Par Neale McDevitt
L’ultravidéoconférence : presque comme si vous y étiez
À bien des égards, on aurait pu croire à un cours de musique comme un autre. Le 17 novembre 2005, Gordon Foote, professeur à l’École de musique Schulich de McGill, dirigeait les musiciens de l’orchestre de jazz de McGill, encadrant et rythmant leur performance, opinant du chef à certaines phrases musicales particulièrement bien choisies, donnant la mesure avec la gestuelle qui est l’apanage exclusif de la direction musicale et de son phrasé. Vers la fin du concert, le Pr Foote a saisi son saxophone et improvisé avec l’orchestre. Ce subtil échange a ravi le public réuni pour l’occasion et l’a gratifié d’une créativité que l’on trouve exclusivement dans les flocons de neige et la musique en direct. À un seul détail près: 3 700 kilomètres séparaient le professeur de ses étudiants.
Gordon Foote était en effet à Seattle, où il participait à la prestigieuse conférence Supercomputing 2005 à laquelle des spécialistes mondiaux du milieu universitaire et du secteur public s’étaient réunis pour parler des ordinateurs et des réseaux haute performance, pendant que l’orchestre de jazz placé sous sa direction jouait à Montréal. La transmission sans heurts entre la salle de spectacle et le studio de musique était assurée par le système d’ultravidéoconférence de McGill.
Élaboré par John Roston, directeur des Services pédagogiques multimédias de McGill, Jeremy Cooperstock, professeur de génie électrique et informatique, Wieslaw Woszczyk, directeur fondateur du Centre de recherche interdisciplinaire en musique, médias et technologie (CRIMMT) et le développeur de logiciels Stephen Spackman, ce système est l’un des plus évolués du monde et a remporté le prix « Most Innovative Use of New Technology » (utilisation la plus innovatrice d’une nouvelle technologie) au congrès de Seattle.
« Lorsqu’on a une vue panoramique de la salle dans son intégralité et que l’on peut voir les gens présents grandeur nature et dans les moindres détails, on ne pense plus à la technologie, on a l’impression d’interagir avec de vraies personnes », précise John Roston.
Sur la côte ouest, trois écrans plasma de 165 cm ont donné aux congressistes l’impression qu’ils étaient dans la même salle de concert que l’orchestre. De plus, Gordon Foote a pu apporter des corrections subtiles aux techniques de doigté des musiciens à partir de ce qu’il voyait à l’écran; à l’évidence, on était loin de l’image trouble et de la mauvaise définition qui est le lot de la vidéoconférence traditionnelle.
Contrairement à la vidéoconférence traditionnelle, qui consacre des efforts considérables à essayer d’atténuer les contraintes liées à la largeur de bande, le système d’ultravidéoconférence transmet les données entre des ordinateurs situés de part et d’autre de la connexion sans comprimer les données. Cela permet de réduire au strict minimum la latence du système (ou le décalage d’un point à l’autre perceptible par les utilisateurs) et autorise des conversations ou la performance musicale en temps réel. Car comme Jeremy Cooperstock le fait remarquer, avec ce type d’application, « la latence est mortelle pour l’interaction ».
Le système transmet des signaux vidéo et audio entre Montréal et Vancouver sur le réseau à large bande CA*net4, un système de câbles à fibre optique financé par le gouvernement canadien, qui compriment l’information d’un océan à l’autre aux deux tiers de la vitesse de la lumière. Alors que les internautes qui bénéficient de connexions Internet haute vitesse reçoivent en règle générale trois mégabits de données par seconde, l’équipe de McGill à Seattle bénéficiait d’une vitesse de quatre gigabits par seconde – soit plus de mille fois ce que peut transmettre, toutes les dix secondes, un DVD rempli à pleine capacité.
Bien que l’ultravidéoconférence possède de multiples applications, y compris pour l’enseignement et l’interprétation en langue des signes à distance ainsi que la télémédecine, Stephen McAdams, directeur du CRIMMT, a sa propre idée du potentiel du système, et une idée qui lui tient particulièrement à cœur : « La mission du CRIMMT est d’exploiter ces technologies et d’en faire de l’art », précise-t-il.
À court terme, M. McAdams imagine que le système d’ultravidéoconférence sera utilisé pour résoudre un vieux dilemme de l’industrie du disque. « Les meilleurs musiciens de studio sont dispersés dans le monde entier », indique-t-il. « Bientôt, nous pourrons mettre en place des studios avec des musiciens qui jouent et enregistrent ensemble tout en étant disséminés aux quatre coins du continent. »
D’autres améliorations sont prévues, dont l’installation de caméras supplémentaires, pour permettre aux musiciens d’avoir des contacts visuels entre eux, et le déploiement d’un plus grand nombre de canaux audio pour améliorer l’ambiophonie, de sorte que le son ne sera pas uniquement transmis en temps réel, mais également depuis le lieu d’où il provient. Un système vibrosensoriel est actuellement mis à niveau pour permettre au public d’entendre jusqu’au bruit des pas des danseurs qui se produisent dans un lieu éloigné. « Il s’agit du concept même de la téléprésence », affirme Stephen McAdams. « Nous voulons que les gens aient l’impression d’être exactement au même endroit que la personne avec qui ils communiquent. »
Le projet d’ultravidéoconférence est subventionné principalement par CANARIE Inc. et Valorisation-Recherche Québec.
Pour obtenir de plus amples renseignements sur le CRIMMT, veuillez consulter l’article (en anglais) paru dans le McGill Reporter à l’adresse suivante : www.mcgill.ca/reporter/38/15/mozart/