Pour une governance efficace

Ancienne conseillère en chef du premier ministre britannique, Wendy Thomson a été au cœur de la réforme du service public dans le domaine de la santé, de l’éducation et de l’administration locale. Depuis son retour au sein de son alma mater en 2005, à l’École de service social de l’Université McGill, elle s’attache à améliorer la gouvernance des démocraties en développement.

Par Kristian Gravenor

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Pour Wendy Thomson, l’établissement de politiques n’est pas qu’une affaire de bonnes idées. Encore faut-il produire de bons résultats. En 2004, après avoir collaboré avec le gouvernement nigérian à la mise en place de services publics plus à l’écoute des citoyens (et moins enclins aux retards et aux « échanges de bons procédés »), elle a visité une école du district du sud du pays. Elle fut surprise d’y être accueillie par une association de parents d’élèves et d’enseignants, « une structure courante parmi les classes moyennes de pays occidentaux anglophones, mais que l’on ne s’attend pas à voir instaurée dans les zones rurales d’Afrique ». Pour lui souhaiter la bienvenue, on lui a offert une brouette remplie d’ignames et de poulets vivants. Et comme il y avait peu de chances qu’elle puisse cuisiner tous ces cadeaux, les rires ont fusé de toutes parts. « Un exemple parmi tant d’autres des multiples leçons d’humilité que l’on tire du travail avec les habitants de pays en développement », précise-t-elle.

Wendy Thomson a toujours insisté sur la nécessité d’ancrer l’analyse intellectuelle dans le monde réel. Originaire du quartier ouvrier de Verdun, à Montréal, elle a collaboré durant de nombreuses années avec des groupes communautaires comme À deux mains et la Maison Elizabeth et a œuvré à titre de bénévole pour Centraide. « J’ai toujours voulu bâtir un monde meilleur », se souvient-elle. Elle est l’une des premières de sa famille à avoir fait des études universitaires, obtenant un baccalauréat puis une maîtrise en service social à McGill, avant de partir à l’Université de Bristol pour y faire un doctorat. En 1985, elle intègre le service public du Conseil du Grand Londres, aux côtés de « Ken le rouge » (Ken Livingston, actuel maire de Londres) et décroche ensuite un poste de conseillère auprès du premier ministre Tony Blair, relativement à la réforme du service public.

Dans le cadre de sa collaboration avec le gouvernement britannique, Wendy Thomson a révolutionné le fonctionnement des principaux programmes publics.Aujourd’hui, elle met cette riche expérience pratique au service de la gouvernance des démocraties africaines.
Dans le cadre de sa collaboration avec le gouvernement britannique, Wendy Thomson a révolutionné le fonctionnement des principaux programmes publics.Aujourd’hui, elle met cette riche expérience pratique au service de la gouvernance des démocraties africaines.

Wendy Thomson a quitté le 10 Downing Street pour McGill peu de temps après la troisième élection du premier ministre britannique en 2005. Ayant réussi à remettre sur les rails de la performance les principaux programmes pu-blics de Grande-Bretagne, elle s’est ensuite intéressée à la gouvernance et à la réforme du service public en Afrique et au Moyen-Orient. « La santé et l’éducation font partie des préoccupations majeures du public dans tous les pays du monde », déclare-t-elle, « et une gouvernance efficace est aujourd’hui reconnue comme le principal élément de développement des pays les plus pauvres. Les gouvernements ne peuvent plus compter sur une population docile, pas plus qu’ils ne peuvent échapper à l’œil des médias et au débat sur le financement des services et leur contenu. » Dans de nombreux pays en développement, les dictatures et les conflits armés ont détruit les principales institutions de gouvernance (parlement, service public, ministères, conseils locaux) et épuisé les capacités nécessaires à leur bon fonctionnement. Wendy Thomson cherche à savoir comment édifier et pérenniser les institutions gouvernementales modernes et la société civile.

En 2005, elle a commencé à collaborer avec John Kufuor, le président du Ghana, premier État indépendant d’Afrique. Rattaché au cabinet présidentiel, au « Château » dans la Baie du Bénin, le travail de Wendy Thomson consistait à évaluer l’aptitude du Cabinet à faire en sorte que ministres et ministères soient tenus responsables de la concrétisation des priorités politiques qui leur étaient fixées. Ce projet a permis d’établir les éléments nécessaires au fonctionnement du centre névralgique du gouvernement ghanéen, notamment dans le domaine des communications stratégiques, en exploitant les réseaux locaux traditionnels ainsi que les médias modernes. Le président Kufuor s’est engagé à diversifier l’économie du Ghana et à hisser ce dernier parmi les nations à revenu intermédiaire, autant d’ambitions qui nécessitent une refonte radicale du service public et des ministères, de même que l’abandon des méthodes étatistes du passé. Pour que le président puisse aligner le budget sur les priorités fixées et surveiller étroitement leur mise en œuvre, un système de gestion du rendement est actuellement instauré.

Le Ghana donne quelques raisons d’être optimiste quant au développement de l’Afrique subsaharienne et est sur le point d’atteindre le statut de pays à revenu intermédiaire (conformément aux définitions des Nations Unies), de même que la plupart des Objectifs du Millénaire pour le développement qu’il s’était fixés. Outre d’ambitieux projets économiques, le gouvernement ghanéen a mis en place un régime d’assurance-maladie national, réformé le système d’éducation pour donner à tous l’accès à une éducation de base et diversifié l’économie afin d’affranchir le pays de sa dépendance au marché instable du cacao, autrefois l’une de ses principales exportations. Le travail de Wendy Thomson consiste à renforcer la responsabilité du président au pouvoir et à créer des institutions permanentes de gouvernance pour assurer la succession démocratique au sommet de l’État, lorsque le mandat du président Kufuor prendra fin en décembre 2008. Cette entreprise cadre bien avec son intérêt pour la gestion du rendement au Royaume-Uni, objectif qu’elle qualifie en ces termes : « Faire fonctionner les gouvernements dans différents contextes ».

Wendy Thomson pense que les ambitions de gouvernance, comme celles que nourrit le gouvernement Kufuor, nécessitent que des changements majeurs soient apportés aux relations entre les Africains et leurs gouvernements. « Le concept d’État comme fournisseur de services est nouveau en Afrique et souffre d’un manque de crédibilité », précise-t-elle. « Nous avons dressé un état des lieux des services publics, écouté le point de vue des usagers et obtenu des résultats prévisibles. Le chemin qu’il reste à parcourir est encore long. »

Mais bien des changements sont dans l’air au Ghana, dont la mise en place d’un système national d’assurance-maladie duquel bénéficiera un grand nombre de Ghanéens. « C’est un système très simple : suffit de s’inscrire et de verser une prime modeste pour obtenir une carte et certains services médicaux. L’assurance-maladie universelle est certes un projet colossal, mais il évolue dans le bon sens. »

« La plupart des démocraties occidentales tendent vers un “système social positif”, dans lequel le gouvernement développe la capacité de la population à faire des choix personnels et à s’adapter aux changements rapides de la mondialisation. Le système social positif consiste à investir dans l’éducation et les soins de santé et à lever les obstacles à la participation au marché de l’emploi et à la société civile. C’est un changement qui privilégie l’autonomisation, au détriment du rationnement de l’aide publique. »

En 2007, Wendy Thomson a participé au Forum mondial « Réinventer l’État », organisé par les Nations Unies, aux côtés de plus de 3 000 participants. Mus par une dynamique semblable à celle de la présidence Kufuor, de nombreux chefs de gouvernement cherchent à renouveler leur approche de la gouvernance, à prendre des décisions politiques fondées sur des données probantes et à renforcer la notion de responsabilité pour les services destinés à la population, laquelle s’attend désormais à ce que la démocratie lui procure des bienfaits concrets.

« Les problèmes sont souvent gigantesques », précise-t-elle. « Ces pays sont confrontés à des enjeux immenses et écrasants. La Banque mondiale leur demande de diversifier leur économie, de réduire les dépenses de l’État et de privatiser de plus en plus d’activités. La tâche est telle qu’elle donne le vertige et qu’elle est souvent difficile à faire accepter à l’électorat. Libéraliser le prix de l’essence, amener la population à payer des impôts… tout cela n’est guère électoraliste. »

Wendy Thomson croit que son expérience au Ghana et dans d’autres pays enrichit ses activités de recherche et d’enseignement à McGill et qu’elle lui permet de jeter un regard neuf sur le service public canadien. « Les recherches pratiques à l’étranger confèrent plus d’authenticité à l’enseignement et à la recherche », indique-t-elle. « Les étudiants entendent souvent des comptes rendus plutôt déprimants sur l’Afrique. On leur dit que c’est un continent ravagé par les conflits, la maladie et la pauvreté. Je tiens à en dresser un portrait plus complexe et plus optimiste, en soulignant son immense potentiel. Ce qui se passe à l’étranger ne fournit aucun motif de complaisance à l’égard de la situation au Canada. »