Par Andrew Mullins
Elle mesure 20 millimètres, pèse moins de 50 milligrammes et ressemble à un serpent. Cette nouvelle endoprothèse va radicalement améliorer la vie des enfants souffrant de sténose artérielle pulmonaire.
Malgré son apparente simplicité, la règle économique du jeu de l’offre et de la demande est fort difficile à faire comprendre aux parents d’enfants atteints d’une anomalie cardiaque congénitale. Alors que le traitement de la maladie coronarienne de l’adulte au moyen d’endoprothèses (petites structures métalliquesintroduites dans les artères pour améliorer ledébit sanguin) peut rapporter des millions dedollars à leur fabricant, les enfants souffrant d’anomalie cardiovasculaire ne représentent pas une part de marché suffisante pour justifier financièrement l’élaboration de dispositifs médicaux spécialement adaptés.
Selon Rosaire Mongrain, professeur au Département de génie mécanique et codirecteur du Laboratoire de génie cardiovasculaire à l’Institut de cardiologie de Montréal, quatre enfants sur 1 000 sont porteurs à la naissance d’une maladie du nom de sténose artérielle pulmonaire qui se caractérise par le rétrécissement de l’artère pulmonaire chargée d’alimenter les poumons en sang, où ce dernier est oxygéné. Cette maladie ralentit le débit sanguin, provoque une mauvaise oxygénation, rend difficile la respiration et affaiblit les sujets qui en sont atteints. Dans les cas extrêmes, le sang mal oxygéné provoque une cyanose (l’enfant devient bleu). Quand l’enfant grandit, sa maladie s’aggrave. Les traitements sont variables et vont de l’angioplastie à la chirurgie cardiaque. De plus en plus toutefois, les médecins ont recours à une procédure chirurgicale à effraction minimale qui consiste à mettre en place une endoprothèse pour élargir le diamètre de l’artère.
Jusqu’à présent, les chirurgiens pédiatriques étaient obligés d’utiliser l’équivalent de pièces pour Oldsmobile pour réparer, disons, une Smart. Autrement dit, ils doivent « bricoler » les endoprothèses conçues pour les adultes afin de les adapter à la morphologie des enfants. Sachant que 54 pour cent des décès cardiovasculaires chez l’adulte au Canada sont causés par la maladie coronarienne, les grands fabricants de dispositifs médicaux ne manifestent pas d’intérêt particulier pour l’élaboration d’un dispositif qui ne sera implanté que chez 0,4 pour cent des nouveau-nés.
La situation est donc loin d’être optimale. L’endoprothèse adulte ordinaire est une structure rigide, conçue pour prendre de l’expansion dans l’artère dont le diamètre a rétréci et qui s’est durcie à cause de l’accumulation de plaques. L’implantation de ce type de prothèse dans les artères d’un enfant l’expose à un risque de complications pendant sa croissance. Mais selon Richard Leask, titulaire d’une chaire de recherche William Dawson et professeur au Département de génie chimique, ce n’est pas le seul problème en cause. « Les vaisseaux sanguins des enfants sont très élastiques », souligne-t-il. « De ce fait, l’artère risque d’être en contact permanent avec les extrémités de l’endoprothèse. Ce frottement peut infliger des lésions au vaisseau, provoquer sa rupture et entraîner le décès de l’enfant. »
Les Prs Leask et Mongrain sont en passe de résoudre ce problème et s’attachent, en collaboration avec la société montréalaise Baylis Medical Inc., à mettre au point un prototype d’endoprothèse pédiatrique révolutionnaire.
Pour mieux comprendre les besoins des cardiologues, l’équipe a travaillé en étroite collaboration avec deux médecins de l’Hôpital Laval à Québec. Exaspérés par l’absence d’endoprothèses conçues spécifiquement pour les nourrissons, les Drs Olivier Bertrand et Josep Rodés ont posé une question toute simple : « Accepteriez-vous la mise en place de ce genre d’endoprothèse dans les artères de votre enfant? » Cette question, l’équipe de recherche en fait son principe directeur.
Pour commencer, les chercheurs ont sectionné une endoprothèse pour adulte dans le sens de la longueur, de manière à obtenir une structure capable de se déployer graduellement, en fonction de la croissance du vaisseau. Ils ont ensuite littéralement tordu le dispositif.
Assis dans le bureau de Richard Leask, Rosaire Mongrain brandit un petit cylindre en plastique qui abrite la troisième génération du précieux prototype. Le profane n’y verra sans doute qu’un petit ressort, mais il s’agit en réalité d’une pièce en acier inoxydable de qualité médicale découpée au laser et dont la conception revient à une muse… plutôt inhabituelle.
« Nous nous sommes inspirés du squelette du serpent », explique le Pr Mongrain. Le squelette du serpent est doté d’une cage thoracique qui protège les organes internes, « mais il est également très souple et n’a pas de sternum. Il est ouvert sur un côté. En fait, il ressemble à une endoprothèse coupée en deux. »
Le prototype est toutefois muni d’une « colonne vertébrale » en forme de spirale. « Il s’agit d’un prototype bioinspiré, et non bioimité », poursuit le Pr Mongrain. « Il suffit de prendre un squelette de serpent et de le tordre pour obtenir une colonne vertébrale en forme d’hélice. »
Pour matérialiser ce concept, les deux professeurs ont fait appel à une entreprise montréalaise qui sait très bien comment la nécessité peut parfois déboucher sur l’innovation. En 1986, une infirmière dotée d’un fort esprit entrepreneurial du nom de Gloria Baylis, déçue par l’incapacité de son hôpital à fournir de l’équipement de neurologie approprié, a fondé sa propre société de distribution. Baylis Medical Inc. est très vite devenue une entreprise spécialisée dans la conception et la fabrication d’équipement médical haute technologie. Désormais dirigée par l’ingénieur Frank Baylis, le fils de Gloria, la société propose une gamme complète d’équipements de cardiologie pédiatrique. Lorsque les Prs Leask et Mongrain ont proposé à Baylis de collaborer à leur projet d’endoprothèse, ils ont découvert que la société travaillait déjà à un projet comparable. C’est de là qu’est né leur partenariat.
Baylis Medical fournit l’investissement financier, doublé d’une subvention en espèces du CRSNG relevant du Programme de subventions de recherche et développement coopérative, ainsi que des équipements, des installations et de l’expertise technique. « Le budget, relativement modeste, se chiffre à environ 225 000 dollars sur trois ans », précise le Pr Mongrain, « ce qui est plutôt bon marché pour un dispositif médical. »
La société permet également aux chercheurs de nouer des liens avec d’autres entreprises pour le découpage au laser de leur prototype, souligne le Pr Leask « et ils ont participé à toutes les discussions, y compris celles portant sur la conception. Travailler avec eux a été une expérience vraiment enrichissante. »
Collaborer avec des chercheurs universitaires est aussi avantageux pour Baylis Medical. « Ils possèdent une solide expertise et ont également accès à de l’équipement », souligne Frank Baylis. « S’ils détiennent des connaissances uniques dans un domaine particulier, il va sans dire que nous pouvons en bénéficier. »
Le projet d’endoprothèse fait désormais l’objet d’essais auprès d’animaux; si ceux-ci donnent des résultats positifs, le champ d’application de ce dispositif prendra très vite de l’ampleur. Alors que le budget initial de l’équipe est restreint, il faut savoir que la mise en marché d’un dispositif médical nécessite la conduite d’essais cliniques chez l’humain et un processus d’homologation très long pouvant mobiliser des millions de dollars. Pourtant, Frank Baylis est prêt : « Si la conception, les prototypes et les tests sur l’animal sont prometteurs, nous pensons parvenir à mobiliser les ressources financières nécessaires pour mener à bien ce projet. »
Les Prs Mongrain et Leask se félicitent de ce que cette collaboration de recherche leur permette de venir directement en aide aux patients et aux médecins. « De nombreuses personnes mènent des recherches en génie biomédical sans jamais pouvoir discuter avec un médecin, ni avoir accès aux dimensions cliniques de leur travail », souligne le Pr Leask. « Toute notre force est là : nous avons noué de bonnes relations et des collaborations fructueuses. Nous ne travaillons pas pour, mais avec l’industrie. C’est de là que ce projet tire son succès et sa dynamique. »