Les magiciens d'os

Par James Martin

Des chercheurs du Centre de recherché du Centre de recherche et le parodonte percent le mystère des troubles musculosquelettiques

 Les maladies musculosquelettiques, telles que l'arthrite et l'ostéoporose, sont les causes les plus fréquentes de douleurs aiguës chroniques et d'invalidité. Marc McKee (à gauche), professeur à la Faculté de médecine dentaire et au Département d'anatomie et de biologie cellulaire, et le docteur David Goltzman, directeur du Centre de recherche sur le tissu osseux et le parodonte, s'intéressent aux mécanismes de ces maladies.
Les maladies musculosquelettiques, telles que l'arthrite et l'ostéoporose, sont les causes les plus fréquentes de douleurs aiguës chroniques et d'invalidité. Marc McKee (à gauche), professeur à la Faculté de médecine dentaire et au Département d'anatomie et de biologie cellulaire, et le docteur David Goltzman, directeur du Centre de recherche sur le tissu osseux et le parodonte, s'intéressent aux mécanismes de ces maladies.

Votre tête, vos bras et vos jambes sont pleins de minéraux. Et c’est une bonne nouvelle!

Ces minéraux, ou plus précisément ces nanocristaux de phosphate de calcium, s’accumulent dans l’échafaudage de protéines de certains tissus. « Notre corps abrite des milliards de ces nanocristaux qui se lient entre eux et durcissent comme du ciment », explique Marc McKee, chercheur au Centre de recherche sur le tissu osseux et le parodonte de l’Université McGill et professeur à la Faculté de médecine dentaire et au Département d’anatomie et de biologie cellulaire. Ces cristaux permettent de faire la distinction entre d’une part, les tissus minéralisés (os, cartilage, dents et otolithe – minuscules particules logées dans l’oreille interne essentielles au maintien de l’équilibre) et d’autre part, les tissus dits mous comme la peau ou les tendons. « Rares sont les personnes qui savent que les roches présentes dans leur environnement sont précisément celles qui leur permettent de se tenir debout », ajoute le Pr McKee.

Le scanner micro-CT permet d'obtenir des images de sections ultrafines d'un échantillon osseux, sans procédure effractive ou destructive.
Le scanner micro-CT permet d'obtenir des images de sections ultrafines d'un échantillon osseux, sans procédure effractive ou destructive.

Le scanner micro-CT permet d’obtenir des images de sections ultrafines d’un échantillon osseux, sans procédure effractive ou destructive.

Quand tout va bien, les cristaux que recèle notre organisme sont résistants. Mais tout ne va pas toujours bien. De fait, les maladies musculosquelettiques sont la cause la plus fréquente de douleurs sévères persistantes et de déficiences physiques, ce qui a amené l’Organisation mondiale de la Santé à déclarer les années 2000 « Décennie des os et des articulations ». Les problèmes dorsaux et les maladies articulaires, telles que l’arthrite, affligent des centaines de millions de personnes. Au stade avancé, le cancer gagne souvent les os, les affaiblissant et provoquant douleurs et fractures. Entre 30 et 40 pour cent des femmes de plus de 60 ans et environ 15 pour cent des hommes seront tôt ou tard victimes de fractures liées à l’ostéoporose (amincissement des os causé par leur déminéralisation), un problème qui se fait de plus en plus pressant à l’heure où les baby-boomers atteignent l’âge d’or. Sans parler des dents, puisque la population vieillissante est la principale cible de la perte osseuse et dentaire associée à la parodontopathie. Quelques maladies rares se caractérisent par un excès de densité osseuse, comme l’ostéopétrose (densité excessive du volume osseux) qui peut provoquer la cécité, la surdité ou des accidents cérébrovasculaires, ou encore la fibrodysplasie ossifiante progressive qui entraîne la minéralisation musculaire, transformant les personnes qui en sont atteintes en véritables statues humaines.

Les chercheurs de McGill s’intéressent depuis fort longtemps aux maladies osseuses. De Charles Leblond et Léonard Bélanger, inventeurs de la radioautographie (qui faisait appel aux isotopes radioactifs récemment découverts pour étudier le renouvellement cellulaire), à Charles Scriver, qui a décrit la génétique moléculaire des maladies osseuses, l’Université McGill s’est hissée aux avant-postes de la recherche sur le tissu minéralisé. Le Centre de recherche sur le tissu osseux et le parodonte perpétue cette tradition dans le but d’améliorer la qualité de vie des personnes atteintes de maladies musculosquelettiques.

  Ces vues anatomiques peuvent être fusionnées pour former une structure osseuse virtuelle en trois dimensions.
Ces vues anatomiques peuvent être fusionnées pour former une structure osseuse virtuelle en trois dimensions.

Coinitiative des facultés de médecine et de médecine dentaire, le Centre fédère plusieurs sites (dont divers laboratoires de médecine dentaire et de médecine, l’Institut des matériaux avancés de McGill et l’Hôpital général juif, ainsi que les Laboratoires Jamson T. N. Wong de recherche sur le tissu osseux et le parodonte) et forme à ce titre la plus importante masse critique de chercheurs spécialistes de l’os et du parodonte au monde. En plus de spécialistes du squelette, de la médecine dentaire et de la biologie cellulaire et moléculaire, le Centre accueille des investigateurs cliniciens qui étudient de nouveaux traitements pour les maladies osseuses, telles que l’ostéoporose et l’ostéogenèse imparfaite, et participe à l’Étude canadienne multicentrique sur l’ostéoporose (CaMos), une importante étude épidémiologique pancanadienne dont il est par ailleurs le siège social. « Les maladies que nous étudions au Centre causent de graves invalidités et grèvent lourdement le budget de la santé », souligne son directeur, le Dr David Goltzman, qui a contribué à la création du Centre en 2000, aux côtés des Prs McKee et Janet Henderson, vice-doyenne (recherche) de la Faculté de médecine. « Plus la population vieillit, plus ce problème revêt des proportions considérables dans le monde, sans compter qu’il touche pratiquement tous les groupes ethniques de chaque pays. »

Image d'une molaire et d'un os dans le segment mandibulaire d'un rat prise au moyen du scanner micro-CT.
Image d'une molaire et d'un os dans le segment mandibulaire d'un rat prise au moyen du scanner micro-CT.

Un appareil à rayons X standard ne détecte que les cristaux de phosphate de calcium dans leur globalité (c’est-à-dire sous la forme d’os ou de dent). Aussi faut-il de l’équipement spécialisé pour déceler les minuscules mécanismes à l’origine des troubles qui affectent le tissu minéralisé. Cet équipement est toutefois très coûteux. « Le Centre donne aux chercheurs la possibilité de se rencontrer et de collaborer », explique le Dr Goltzman, qui fut l’un des premiers à découvrir, avec le Dr Francis Glorieux, le rôle de la vitamine D et des bisphosphonates dans le maintien de la santé osseuse, « mais il leur donne aussi et surtout accès à un équipement ultraévolué qu’aucun chercheur ne peut se permettre. » La possession la plus précieuse du Centre est un scanner micro-CT d’une valeur de 350 000 dollars, qui permet aux chercheurs de segmenter un échantillon de tissu sans procédure effractive ou destructive. Contrairement aux clichés radiographiques instantanés, le scanner micro-CT permet de réaliser une série de clichés correspondant à des sections d’une épaisseur maximale de dix micromètres. Ces sections sont ensuite fusionnées pour former une image en trois dimensions; l’image virtuelle de l’os ou de la dent peut ainsi être tournée, enroulée et déroulée, voire dépouillée de ses multiples couches. Le scanner micro-CT permet aussi de quantifier la calcification dans l’échantillon de tissu; cette technologie est essentielle pour étudier les mécanismes et leurs éventuels traitements sur des modèles d’ostéoporose, de maladie osseuse génétique et de cancer osseux.

Le scanner micro-CT et le microscope électronique (utilisé pour étudier des nanocristaux individuels) ont joué un rôle essentiel dans la découverte importante que le Centre vient de signer, sous l’impulsion du

Pr McKee, sur le mécanisme de la calcification. L’on savait qu’une petite molécule du nom de pyrophosphate (PPi) empêchait la calcification en se liant directement aux cristaux de minéraux, mais les chercheurs du Centre savent aujourd’hui que le PPi déclenche aussi le mécanisme de défense naturelle de l’organisme, qui a pour effet d’augmenter le taux de protéines empêchant la calcification et de diminuer le taux d’enzymes la favorisant. « Cela montre que le PPi et les autres molécules agissent de concert pour contrôler la minéralisation », souligne le Dr McKee. « Par conséquent, à un niveau d’équilibre approprié, on peut les utiliser de manière thérapeutique pour bloquer la calcification dans les artères, les articulations et d’autres tissus mous. »

« Comprendre comment le calcium et le phosphate fusionnent pour durcir les tissus », ajoute-t-il, « ouvre la voie au développement de nouveaux traitements pharmacologiques pour traiter les maladies du squelette et dentaires, les calculs rénaux, les artères coronaires, l’athérosclérose et les maladies cardiovasculaires. »


Le Centre de recherche sur le tissu osseux et le parodonte est subventionné par les Instituts canadiens de recherche en santé, la Fondation canadienne pour l’innovation et Valorisation-Recherche Québec; il bénéficie également de l’aide de Mme Pierrette Wong.