L'école 3.0

Le projet Environnements d’apprentissage interdisciplinaire, qui a ses assises à McGill et réunit des universitaires du monde entier, vise à déterminer comment des cours à forte composante technologique favorisent la concentration et l’intérêt des élèves tout en prévenant le décrochage scolaire. //

Par Laura Pellerine

Vous vous rappelez la scène du film La folle journée de Ferris Bueller, dans laquelle des élèves du secondaire fixent leur professeur d’un air absent pendant qu’il donne son cours d’une voix monocorde et assommante ? La tête sur le pupitre, un élève bave d’ennui, tandis que l’enseignant répète en vain : « Quelqu’un peut commenter ? »

Les auteurs d’un projet de recherche collaboratif espèrent éviter de telles scènes et favoriser la réussite d’élèves vulnérables (Statistique Canada recensait 190 800 décrocheurs en 2010 seulement).

Susanne Lajoie, titulaire d’une chaire de recherche du Canada de niveau 1 (Technologies de pointe d’apprentissage dans des contextes authentiques) et professeure au Département de psychopédagogie et de psychologie du counseling de l’Université McGill, est chercheuse principale du projet Environnements d’apprentissage interdisciplinaire (Learning Environments Across Disciplines – LEADS), dont l’objectif est de comprendre comment les élèves apprennent, et surtout, comment capter leur attention en classe.

Ce projet de recherche interdisciplinaire a recours à des environnements d’apprentissage à forte composante technologique pour déterminer avec plus de précision comment le fait d’apprendre peut emballer, ou lasser, des élèves de tout âge.

« De nos jours, le problème tient au fait que les élèves ont tous de merveilleux outils – réseaux sociaux, téléphones intelligents, iPad – qu’ils doivent cesser d’utiliser dès qu’ils entrent en classe », souligne la professeure Lajoie, membre de l’Association américaine des psychologues et de l’Association américaine de la recherche pédagogique. « S’il est vrai que cette mesure contribue à maintenir la concentration des élèves, il est néanmoins dommage de ne pas profiter en classe de cet engouement pour la technologie. Je ne dis pas que l’ajout d’un ordinateur dans la classe en fait un bon outil. Il faut concevoir la technologie de sorte qu’elle stimule l’apprentissage et la motivation émotionnelle. »

Or, la conception de la technologie constitue un volet important du projet LEADS. Forts d’une subvention de partenariat de 2,5 millions de dollars du programme Savoir du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, les chercheurs utiliseront des plateformes à forte composante technologique afin de documenter le processus d’apprentissage et les stratégies que les professeurs doivent adopter pour rehausser l’intérêt des élèves.

Dans le cadre de ce projet septennal de recherche, la professeure Lajoie est appuyée par 16 cochercheurs et 12 partenaires représentant 19 universités et agences du Canada, des États-Unis, d’Allemagne, d’Australie, du Danemark et de Chine. Le projet comporte trois volets. Roger Azevedo, professeur au même département que Mme Lajoie et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la métacognition et les technologies d’apprentissage de pointe, dirige le volet axé sur l’exploration d’apprentissages sociocognitifs. Reinhard Pekrun, professeur de psychologie à l’Université Louis et Maximilien de Munich, dirige les études sur l’engagement et le désengagement émotionnels. Enfin, Jacqueline Leighton, professeure de psychopédagogie à l’Université de l’Alberta, se penche sur les formes novatrices d’évaluation reposant sur des méthodes allant au-delà de l’auto-évaluation traditionnelle.

Les responsables de chacun des volets supervisent des collaborations entre chercheurs de divers horizons, qui se sont réunis pour la première fois en juin dernier dans le cadre d’un symposium de deux jours à Montréal. Psychologues, informaticiens, ingénieurs, ethnographes, éducateurs, médecins, historiens : tous s’y connaissent en sciences de l’éducation, mais aucun n’avait à ce jour échangé ses idées avec un groupe aussi éclectique.

« Certains s’intéressent à la théorie de l’apprentissage, d’autres à celle des émotions ou à la conception de technologies », affirme la professeure Lajoie. « Nous travaillions tous en vase clos, mais nous pourrons maintenant collaborer pour mettre au point de meilleurs outils. Comment une personne expérimentée en conception de jeux virtuels, mais qui n’a jamais travaillé avec des spécialistes d’autres disciplines peut-elle aider des médecins à créer des jeux destinés à la simulation médicale ? En regroupant les spécialistes, nous serons en mesure de conjuguer diverses méthodologies et théories. »

L’apparition de jeux vidéo en classe est un croisement disciplinaire que les élèves apprécieront à coup sûr. On trouve à la tête de ce projet James Lester, professeur d’informatique à l’Université d’État de la Caroline du Nord et cochercheur de l’équipe travaillant sur l’engagement et le désengagement émotionnels dans le cadre du projet LEADS. À ses yeux, faire partie de l’équipe tombait sous le sens, puisque ses recherches portent sur la mise au point de nouvelles technologies d’apprentissage au moyen de l’intelligence artificielle, de systèmes tutoriels intelligents, de linguistique informatique et d’interfaces intelligentes.

« Il existe une dynamique communauté d’experts en informatique intelligente au Canada, particulièrement à McGill, qui s’intéresse à l’application de l’intelligence artificielle aux environnements d’apprentissage », affirme le professeur Lester. « Roger Azevedo, éminent érudit dans ce domaine et titulaire d’une prestigieuse chaire en psychopédagogie, est l’un des acteurs clés de cette communauté. Lorsque j’ai appris que Sue et lui seraient les chercheurs principaux de ce projet, la décision de me joindre à eux s’est imposée d’elle-même. »

L’un des jeux éducatifs du professeur Lester, Crystal Island, nous plonge dans un monde virtuel conçu pour développer les aptitudes en résolution de problèmes. Ainsi, dans la version pour la 2e secondaire, les élèves jouent le rôle de détectives coincés sur une île dont certains éprouvent les premiers symptômes d’une maladie. Les participants doivent tirer parti de leurs connaissances en microbiologie pour poser un diagnostic.

Jusqu’à présent, les élèves réagissent positivement, précise le professeur Lester. « Une classe où l’apprentissage est ludique diff ère d’une classe traditionnelle. On s’attend à ce que les élèves soient bruyants, bavards et facilement distraits. Or, il n’en est rien, les élèves sont extrêmement concentrés. »

« La bataille est en partie gagnée lorsque les jeunes restent motivés. S’ils sont engagés, ils persisteront dans ce contexte d’apprentissage », souligne la professeure Lajoie.

Les chercheurs du projet LEADS travailleront surtout avec des élèves de la commission scolaire Rockyview, en Alberta – qui compte une quarantaine d’écoles primaires situées à proximité de Calgary – et du Réseau réussite Montréal, qui aide des élèves en diffi culté en s’associant à des jeunes, à des parents et à d’autres intervenants.

« J’ai un peu plus de 50 ans et lorsque j’étais à l’école, on apprenait la science en mémorisant toutes sortes de notions tirées de gros manuels », raconte le professeur Lester. « Les concepts piquent la curiosité des bons élèves, mais de nombreux jeunes ont besoin d’aide, et cette technologie peut leur être très utile. L’une des grandes promesses du projet est d’élargir la pépinière de jeunes talents – soit d’accroître le nombre d’élèves qui s’intéressent à la science, à la technologie, au génie et aux mathématiques. Il est trop tard pour le faire pendant les études secondaires et même, selon certains, au cours des dernières années du primaire. Il semble bien que ces technologies puissent être réellement efficaces. »

Le projet LEADS ne se réduit pas à la seule conception de technologies d’aide à l’apprentissage. Il cherche aussi à déterminer comment la technologie permet d’évaluer ce que ressentent les élèves pendant qu’ils apprennent. Les chercheurs étudient l’aff ect de diverses façons : le réflexe psychogalvanique pour mesurer, par exemple, la moiteur des paumes en cas de nervosité; la posture (le torse penché vers l’avant est synonyme d’intérêt; penché vers l’arrière, il traduit l’ennui); l’analyse de l’expression faciale; et la compréhension du langage naturel. Des techniques de linguistique informatique permettent aussi d’évaluer comment se sent un élève selon le langage qu’il utilise. Les recherches sur l’affect porteront également sur les progrès réalisés par les élèves en résolution de problèmes. Par exemple, comment faut-il interpréter les périodes de flottement lorsqu’un élève planche sur un problème de science ?

Est-il plongé dans une profonde réfl exion ou est-il coincé et ignore comment procéder ?

« Les tuteurs, enseignants et animateurs les plus compétents réussissent à offrir des expériences stimulantes aux apprenants et à déceler leurs frustrations », précise la professeure Lajoie. « Ainsi, nous désirons utiliser les technologies d’apprentissage afi n de reconnaître l’insatisfaction des élèves et leur donner un coup de main pour éviter qu’ils n’abandonnent. »

« À terme, nous voulons que les gens deviennent des apprenants à vie », ajoute la professeure Lajoie. « De nos jours, personne ne conserve le même emploi très longtemps, et la réussite exige une grande faculté d’adaptation. Il faut donc montrer aux élèves comment apprendre, notamment dans de nouveaux contextes. En trouvant de nouvelles façons de garder les gens à l’école, nous nous assurons qu’ils connaissent plus de succès à long terme, sur le plan personnel, mais aussi social. » 

Une subvention de 2,5 M$ du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada permet de financer le projet LEADS.