Les promesses de la génomique

Plusieurs chercheurs du Centre d’innovation Génome Québec et Université McGill ont complété leurs études pendant les 13 années qu’a duré le vaste projet multinational du génome humain (PGH). Or, ce sont les progrès réalisés depuis la cartographie du génome humain qui suscitent leur émerveillement.
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Illustration: Sébastien Thibault

Par James Martin

Plusieurs chercheurs du Centre d’innovation Génome Québec et Université McGill ont complété leurs études pendant les 13 années qu’a duré le vaste projet multinational du génome humain (PGH). Or, ce sont les progrès réalisés depuis la cartographie du génome humain qui suscitent leur émerveillement.

Lorsqu’il était scientifique au MIT, à Boston, Ken Dewar travaillait dans l’un des nombreux laboratoires à l’œuvre pour identifier les quelque trois milliards de molécules qui, enchaînées en une double hélice, constituent notre ADN. Aujourd’hui professeur agrégé au Département de génétique humaine et à la Division de médecine expérimentale de McGill, il possède toujours le tee-shirt commémorant la grande célébration organisée en 1999 pour souligner le séquençage du premier milliard de paires de bases du génome – soit moins du tiers du parcours. « C’était une énorme réalisation, affirme-t-il. Mais si on la compare à ce que nous sommes capables de faire aujourd’hui, c’était tout à fait anodin. Les choses ont radicalement changé. »

Il aura fallu des centaines de scientifiques dans des dizaines de laboratoires, plus de dix ans et un milliard de dollars pour créer la première « carte » de toutes les bases nucléotidiques – cytosine, guanine, adénine et thymine (C, G, A et T, pour les intimes) –, qui s’enchaînent pour former une seule et unique molécule d’ADN. Grâce à de nouveaux instruments ultrarapides, on arrive au même résultat en moins d’une semaine, pour quelques milliers de dollars. En fait, les systèmes de séquençage dont on dispose aujourd’hui sont tellement supérieurs à ceux de l’époque du PGH qu’il est plus efficace de séquencer plus d’un génome à la fois.

« Au cours des cinq dernières années, le taux de production de données génomiques a changé d’ordre de grandeur », affirme Tomi Pastinen, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en génomique humaine. Comme Ken Dewar, le Dr Pastinen travaille au Centre d’innovation Génome Québec et Université McGill. Il se souvient d’une époque où les étudiants aux cycles supérieurs étaient jugés à leur maniement de la pipette; or, il estime qu’aujourd’hui, 98 pour cent de son travail de recherche se fait devant un écran d’ordinateur. Dans ses propres recherches sur des maladies comme la leucémie infantile, les récentes avancées technologiques l’ont incité à abandonner les expériences fondées sur des hypothèses visant un ou deux gènes.

« Il est devenu plus facile de séquencer le génome au complet, puis d’analyser les données et d’en extraire des résultats, explique-t-il. Il est moins coûteux de tout tester en même temps, et cette technique élimine le biais du chercheur. En deux semaines, nous pouvons produire assez de données pour nous tenir occupés pendant deux ans. »

« L’informatique aussi a fait des progrès extraordinaires, ajoute le Pr Dewar, de sorte que nous pouvons effectuer ces analyses plus rapidement que jamais. »

La promesse a-t-elle été remplie?

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Jacek Majewski / Illustration: Kinsley Kreiswirth
« La grande question est la suivante : Que faire de toutes ces données? », demande Jacek Majewski, chercheur au Centre et professeur agrégé au Département de génétique humaine. Le titulaire de la Chaire de recherche du Canada en génétique statistique a amorcé ses études doctorales au tout début du PGH, à une époque où l’on séquençait l’ADN au moyen de gels toxiques, en griffonnant à la main de longues listes de nucléotides. C’était un travail laborieux, mais on fondait de grands espoirs sur ce projet.

À l’origine, l’objectif était de créer une carte de l’ADN humain qui allait ouvrir la voie à des recherches de haut niveau sur la traduction génétique, qui mèneraient à la découverte de remèdes pour des maladies génétiques touchant des milliards de personnes, comme les crises cardiaques, le diabète et l’asthme. Quand on lui demande les chances de voir ces espoirs réalisés d’ici les dix prochaines années, le Pr Majewski ne mâche pas ses mots : « Pratiquement nulles. La complexité de ces maladies avait été sous-estimée, et la recherche ne produira pas de résultats sur la traduction génétique aussi vite qu’on le croyait ».

Les scientifiques fondaient leurs espoirs sur le fait que ces maladies graves soient causées par un seul gène défectueux, ou quelques gènes tout au plus. Ce n’est pas le cas. Bien qu’il existe des formes rares de certaines maladies, comme le diabète, dont la cause peut être attribuée à une anomalie touchant un seul gène – ce qui facilite énormément le choix du traitement – les formes les plus courantes des maladies sont causées par des interactions entre des dizaines de gènes, et non par une seule défectuosité. « Une personne exposée au risque de diabète porte probablement de légères variations dans 10 à 20 gènes, peut-être jusqu’à 200 gènes, qui interagissent pour causer le problème, explique le PMajewski. Cela rend la maladie beaucoup plus difficile à cerner et à traiter. Nous n’avions pas prévu un tel degré de complexité quand nous avons amorcé ces grands projets de séquençage. »

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Rob Sladek / Illustration: Kinsley Kreiswirth

Le Dr Rob Sladek, endocrinologue et professeur agrégé de génétique humaine et de médecine, abonde dans le même sens. « Il est vrai que les maladies complexes et tardives sont beaucoup plus difficiles à cerner qu’on ne le croyait… mais nous n’avons pas perdu espoir, loin de là. De nouvelles méthodes et des études mieux conçues nous font énormément progresser. »

« La génomique entre dans une toute nouvelle ère, où la collaboration avec des spécialistes d’autres domaines, notamment la physique et l’informatique, nous permet d’étudier la dynamique des réarrangements du génome et de l’expression génétique dans des cellules individuelles au moyen d’instruments nanotechnologiques. »

Le PGH aura tout de même laissé un legs précieux en recherche fondamentale, dont nous récoltons déjà les dividendes en milieu clinique. Selon le Pr Majewski, deux domaines en particulier en ont d’ailleurs largement profité : le dépistage des maladies rares et récessives et la mise au point de traitements ciblés contre le cancer.

On estime qu’une personne sur vingt est atteinte d’une maladie rare due à une anomalie congénitale ou métabolique. Il existe des milliers de ces maladies, chacune touchant quelques centaines de personnes. « Le dépistage génétique nous permet aujourd’hui de prévenir ces maladies, et c’est au PGH qu’on le doit. C’est très stimulant, affirme Jacek Majewski. Pendant des années, j’ai fait de la recherche fondamentale. J’ai adoré cela, mais c’était très abstrait. Aujourd’hui, j’ai la chance de pouvoir aider des gens, et c’est un aspect très gratifiant de la recherche. »

La génomique permet également de trouver le médicament le plus efficace beaucoup plus tôt dans le traitement du cancer. Aujourd’hui, un médecin peut séquencer une biopsie et comparer le profil moléculaire de la tumeur cancéreuse à une base de données indiquant comment telle mutation a réagi à tel traitement, ce qui lui permet de choisir le meilleur traitement beaucoup plus rapidement. Par exemple, Le Pr Majewski étudie le glioblastome, une forme agressive de tumeur du cerveau qui pourrait être causée par un réarrangement chromosomique. La recherche fondamentale en génomique a révélé que ce réarrangement fusionne deux produits géniques (FGFR et TACC). Un nouveau médicament inhibiteur de la fonction du FGFR semble prometteur pour le traitement des patients atteints de glioblastome.

Que nous réserve l’avenir?

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Ken Dewar / Illustration: Kinsley Kreiswirth

Bien que la thérapie de précision ait déjà amélioré considérablement les résultats pour les patients après qu’ils ont contracté la maladie, Ken Dewar doute que la génomique livrera un jour le Saint Graal : modifier les gènes pour prévenir l’apparition des maladies. « Il existe d’énormes obstacles, affirme le chercheur, dont les deux principaux sujets de recherche sont les singes et les microbes. Imaginez le nombre de cellules nucléées de notre corps. Chacune de ces cellules a un noyau, chacun de ces noyaux contient une copie du génome, et il faudrait les corriger tous? J’ignore jusqu’à quel point cela est réaliste. Nous devons plutôt essayer de trouver d’autres moyens pour corriger ces dérèglements. »

Si rectifier chaque copie du génome d’une personne semble irréalisable, modifier le microbiome – le génome collectif de tous les microorganismes vivant dans le corps d’un individu – relève par contre du domaine du possible. Le PDewar a dirigé l’équipe qui a séquencé la souche de C. difficile responsable de centaines de décès au Québec durant une épidémie en 2003; le séquençage de cette bactérie a permis de mettre au point des tests plus efficaces pour reconnaître les patients infectés par les souches les plus virulentes. Il explique que la bactériothérapie fécale a obtenu un taux de succès de 95 pour cent pour éradiquer le C. difficile là où les traitements antibiotiques classiques avaient échoué. (La bactériothérapie fécale consiste à transplanter les fèces d’un donneur sain et non infecté à la personne malade afin de reconstituer son écologie microbienne et éradiquer les bactéries pathogènes.) Le Pr Dewar estime que ce type de microgestion – littéralement – de la génétique du microbiome pourrait se révéler la voie de l’avenir pour éliminer ou maîtriser de nombreuses maladies. Les candidats potentiels pour ce genre de traitement comprennent les troubles liés à l’assimilation des aliments et au métabolisme, ainsi que les syndromes inflammatoires de l’intestin.

« Ce genre d’étude de l’écologie et des populations microbiennes était impensable il y a dix ans, en raison du nombre d’espèces de microbes et de leur complexité, ainsi que de la taille cumulative du génome de tout ce qui vit à l’intérieur du corps humain, explique-t-il. Mais aujourd’hui, nous pouvons séquencer le génome de tous ces organismes. Le problème est d’identifier avec précision ce que nous avons séquencé, quand on sait que 90 pour cent de ces organismes sont complètement inconnus de la science. »

« Les choses avancent à un rythme accéléré, ajoute le Dr Pastinen. Plus la science du génome progresse, plus nous réalisons le degré de complexité du fonctionnement du génome humain et des cellules humaines. J’ai eu beau travailler sur des techniques de génomique durant les dernières années de mes études en médecine et de mon doctorat et savoir ce qui se profilait à l’horizon, jamais je n’aurais pu imaginer tout ce qui s’est produit au cours des dix dernières années. »

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Tomi Pastinen / Illustration: Kinsley Kreiswirth

Convaincues que la génomique du cancer a permis de cerner « presque tous les suspects génétiques » qui dérèglent l’épigénome (les fonctions chimiques du génome), les équipes du Pr Majewski et du DPastinen collaborent avec des scientifiques en recherche fondamentale de l’Université Rockefeller dans le but de concevoir de nouvelles molécules thérapeutiques.

« Je suis ravi de constater que les deux approches de recherche se rejoignent, affirme le DPastinen. La recherche fondamentale s’intéresse aux processus épigénétiques depuis plusieurs années. Et les mutations humaines associent ces processus à une conséquence phénotypique directe : ils causent le cancer. De notre côté, en recherche appliquée, nous pouvons désormais remonter la filière pour comprendre comment ces mutations dérèglent les processus normaux, puis concevoir de nouveaux médicaments pour en contrer les effets. »

« Ma formation de base est en médecine, conclut le Dr Pastinen. Mon intérêt premier est encore et toujours d’améliorer la condition humaine, et pas seulement de découvrir comment les gènes s’activent et se désactivent. Si on voulait seulement comprendre la biologie, on travaillerait avec des levures. »

Ces travaux ont été financés par la Fondation canadienne pour l’innovation, la Fondation Crohn et Colite Canada, la Fondation de la famille Bachynski, le Fonds de recherche du Québec – Santé, Génome Canada, Génome Québec, l’Institut national sur le diabète et sur les troubles digestifs et du rein, les Instituts nationaux de santé, l’Institut de recherche de la Société canadienne du cancer, les Instituts de recherche en santé du Canada, la Société de recherche sur le cancer et Tekes (Finlande).