Les chercheurs se tournent vers la sociologie, l’éducation et les politiques sociales pour freiner l’expansion du SIDA chez les jeunes d’Afrique du Sud.
Par Chris Atack
Les enfants et les jeunes d’aujourd’hui n’on jamais connu le monde d’avant le SIDA. En 2007, l’ONUSIDA rapportait qu’entre 2,2 et 2,6 milli- ons d’enfants de moins de 15 ans vivaient avec le VIH et qu’environ 420 000 d’entre eux avaient été infectés au cours de l’année. Pendant que les virologistes s’efforcent de reléguer cette maladie au rang des mauvais souvenirs pour les générations à venir, trois scientifiques mcgillois étudient de près la réalité contemporaine, se penchant sur les facteurs sociaux qui contribuent à la transmission du VIH chez les jeunes du Malawi, du Rwanda et d’Afrique du Sud, et à améliorer les soins à prodiguer à ceux déjà infectés.
Le mariage comme facteur de risque
Le contrôle de la propagation du VIH reste un enjeu majeur dans beaucoup de pays d’Afrique subsaharienne. Une partie du problème tient aux fausses hypothèses sur les modes de transmission du virus, explique Shelley Clark, professeure agrégée de sociologie et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en santé des jeunes, des femmes et des hommes et en santé mondiale.
« Jusqu’à récemment, les gouvernements et organismes d’aide humanitaire partaient du principe que la propagation du VIH était majoritairement causée par des comportements sexuels à risque comme la prostitution », explique Shelley Clark. « Ils ont alors conçu des campagnes de prévention fondées sur cette hypothèse. Dans certaines régions d’Afrique subsaharienne toutefois, le mariage est l’un des plus grands facteurs d’infection. Lorsque j’ai commencé à étudier les jeunes filles de ces régions, qui se marient avant l’âge de 20 ans, j’ai constaté qu’elles étaient exposées à un risque beaucoup plus élevé d’infection par le VIH que les jeunes filles célibataires sexuellement actives. »
« D’une certaine manière, c’était prévisible. Lorsque le sida a pris les proportions d’une épidémie, on a enregistré un pourcentage important et croissant de nouvelles infections par le VIH dans le cadre du mariage, signant l’échec total des méthodes de prévention classiques (abstinence, fidélité à un partenaire et utilisation du préservatif). L’abstinence n’est pas une solution sérieuse. La fidélité n’est pas une vertu universelle et l’utilisation du préservatif par les couples mariés est difficile, surtout lorsqu’ils essaient d’avoir des enfants. De toute évidence, nous devons repenser notre façon de protéger les personnes mariées. »
« En Amérique du Nord et en Europe, nous avons tendance à considérer les relations sexuelles prémaritales comme une étape précédant le mariage », explique-t-elle. « L’idée n’est pas de se marier avec n’importe quel partenaire, mais plutôt d’essayer de construire une union plus permanente. En Afrique subsaharienne cependant, spécialistes du sida et responsables de l’élaboration de politiques de prévention du sida ne perçoivent pas les relations sexuelles prémaritales comme s’inscrivant dans le processus de recherche d’un conjoint potentiel. Il s’agit plutôt d’activités sexuelles transactionnelles “à haut risque”, motivées par la recherche d’un gain financier et qui ne tiennent pratiquement pas compte des aspirations maritales. Pour comprendre le rôle qu’occupent ces dernières dans les comportements sexuels prémaritaux, j’étudie la manière dont les adolescents du Malawi perçoivent les relations prémaritales et ce que cela signifie en termes de risque d’infection. »
RISQUE LIÉ AU GENRE
Alors que de nombreuses personnes sont infectées par leur conjoint, dans les pays comme l’Afrique du Sud, le viol est aussi une cause très fréquente de transmission du VIH. Claudia Mitchell, titulaire d’une chaire James McGill à la Faculté des sciences de l’éducation et spécialiste de la violence dans les relations homme-femme, a travaillé en Afrique du Sud pendant de nombreuses années. Dans ce pays, le taux d’infection par le VIH est quatre à cinq fois plus élevé chez les femmes, essentiellement en raison de leur vulnérabilité sociale.
« Les premières expériences sexuelles des jeunes femmes sont souvent non consenties », explique-t-elle. « Autrement dit, le genre est un facteur de risque d’infection. L’incapacité des jeunes filles à négocier des relations sexuelles protégées et leur absence de pouvoir dans la plupart des relations sexuelles hissent la violence au rang des caractéristiques essentielles de l’épidémie. »
Claudia Mitchell a publié les résultats de ses recherches sur l’ampleur et la nature de la violence sexuelle dans son ouvrage intitulé Combating Gender Violence. Elle travaille actuellement avec des collègues africains à l’élaboration d’interventions efficaces. « Au Rwanda, nous collaborons avec des professionnels de la santé pour encourager les jeunes femmes à porter plainte en cas de viol et à recourir au dépistage de suivi. La participation des enseignants, des parents, des jeunes gens et des professionnels de la santé dans le processus de documentation marque le début de cette intervention », explique-t-elle.
« Dans les régions où la violence sexuelle fondée sur le genre est très marquée, nous avons organisé des ateliers et demandé aux participants de réfléchir aux caractéristiques essentielles de leur vie, aux défis et aux solutions possibles à mettre en œuvre pour combattre l’épidémie de sida. Nous leur donnons des appareils photo et les encourageons à dessiner. Invariablement, la violence sexiste et le sida apparaissent comme des problèmes majeurs. Les photographies qu’ils prennent et les dessins ou vidéos qu’ils produisent permettent de sensibiliser leurs propres communautés. Lorsque des jeunes de 14 ans d’un village conçoivent des affiches dans leur langue pour illustrer un problème particulier, leurs propos résonnent davantage que ceux apparaissant sur une affiche élaborée par un organisme international », soutient la chercheuse.
« Mentionnons l’exemple d’un dessin dramatique montrant un groupe d’enfants qui simule la pendaison d’un jeune garçon, accompagné de la légende suivante : “Je suis séropositif, autant mourir”. Ou encore ce groupe de jeunes filles à qui nous avons demandé de prendre des photos de leur village. Elles ont pris des photos des toilettes. Pourquoi? Parce que les toilettes sont loin dans les buissons et que ce sont des lieux particulièrement propices aux actes de violence fondée sur le sexe. Nous avons montré ces photos à leurs enseignants qui ont déclaré qu’ils savaient que les toilettes laissaient à désirer, mais qu’ils étaient loin de penser que les filles pourraient les percevoir comme des lieux dangereux pour leur sécurité », fait remarquer la Pre Mitchell.
En plus de donner aux habitants de ces villages les moyens de discuter des problèmes de VIH et de violence sexuelle, la Pre Mitchell et ses collègues étudient les moyens de permettre aux populations locales de s’exprimer sur l’élaboration de politiques. « Récemment, j’ai voyagé dans plusieurs régions du Rwanda en compagnie de deux consultants locaux pour former des groupes de femmes et d’enfants et les interroger sur les problèmes qu’ils aimeraient voir aborder dans les politiques destinées à combattre la violence contre les femmes et les enfants », précise la Pre Mitchell. « Nous avons réuni des données qui devraient permettre d’orienter les politiques élaborées par les ministères. Dans la mesure du possible, nous essayons de reprendre les termes des participants pour attirer l’attention sur les problèmes en jeu. Nous assurons actuellement la formation de responsables gouvernementaux pour qu’ils puissent faire participer les enfants et les jeunes à l’élaboration de politiques sur des questions essentielles comme la violence sexiste, le VIH, le sida, la pauvreté et la vulnérabilité des orphelins », conclut-elle.
SOUTIEN AUX ORPHELINS
Il n’est pas nécessaire que les enfants soient infectés pour que leur vie soit bouleversée par le sida. Les orphelins paient un lourd tribut à l’épidémie. L’étude de leurs souffrances et des moyens d’y remédier figure au cœur des recherches de la Dre Jody Heymann, directrice fondatrice de l’Institut de recherche sur les politiques sociales et de santé de McGill et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la santé et les politiques sociales dans le monde.
« Voilà plus de 20 ans que je mène des recherches sur le sida en Afrique. À l’Institut, en plus de rechercher des moyens de réduire le risque de transmission du VIH et d’accroître l’accès aux traitements, nous nous attachons à définir les moyens de nature à venir en aide aux 15 millions d’enfants d’Afrique subsaharienne que le sida a rendus orphelins. Élever et éduquer ces enfants, et aider les familles qui prennent soin d’eux à survivre économiquement est un enjeu considérable », indique Mme Heymann.
« Pour ce faire, nous étudions un certain nombre de projets destinés à aider les familles à se sortir de la pauvreté, tout en prenant soin des orphelins. Même s’il n’existe pas une seule bonne réponse, notre objectif est de travailler avec les responsables de programmes et les décideurs pour apporter de l’aide aux millions de familles qui vivent avec le VIH, qui prennent soin de leurs proches malades et qui s’occupent des orphelins », conclut Jody Heymann.
Le financement de ces recherches est assuré entre autres par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, la Fondation de recherche nationale (Afrique du Sud) et le Conseil de la population de New York.