par Chris Atack
La découverte de 20 nouveaux pulsars confirme la théorie de la formation d’amas d’étoiles
Vicky Kaspi a des étoiles dans les yeux…ou plus précisément des pulsars – des restes de coeurs d’étoiles massives effondrées qui émettent des rayons X ou des signaux radio à intervalles réguliers.
Professeure de physique et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en astrophysique d’observation de l’Université McGill, Vicky Kaspi s’intéresse tout particulièrement aux pulsars qui pourront un jour servir de phares aux vaisseaux spatiaux qui sillonneront les profondeurs de l’espace interstellaire.
Vicky Kaspi et son équipe de recherche ont découvert récemment plus de 20 pulsars dans un seul amas d’étoiles de la Voie lactée. Cette découverte est impressionnante à plusieurs titres. Premièrement, les pulsars sont notoirement difficiles à trouver. Leurs signaux sont faibles et les autres étoiles génèrent tellement de « bruit »qu’il est difficile de déceler des signaux individuels. Pour cela, il faut des ordinateurs très puissants et des quantités véritablement astronomiques de données.
Deuxièmement, leur découverte permet de confirmer une théorie majeure sur la formation d’amas d’étoiles. « L’un de nos modèles de formation d’étoiles repose sur l’hypothèse que ce type d’amas particulier abrite plusieurs pulsars », indique Vicky Kaspi. « Mais pendant longtemps, nous n’avons pas pu en trouver un seul. En perçant le mystère de leur emplacement, nous avons validé ce modèle. C’est un soulagement, car cela veut dire que les théoriciens n’auront pas à reprendre leurs calculs et tout recommencer à zéro. »
Pour localiser les pulsars, les scientifiques utilisent des radiotélescopes et des télescopes à rayons X pour scruter le ciel afin d’y déceler des pulsations régulières.
Ils « téléchargent » du cosmos d’im-menses quantités de données, puis les passent au peigne fin grâce à de super- ordinateurs en vue de repérer les signaux réguliers dans un bruit de fond cosmique phénoménal.
« La plupart des pulsars émettent des ondes radio. Nous les cherchons donc à l’aide de radiotélescopes semblables à des satellites géants », précise Vicky Kaspi. « Si on amplifie les signaux à partir du télescope, on peut parfois “entendre” le signal d’un pulsar. »
« Ces signaux varient selon la vitesse de rotation du pulsar. Certains impriment une rotation par seconde, alors que le plus rapide fait au-delà de 642 rotations par seconde, si bien que le signal génère une véritable note musicale. On peut ensuite tracer les signaux des pulsars sur l’ordinateur et voir leurs pulsations – comme un battement de coeur dans le ciel. »
Vicky Kaspi utilise des radiotélescopes sur Terre ainsi que des radiotélescopes à rayons X mis en orbite pour étudier les pulsars et les étoiles à neutrons. Les données recueillies à partir de ces observatoires sont ensuite compilées et analysées par le mini-superordinateur Beowulf de son équipe, au troisième étage du Pavillon Rutherford de physique à l’Université McGill.
Vicky Kaspi est une spécialiste des « objets compacts », une catégorie qui englobe certains des éléments les plus étranges de l’univers connu : pulsars, trous noirs et étoiles à neutrons.
Ces objets se forment lorsque les étoiles beaucoup plus massives que le Soleil n’ont plus de carburant et que leur coeur s’effondre.
Lorsque les étoiles les plus massives s’effondrent, elles forment des trous noirs, des concentrations très denses de masse avec des champs gravitationnels tellement puissants que même la lumière ne peut s’en échapper. Puisque les trous noirs n’émettent pas de lumière, on ne peut les observer qu’en étudiant leur effet sur d’autres objets cosmiques.
Lorsque les étoiles moins massives s’effondrent, elles donnent naissance à des étoiles à neutrons. « Elles sont encore visibles et peuvent être observées », souligne Vicky Kaspi. « En les étudiant, nous pouvons apprendre comment la matière et l’énergie se comportent dans des conditions extrêmes en termes de densité, de gravité et de champs magnétiques, ce qui nous permet de repousser toujours plus loin les frontières de la physique d’une manière qui n’est pas praticable en laboratoire. »
Certaines étoiles à neutrons évoluent dans les systèmes binaires où deux étoiles sont en orbite l’une avec l’autre à des vitesses extrêmes. Dans ces circonstances, les lois de Newton ne tiennent pas, car les étoiles se déplacent trop vite, parfois à des fractions significatives de la vitesse de la lumière.
« À ces vitesses, la théorie de la relativité d’Einstein s’applique et nous pouvons de fait la tester en examinant la manière dont ces étoiles se déplacent », souligne-t-elle. « Nous pouvons aussi mesurer leur masse. Un jour peut-être pourrons-nous utiliser ces mesures pour déterminer quelle masse une étoile à neutrons doit atteindre avant de devenir un trou noir. C’est une question à laquelle nous aimerions pouvoir répondre. »
Les étoiles à neutrons sont extrêmement denses. S’il était possible de peser ne serait-ce qu’une cuillérée à thé de matière provenant d’une étoile à neutrons, l’aiguille de la balance oscillerait vers les milliards de tonnes. Les étoiles à neutrons tournent sur elles-mêmes, émettant parfois des pulsations radio, des rayons X ou une énergie lumineuse optique à chaque rotation. Ces étoiles portent le nom de pulsars, et figurent précisément au coeur de la récente découverte révolutionnaire de Vicky Kaspi.
Les pulsars et autres objets compacts ne sont en aucun cas les seuls axes de recherche de l’astrophysique moderne.
L’autre champ d’intérêt important de cette discipline est la cosmologie ou l’origine de l’univers dans le Big Bang et la formation des galaxies et des étoiles que nous voyons aujourd’hui à partir d’une masse de matière primaire.
L’origine et l’évolution des planètes intéressent également de près les astrophysiciens. Ces dernières années, les scientifiques se sont rendu compte que de nombreuses étoiles avaient des planètes. Ils essaient aujourd’hui de comprendre comment ces dernières se forment et cherchent à savoir s’il en existe d’autres comme la Terre.
Si les outils et méthodes de l’astrophysique sont ultramodernes, l’origine de cette discipline remonte à l’Égypte ancienne. « Depuis des millénaires, l’homme étudie les étoiles et les planètes mais ce sont les Égyptiens qui ont été les premiers à comprendre les objets cosmiques de manière rationnelle », souligne Vicky Kaspi.
« Par exemple, ils ont constaté que la Terre était ronde et ont même calculé la taille relative de la Terre, de la Lune et du Soleil. »
« Nous avons depuis accompli d’immenses progrès, mais des questions essentielles restent encore sans réponse. Par exemple, environ 70 pour cent de l’univers est constitué de ce que nous appelons la matière noire. Nous ne savons pas de quoi il s’agit. Elle exerce une gravité, mais ne brille pas. Nous ne savons donc pas de quoi est fait l’essentiel de la matière dans l’univers. C’est une question immense. »
Pour le moment, l’astrophysique est un champ en pleine expansion. De nouveaux télescopes sont construits et des découvertes formidables sont faites. Elle reste aussi l’une des sciences qui fait de nombreux adeptes dans le monde.
« Nous avons tous regardé les étoiles avec perplexité et émerveillement », indique Vicky Kaspi. « Lorsque nous voyons certaines images du télescope spatial Hubble, nous prenons conscience qu’il existe quelque chose de plus grand que nous. Cela nous inspire. »
« Nos étudiants ressentent cette inspiration. Ils aiment l’astrophysique et l’astronomie parce que ces sciences leur donnent la possibilité d’entrevoir quelque chose au-delà de notre planète, quelque chose de plus grand que la vie humaine, et il ne s’agit pas d’un film, mais de la vraie vie. »
Le pouvoir des étoiles
Même les astrophysiciens sont liés par la loi universelle de la recherche terrestre : ils ont besoin de fonds pour poursuivre leurs travaux. Et malgré le fait que les subventions de recherche au Canada ne soient pas astronomiques, elles permettent néanmoins aux astrophysiciens canadiens de figurer en bonne place dans leur discipline.
« Nous faisons appel à plusieurs conseils subventionnaires », souligne Vicky Kaspi. « L’un des plus généreux est le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada. Le gouvernement du Québec nous aide grâce au Fonds québécois de la recherche sur la nature et les technologies, et nous bénéficions aussi de l’aide de l’Institut canadien de recherches avancées. Enfin, les subventions de la Fondation canadienne pour l’innovation nous ont permis d’acquérir l’équipement essentiel à nos recherches, dont notre superordinateur. »
Historiquement, les astrophysiciens canadiens ont plus que justifié l’aide financière qui leur est accordée : « le rendement de recherche des astrophysiciens canadiens par personne est au moins comparable à celui de leurs collègues étrangers », souligne Vicky Kaspi. « En fait, le taux de citations par astronome est supérieur à celui de nombreux pays chefs de file – autrement dit, les articles de recherche des astrophysiciens canadiens sont cités plus souvent que ceux de leurs confrères. »
Faut-il financer la recherche sur les mystères du cosmos lorsqu’il existe tant de problèmes urgents à régler sur Terre? « Absolument. Tout au long de l’histoire, les percées les plus décisives de la science sont parvenues de directions insoupçonées. La recherche fondamentale non ciblée a permis d’engranger d’immenses dividendes et d’obtenir une foule de bénéfices inattendus », précise Mme Kaspi.
« Au cours des années 1800, par exemple, nombreux étaient ceux qui s’interrogeaient sur les expériences que le célèbre scientifique Michael Faraday menait sur les aimants, et se demandaient s’il faisait bon usage de son temps. Aujourd’hui, nous savons qu’il était en train de découvrir les lois fondamentales de l’électromagnétisme sur lesquelles repose notre société. On ne peut jamais savoir où la recherche va nous mener. »
L’astrophysique présente par ailleurs un autre avantage intangible, mais bien réel : elle peut motiver les jeunes gens à embrasser des carrières scientifiques. « J’ai discuté avec de nombreux chercheurs d’autres disciplines qui m’ont dit que leur intérêt pour la science leur venait de l’astronomie », précise la chercheuse. « Je pense vraiment que l’astrophysique stimule l’intérêt pour la science. »
– C. A.