Les aliments guérisseur

Par Philip Trum

On connaît tous le rôle primordial d’une saine alimentation pour la santé. Au cours des 15 dernières années, la recherche sur les produits nutraceutiques a connu une croissance vertigineuse. Ce champ d’études s’attache à identifier les caractéristiques qui permettent à certains aliments de prévenir la maladie, voire de l’éradiquer. Voici quatre aliments nutraceutiques miracles présentement dans la mire de chercheurs mcgillois.

Certains composés flavoniques, dont la génistéine, sont associés à la prévention du cancer du sein. Le soya en regorge parfois, mais il demeure difficile de déterminer combien une récolte en contiendra. « Une année, une récolte peut contenir une certaine concentration d’isoflavones», précise Philippe Seguin, directeur du Département de sciences végétales. «L’année suivante, la même semence peut produire une concentration nettement inférieure. C’est une question qui préoccupe grandement l’industrie. » Les fournisseurs veulent qu’on leur assure une certaine concentration d’isoflavones, dont ils vantent les bienfaits salutaires contenus dans les suppléments de soya qu’ils distribuent (largement commercialisés pour leur rôle dans le soulagement des symptômes liés à la ménopause). Les distributeurs d’aliments à base de soya, comme le tofu, exigent également d’être informés de la teneur précise d’isoflavones que contiennent leurs produits. À cette fin, M. Seguin s’intéresse à la relation entre les conditions environnementales (comme la température de l’air et l’humidité du sol) et les pratiques agricoles (dont l’utilisation d’engrais) et la concentration d’isoflavones dans les récoltes. «Nous cherchons à modéliser d’avance les facteurs selon lesquels la concentration sera établie, en tenant compte, par exemple, du niveau de la température de l’air au moment de la floraison des cultures.» Ce qui est un réel avantage pour les gens qui se soucient de leur santé et désirent faire provision d’isoflavones, tout en comsommant autre chose que de banales fèves.

Bien qu’il ne soit pas encore en vogue au Canada, le kéfir a depuis longtemps été adopté en Europe de l’Est et dans certaines régions d’Asie. Marco Polo, qui l’a découvert au cours de ses expéditions au XIIIesiècle, a d’ailleurs écrit que le kéfir «avait des propriétés toniques et nutritives, ayant guéri de nombreuses personnes atteintes de tuberculose ». Selon Stan Kubow, professeur agrégé à l’École de diététique et de nutrition humaine de McGill, la fermentation du soya à l’aide de kéfir est une combinaison judicieuse qui a des effets palpables sur la santé. Des essais ouverts (où les sujets savent ce qui leur est administré) ont invariablement démontré que le kéfir de soya agit comme un véritable analgésique chez les personnes atteintes de fibromyalgie – une maladie de longue durée caractérisée par des douleurs et une sensibilité dans tout le corps – ou du syndrome de fatigue chronique. Le soya contient des peptides opioïdes dérivés de la protéine de soya, et le professeur Kubow croit que la fermentation « engendre un superproduit du soya, où nombre des éléments bioactifs deviennent davantage biodisponibles, et sont absorbés de façon beaucoup plus efficace ». (Le kéfir de soya semble également améliorer l’humeur et l’énergie de façon marquée.)

Les chercheurs ont émis l’hypothèse selon laquelle le mode de fermentation du kéfir – produite non pas par une seule bactérie, mais par une matrice symbiotique issue de plusieurs bactéries – pourrait expliquer ses vertus exceptionnelles à l’égard de la santé. Ils ont mené des études, dont les conclusions ont été publiées dans le Journal of Medicinal Food et dans Breast Cancer – Current and Alternative Therapeutic Modalities, qui comparaient le lait fermenté de type kéfir à la bactérie généralement utilisée dans la fabrication du yogourt. « Les études ont révélé que le kéfir a des propriétés anticancéreuses beaucoup plus puissantes », souligne le professeur Kubow. « Nous croyons que les diverses bactéries agissent ensemble pour créer une synergie de composés bioactifs. » Et quand il s’agit de bactéries antidouleurs, la force semble résider dans le nombre.

De concert avec des collaborateurs, Stan Kubow a soumis le lactosérum à un test mené à l’aide d’un appareil de transformation à haute pression hyperbare de qualité industrielle et d’une puissance stupéfiante. Ce procédé est également appelé « pasteurisation à froid », en raison de sa capacité à détruire les bactéries. Comme résultat, on obtient un produit qui restaure la capacité d’un organisme sous tension à puiser les protéines pour combattre la maladie. De concert avec le Dr Larry Lands (Hôpital de Montréal pour Enfants), le Dr Franco Carli (Hôpital général de Montréal) et la professeure Linda Wykes (École de diététique et de nutrition humaine), Stan Kubow a étudié une foule de maladies. Le lactosérum pressurisé semble être particulièrement efficace dans la guérison de maladies caractérisées par une inflammation excessive. D’après les chercheurs, comme le processus modifie les structures des protéines du lactosérum, leurs peptides sont absorbés plus aisément–et grâce à cette biodisponibilité accrue, les gens sont moins assujettis à la production de radicaux libres (considérés comme un facteur de risque de maladie). Le lactosérum pressurisé n’est pas encore disponible sur le marché. «C’est une avenue que nous explorons», précise le professeur Kubow. « Mes collègues et moi avons démontré un vaste potentiel dont pourraient considérablement bénéficier la convalescence postopératoire ainsi que le traitement de la fibrose kystique, la maladie pulmonaire obstructive chronique et le syndrome du côlon irritable. À notre avis, le lactosérum pressurisé se révélera salutaire pour le traitement de nombreuses maladies. »

« Des frites avec ça? » Le pèse-personne est probablement le mieux indiqué pour répondre à cette question. Mais si vous devez succomber, autant en retirer le plus d’éléments nutritifs possible. Vijaya Raghavan, professeur au Département de génie des bioressources, explore de nouveaux processus pour extraire les bons nutriments de résidus de la transformation des aliments, comme les pelures de légumes et de fruits. Les pelures – celles de la pomme de terre en particulier – regorgent de nutriments qui aident à combattre les microbes, les carcinogènes et le cholestérol. Pourtant, l’industrie alimentaire canadienne en met chaque année deux millions de tonnes au rebut. De concert avec Stan Kubow et Danielle Donnelly (Département de sciences végétales), le professeur Raghavan fait l’essai de techniques extractives assistées par micro-ondes qui séparent rapidement les nutriments, minéraux et vitamines de la matrice biologique. L’extrait gorgé de nutriments pourrait alors être vendu sous forme de supplément individuel (Valérie Orsat, aussi en génie des bioressources, travaille à une technique de séchage par atomisation pour encapsuler les délicats composés bioactifs tels que vitamines et phytonutriments afin d’en préserver la viabilité), ou réintroduit dans les aliments, tels les frites et les croustilles dont la pelure a été retirée.