L’amélioration des prévisions météorologiques est littéralement dans la ligne de mire du radar d’Isztar Zawadzki.
Par Mark Reynolds
Les prévisions météorologiques sont parfois une question de vie ou de mort. À la lumière du tragique bilan humain résultant du passage du cyclone Nargis au Myanmar, cela paraît évident. Mais les Canadiens ont souvent tendance à oublier qu’une trop grande quantité de pluie au mauvais moment peut être fatale. Les pluies torrentielles qui se sont abattues sur Montréal durant l’été 1987 en sont un exemple. En quelques minutes, l’eau a inondé le sous-sol des habitations, les rues et le réseau de métro et causé la mort d’un homme pris au piège dans sa voiture sur la voie expresse Décarie brusquement submergée.
Selon Isztar Zawadzki, nous devons nous préoccuper davantage de la météo. « Notre besoin de comprendre et la nécessité d’obtenir plus de renseignements suit la croissance de la population mondiale », déclare-t-il.
Directeur de l’Observatoire radar météorologique J. S. Marshall de McGill, le Pr Zawadzki est précisément là pour fournir ces informations. La Ville de Montréal utilise par exemple les données recueillies par l’installation qu’il dirige à Sainte-Anne-de-Bellevue pour la gestion de son réseau de canalisations d’eaux de ruissellement et d’égouts. Or, c’est justement l’application directe des travaux de recherche de pointe qui motive Isztar Zawadzki. Originaire d’Argentine, il est arrivé au Canada au cours des années 1960 pour une formation de neuf mois sous la direction de James Stewart Marshall à McGill. À titre de responsable du groupe de travail sur les radars créé par le gouvernement canadien lors la Deuxième Guerre mondiale, et fort à propos baptisé Stormy Weather (régime de tempête), le Pr Marshall a été le premier à percevoir au-delà des applications immédiates des radars en matière de repérage des avions. Après tout, et contrairement à la météorologie, les guerres ne durent pas.
Ne pouvant regagner son pays à cause d’un coup d’État, le Pr Zawadzki est demeuré à Montréal et dirige aujourd’hui l’institut où il a un jour été étudiant. Depuis 1968, son « laboratoire » est situé à proximité du campus Macdonald. La partie la plus visible de l’observatoire est une tour de 30 mètres surmontée de ce qui ressemble à une balle de golf géante de 12 mètres de diamètre. Cet écran sphérique abrite le disque rotatif de neuf mètres du Radar Doppler sur bande S, le plus grand de sa catégorie au Canada.
Alors qu’il étudiait la physique à Buenos Aires, le Pr Zawadzki s’est tourné vers les études atmosphériques « Parce que je voulais faire quelque chose de socialement utile ». Non sans ajouter immédiatement :« J’étais jeune alors ».
À l’époque, l’essentiel des recherches dans ce domaine avait pour but de comprendre la formation de la grêle afin d’en limiter les effets dévastateurs sur les cultures. Les recherches du Pr Zawadzki demeurent axées sur les précipitations verglaçantes, et n’ont rien perdu de leur utilité sociale.
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’eau peut exister sous forme liquide dans l’atmosphère supérieure, même à des températures de moins vingt degrés Celsius. Elle peut coexister avec des cristaux de glace dans les nuages, et la dynamique de différentes formes de liquide dans les courants atmosphériques peut radicalement modifier la nature des précipitations qui en résultent.
« Ces cristaux de glace peuvent grossir par agrégation et collision, ou en se chargeant d’eau superrefroidie », explique-t-il.
Les recherches du Pr Zawadzki visent en partie à élaborer des algorithmes qui permettront aux installations radars de mieux distinguer les variétés de cristaux de glace et l’eau superrefroidie dans l’atmosphère. Les météorologues pourront ainsi affiner leurs prédictions de grésil, de grêle, de neige ou de verglas.
L’équipe de l’Observatoire J. S. Marshall n’est pas seulement ferrée sur le plan de la théorie, elle se compose aussi de techniciens hors pair. À ce titre, elle n’est pas sans rappeler l’esprit « système D » qui a caractérisé le projet Stormy Weather. C’est ainsi que les membres de l’équipe ont mis au point un radar de pointage vertical et son logiciel correspondant pour sonder l’atmosphère en vue d’y déceler des mélanges d’eau et de glace. Une version de ce dispositif novateur, conçue pour détecter la neige et la vapeur d’eau superrefroidie, est actuellement mise à l’essai à l’Aéroport international Pearson de Toronto.
« Les avions qui volent dans de telles conditions météorologiques risquent d’accumuler de l’eau superrefroidie qui finira par geler. L’accumulation de glace sur les ailes des avions en réduit la portance », précise le Pr Zawadzki. Chaque année, le gel cause l’écrasement de petits et de gros appareils; ce fut notamment le cas au Manitoba en 2006.
Les recherches du Pr Zawadzki s’étendent au-delà du rayon de 300 kilomètres correspondant à la portée du radar de l’Observatoire J. S. Marshall. Ainsi, le radar de McGill est le seul participant canadien au projet américain Collaborative Adaptive Sensing of the Atmosphere (CASA)/ détection adaptative concertée de l’atmosphère, qui vise à révolutionner la manière dont les données météorologiques sont recueillies et rapportées. L’une des grandes faiblesses des radars météorologiques tient à leur propension à suréchantillonner l’atmosphère supérieure; la sphéricité de la Terre empêche en effet la plupart des radars d’observer certains phénomènes en basse altitude. Pour y remédier, le projet CASA, financé par la Fondation nationale des sciences et dirigé par l’Université du Massachusetts, entend déployer un réseau de radars à prix abordable et à haute densité pour recueillir des données localisées qui permettront de brosser un tableau précis et exhaustif des conditions météorologiques à plus grande échelle, et de combler les observations que les radars traditionnels ne peuvent recueillir dans l’atmosphère inférieure.
Isztar Zawadzki et deux professeurs adjoints du Département des sciences atmosphériques et océaniques, Frédéric Fabry et Pavlos Kollias, mènent des recherches sur un banc d’essai du projet CASA en Oklahoma, et exploitent un radar-pilote à Amherst, au Massachusetts. Mais l’équipe nourrit de plus hautes ambitions. Selon le Pr Zawadzki, le Canada pourrait devenir un partenaire à part entière du projet CASA. Si les droits de propriété intellectuelle constituent indéniablement une motivation (l’équipe de McGill travaille déjà avec Raytheon, un important conglomérat technologique américain), la nouvelle technologie pourrait fort bien être adaptée à l’observation du climat dans le Grand Nord.
« Le projet consiste à construire un banc d’essai canadien en vue d’adapter ce système aux conditions climatiques qui prévalent au pays », explique-t-il.
Le Pr Zawadzki précise que l’observation du climat à McGill revêt des applications immédiates et utiles. Outre le soutien de la Ville de Montréal, l’essentiel du budget d’exploitation de l’observatoire est pris en charge par Environnement Canada, que la station alimente en données. Lorsque les chercheurs de l’observatoire de Sainte-Anne-de-Bellevue ont conçu un nouvel algorithme pour les prévisions à court terme, l’organisme d’État a pu l’intégrer relativement rapidement.
« Le passage de la recherche fondamentale à la recherche appliquée est très rapide. Les recherches que nous menons débouchent immanquablement sur des méthodes opérationnelles à très court terme », conclut le Pr Zawadzki.
Ces recherches sont financées par Environnement Canada et bénéficient de subventions du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada et de la Fondation canadienne pour les sciences du climat et de l’atmosphère.