme d’échange m’a fait comprendre que, quel que soit le pays, il y aura toujours des constances et des différences », explique Emily Cranston. Participante au Réseau Nanotech Junior de 2006, elle vient d’obtenir son doctorat en chimie des matériaux et poursuit des études postdoctorales à l’Institut royal de technologie de Stockholm. « Les constances en sciences sont la motivation, le sangfroid, la patience et la minutie. Les différences per mettent de mesurer l’enthousiasme, l’impact et tout ce qu’il reste à résoudre. Il ne faut jamais sous-estimer l’intérêt qu’il y a à discuter avec des personnes qui comprennent véritablement vos recherches. »

Le programme d’échange a permis à Emily Cranston, dont le projet consistait à utiliser l’ADN comme composant architectural dans l’assemblage de nanoparticules, de replacer ses recherches dans un contexte plus large et d’apprécier le rôle de la pluridisciplinarité. « Le programme d’échange occupe une place de choix dans mon CV pour trois raisons, explique- t-elle. Pour les compétences et “nanotechniques” qu’il m’a permis d’acquérir, pour les réseaux et collaborations avec d’autres chercheurs et établissements que j’ai pu nouer grâce à lui et enfin, parce qu’il m’a amenée à développer de solides habiletés en matière d’organisation et de motivation personnelle et à faire rayonner mon enthousiasme à l’égard de ce domaine d’études. »

En 2005, les professeurs Peter Grütter (à gauche) et Hermann Gaub ont mis au point le Réseau Nanotech Junior, un échange biennal de doctorants des universités McGill et Ludwig-Maximilians de Munich.
En 2005, les professeurs Peter Grütter (à gauche) et Hermann Gaub ont mis au point le Réseau Nanotech Junior, un échange biennal de doctorants des universités McGill et Ludwig-Maximilians de Munich.

Rien ne saurait satisfaire davantage le professeur Grütter, qui visait précisément ces objectifs lorsque l’idée lui est venue d’ajouter un « plus » à ce programme d’échange. « L’objectif fondamental est d’exposer les étudiants aux nanosciences, mais pas avec des projets tout prêts, expliquet-il. De plus, les étudiants doivent agir comme hôtes pour réduire les coûts; ils doivent s’organiser, préparer des projets, des ateliers et l’accueil de leurs homologues. »

Emily Cranston recommande-t-elle ce programme à d’autres étudiants? « Je le recommande, je l’ai recommandé et je continuerai de le faire, explique-t-elle. Toutefois, il faut savoir que c’est du sérieux, que ça prend du temps et retarde les travaux de recherche en cours, ce qui est parfois difficile à faire comprendre à son supérieur. Ce programme n’est pas fait pour ceux qui craignent de sortir de leur zone de confort. Pour moi, ce fut une expérience inoubliable. »

Le volet canadien de lʼédition 2010 du Réseau Nanotech Junior recevra le soutien de lʼInstitut canadien de recherches avancées. Les éditions passées ont bénéficié de subventions de lʼInstitut canadien de recherches avancées, du ministère des Relations internationales et du ministère du Développement économique, de lʼInnovation et de lʼExportation du Québec.