par Charlotte Hussey
John Abela franchit les frontières culturelles et géographiques pour étudier le dépression chez les enfants
Winston Churchill l’appelait le « chien noir ». Ernest Hemingway l’avait sèchement qualifiée de « récompense de l’artiste ».
Marlon Brando, Vincent Van Gogh et Dolly Parton ont tous été aux prises avec le démon de la dépression.
Aujourd’hui, les recherches que mène le Pr John Abela démontrent que, dès l’âge de six ans, les enfants peuvent souffrir de la maladie qui a frappé, à travers l’histoire, des gens connus et d’autres moins connus.
John Abela, professeur agrégé de psychologie à McGill et directeur de la Clinique de thérapie cognitive-comportementale de l’Hôpital de Montréal pour enfants, rappelle que la découverte de la dépression clinique chez les enfants est assez récente puisqu’elle remonte aux vingt dernières années. Toutefois, la plupart des études menées sur la dépression infantile ont porté sur les adolescents, car on croyait que les jeunes enfants n’avaient pas les capacités cognitives, ni la faculté de dégager une perspective d’ensemble pour tirer les conclusions négatives qui nourrissent les symptômes dépressifs.
Les recherches de John Abela révèlent pourtant que la dépression peut frapper très tôt. Il a en effet découvert que de jeunes enfants pouvaient de fait développer les facteurs cognitifs susceptibles de provoquer une dépression.
Le Pr Abela a entrepris une étude complexe auprès d’enfants d’écoles primaires de Philadelphie et de Montréal. Son équipe de 32 étudiants a mené entre huit et seize évaluations de suivi, contrairement au plan des études classiques qui ne comporte qu’une évaluation initiale et un suivi.
Les enfants ont été invités à décrire les pensées qu’ils auraient eues si certains événements négatifs leur étaient arrivés. « Que se passerait-il si tu avais une mauvaise note à un examen, ou si tu n’étais pas invité à la fête d’anniversaire d’un camarade de classe? Les enfants peuvent répondre à ce type de questions », souligne le professeur.
Des enfants de six et sept ans ont donc été invités à faire connaître leurs réponses au moyen d’un assistant numérique doté d’un écran tactile. Les sujets ont beaucoup aimé cet exercice, et cette étude informatisée de surveillance de l’humeur a prouvé de manière concluante que la façon de penser des jeunes enfants pouvait les rendre dépressifs.
John Abela a donné une dimension véritablement internationale à ses études en se penchant sur l’effet de la culture sur la dépression, une variable rarement prise en compte dans ce genre de recherche, auprès d’environ 1000 adolescents de Montréal et de Shanghai.
Il a ainsi constaté que la dépression infantile ne respectait aucune frontière géographique.
« En l’espace de 15 ans, la Chine a connu le même nombre de changements que l’Europe ou l’Amérique du Nord en 70 ans, pendant la révolution industrielle », indique-t-il. L’infidélité conjugale et le divorce ont augmenté de manière vertigineuse, l’urbanisation a détruit l’organisation familiale traditionnelle et les taux de dépression en Chine sont aujourd’hui équivalents à ceux enregistrés dans nos propres pays.
Ayant découvert que les enfants occidentaux ne détenaient pas le monopole du « chien noir », le Pr Abela a souhaité étudier plus en profondeur l’impact culturel sur la dépression. Il a précisément cherché à savoir si l’adoption de certaines valeurs culturelles comme le matérialisme pouvait expliquer l’augmentation de la dépression, d’abord en Occident puis en Chine.
En bref, il a cherché à savoir si, dès lors que les enfants chinois adhéraient aux valeurs occidentales, ils affichaient eux aussi les taux plus élevés de dépression qui semblent les accompagner.
Le matérialisme, qui axe tout sur la réussite financière, l’apparence physique et la reconnaissance sociale, semble induire des taux plus élevés de symptômes dépressifs. « Les matérialistes ont un sens très fragile de leur moi car leur valeur dépend de l’obtention d’éléments qui leur sont extérieurs. La qualité de leurs relations interpersonnelles en souffre et ils ressentent plus de stress lorsqu’ils cherchent à atteindre des buts extrinsèques », souligne John Abela. Puisque le matérialisme gagne du terrain en Chine, les taux de dépression augmentent.
Le psychologue ne se contente pas de mieux comprendre la dépres- sion infantile, il cherche aussi à la prévenir. Accompagné de l’étudiant au doctorat Chad McWhinnie et de plusieurs étudiants de premier cycle qui travaillent avec lui à ses recherches, le Pr Abela a organisé un camp de jour de prévention de la dépression pour environ 80 élèves de sixième année de Montréal afin de faciliter leur passage à l’école secondaire.
Financée par le Positive Psychology Centre de l’Université de Pennsylvanie, cette nouvelle initiative « favorisera le développement de la force de caractère et des valeurs », précise le Pr Abela.
L’objectif, comme l’ensemble des travaux du chercheur, est de promouvoir le bien-être psychologique des enfants.
Les recherches que John Abela mène sur la dépression ont bénéficié de subventions du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, de l’Alliance nationale pour la recherche sur la schizophrénie et la dépression, de la Fondation canadienne de la recherche en psychiatrie, du Fonds québécois de la recherche sur la nature et les technologies et de la Fondation canadienne pour l’innovation.