Mobilisés et prêts à agir

Haïti, janvier 2010. Robin Cardamore, résidente en quatrième année de médecine d’urgence à McGill, fait sa tournée dans un hôpital de terrain. Elle apprend qu’une femme âgée hospitalisée dans la tente no 2, rangée no 8, n’a pas eu de nouvelles de sa famille depuis le récent séisme catastrophique. Robin Cardamore circule d’une tente à l’autre, réunissant, ici et là, des renseignements pouvant relier certains patients entre eux. Après avoir établi quelques rapprochements, fait quelques appels – et attendu avec angoisse – de bonnes nouvelles sont fi nalement relayées à la tente no 2. Tout est bien qui fi nit bien, mais Robin Cardamore est néanmoins frappée par le manque de continuité entre les soins médicaux et l’organisation du suivi. Elle décide alors de mettre au point un système de suivi des patients que les professionnels de santé peuvent utiliser au moyen de dispositifs portatifs. Telle est l’essence de la nouvelle Initiative d’études humanitaires de McGill.

Par Sylviane Duval

L’aide humanitaire offi cielle est un phénomène relativement nouveau. Lancée au milieu des années 1900 par la Croix- Rouge, elle a connu un essor considérable avec la création de Médecins sans frontières au cours des années 1970. Depuis, plusieurs organisations ont été créées et chacune agit à sa manière, selon des principes qui lui sont propres.

En 2005, la Dre Kirsten Johnson, aujourd’hui professeure à la Faculté de médecine de McGill, était étudiante de maîtrise en santé publique à Harvard aux côtés de personnalités très engagées dans l’aide humanitaire. Ensemble, ils ont fondé l’Initiative humanitaire Harvard, un complément de cours et de supports conçus pour les étudiants de 2e/3e cycles et résidents de médecine intéressés et motivés par l’aide humanitaire. Ce programme recrute désormais 150 étudiants, deux fois par an. En 2007, la Dre Johnson intègre McGill et reprend certains éléments du programme d’Harvard afi n de créer l’Initiative d’études humanitaires pour résidents. Harvard et McGill sont aujourd’hui les deux seules universités au monde à off rir une formation complète de ce type.

L’objectif à long terme de cette initiative est d’uniformiser l’aide humanitaire et de professionnaliser ses acteurs; ce qui revient à mener des recherches pour préciser les besoins et former les intervenants afi n qu’ils puissent agir effi cacement et en toute sécurité.

« Nous ne pouvons envoyer de jeunes gens à peine sortis de l’adolescence s’occuper de camps de réfugiés , explique la Dre Johnson. Au mieux, c’est un gaspillage d’argent, au pire, un risque pour des vies humaines ! »

Le programme de McGill reprend l’un des principaux cours de Harvard sur l’humanitarisme et propose trois jours d’exercices de simulation sur le terrain d’un réalisme saisissant, une série de modules sur le changement climatique, l’urbanisation, le droit international, l’anthropologie, l’épidémiologie et la médecine, un stage pratique d’un à trois mois, ainsi qu’un projet fi nal. En plus de satisfaire aux exigences du programme principal, les diplômés acquièrent des compétences pratiques, une expérience de terrain et de solides connaissances théoriques, éthiques et historiques des techniques de recherche, ainsi qu’un certifi cat en études humanitaires.

« Après une catastrophe naturelle, de nombreuses personnes se portent volontaires, explique Robin Cardamore, mais elles ne savent pas comment canaliser leur aide, ni comment être utiles. Ce programme nous donne un cadre pour appliquer nos connaissances aux situations humanitaires. »

Comme ce fut le cas pour Robin Cardamore en Haïti, les stages sur le terrain proposés dans le cadre de cette initiative donnent parfois naissance à de nouvelles pratiques. D’autres fois, ils aboutissent à la création de données standardisées ou encore à une analyse des besoins ou à un article sur les politiques; autant de ressources précieuses de la formidable volonté d’off rir des soins fondés sur des données probantes et d’améliorer les services. Marie-Renée Lajoie, résidente en médecine familiale, a élaboré une enquête visant à étudier comment les ONG font appel aux travailleurs en santé communautaire, comment ces derniers sont rémunérés et évalués et les facteurs ayant une incidence sur leur fi délisation. Les données qui en résulteront pourraient aider à déléguer certaines tâches à du personnel plus compétent afi n de libérer les médecins, de sorte qu’ils puissent se concentrer sur des tâches qui soient véritablement du ressort de leur expertise.

« Il s’agit d’un domaine de recherche extrêmement intéressant, non seulement parce qu’il est si récent, mais aussi parce qu’il permet de créer de nouvelles méthodologies, explique la Dre Johnson. Il faut faire preuve de créativité dans nos méthodes de recherche, car nos travaux diff èrent largement des études randomisées à double insu en milieu clinique. En zone de confl it, alors que nous traitons avec des populations déplacées et devons surmonter de nombreux obstacles linguistiques et culturels, nous devons agir dans l’urgence et être immédiatement à pied d’oeuvre. »

La Dre Johnson est elle-même habituée à éviter les tirs de balles – au sens propre. Avec ses collègues, elle étudie la violence sexuelle dans les zones de confl it, et plus particulièrement dans l’est de la République démocratique du Congo. Son équipe sera aussi la première à documenter la violence sexuelle motivée par des raisons politiques, comme les tactiques d’intimidation des électeurs lors d’élections tenues au Kenya, en 2007. Ces recherches devraient être utiles aux opérations de rétablissement de la paix et de justice qui seront déployées d’ici les élections de 2012 au Kenya, et permettre de combler certaines lacunes en matière de services, tout en répondant aux besoins des survivants.

« Nous pouvons défendre les intérêts des populations qui ne peuvent faire entendre leur voix, explique la Dre Johnson. Nous pouvons être utiles à ceux que nous essayons de servir et améliorer la qualité des interventions sur le terrain. »

Bien qu’il n’en soit qu’à sa deuxième année d’existence, le programme de McGill suscite déjà un vif intérêt, non seulement auprès d’étudiants en médecine, mais également en génie et en sciences politiques. En réponse à cet intérêt, la Dre Johnson a décidé d’ouvrir le programme à tous les étudiants de 2e/3e cycles et reçoit chaque semaine des demandes des quatre coins du pays.

« Je souhaite créer une communauté pour les organisations qui ne peuvent tabler sur leurs propres recherches. Je veux bâtir le programme, former les jeunes, explique-t-elle. L’aide humanitaire est en plein essor et prendra de plus en plus d’ampleur. L’Hôpital JFK de Monrovia au Libéria a besoin d’une base de données sur les traumatismes et sur les types de blessure pour mieux cibler ses services clés. À McGill, j’ai accès à des spécialistes de ces questions. Personne d’autre au Canada ne mène ce genre de travail. »

Kirsten Johnson est professeure adjointe a la Faculté de médecine, directrice par intérim de la Division internationale du Département de médecine familiale et codirectrice de l’Initiative d’études humanitaires. Non subventionnée, cette initiative recherche activement des bienfaiteurs.