Par Philip Trum
Lorsque les personnes âgées parlent de reposer leurs vieux os, elles ne font pas dans la métaphore, tant il est vrai qu’après des décennies de bons et loyaux services, nos os finissent par accuser naturellement le coup – sans parler des maladies qui peuvent à terme les menacer. Rattaché à McGill et regroupant des chercheurs de tout le Québec, le Centre de recherche sur le tissu et le parodonte s’intéresse à deux maladies qui affligent (et font gémir de douleur) nos vieux os : l’ostéoporose et l’arthrose.
« Je remplirai tous tes os de douleurs, je te ferai mugir de telle sorte que les animaux trembleront au bruit de ton hurlement. » C’est en ces termes venimeux que Prospero menace son insolent serviteur dans La Tempête de Shakespeare, contraignant ce dernier à obtempérer sans autre forme de procès. Et avec raison d’ailleurs, car comme l’attesteront des millions de sexagénaires et septuagénaires canadiens, les douleurs osseuses peuvent être insoutenables.
Caractérisée par une diminution importante de la masse osseuse et une altération de l’architecture du tissu osseux, l’ostéoporose se manifeste habituellement autour de l’âge de 60-65 ans et survient parfois plus tôt. Près de 70 pour cent des personnes qui en sont atteintes sont des femmes. Faute de traitement, cette maladie peut fragiliser les os, au point de les rendre extrêmement vulnérables aux fractures. Grâce à ses travaux de recherche, le Dr David Goltzman a mis au jour des données surprenantes sur l’ostéoporose.
David Goltzman est directeur du Laboratoire de recherche sur le calcium du CUSM et professeur de médecine et de physiologie à la Faculté de médecine. Dans le cadre de ses recherches, il étudie le lien entre l’ostéoporose et les maladies cardiovasculaires, toutes deux très fréquentes chez les personnes de plus de 65 ans. Il suspecte les mécanismes permettant de fixer le calcium dans les os (une bonne chose) d’intervenir aussi dans la calcification des vaisseaux sanguins (une mauvaise chose). Malheureusement, cela signifie que le traitement de référence de l’ostéoporose (à base de calcium et de vitamine D) est susceptible d’entraîner un risque majoré de calcification vasculaire chez les patients. Autrement dit : le traitement de l’ostéoporose pourrait favoriser les maladies cardiovasculaires et les accidents vasculaires cérébraux. « Ce qui est bon d’un côté pourrait donc être mauvais de l’autre, explique le Dr Goltzman, mais il n’est pas interdit de penser qu’il soit possible d’optimiser le traitement antiostéoporotique, sans pour autant majorer le risque de maladie cardiovasculaire. » Préciser le mécanisme d’action du calcium et des hormones comme la vitamine D et leurs concentrations optimales efficaces est aujourd’hui l’un des principaux axes de recherche de son équipe et un domaine d’investigation qui devrait permettre de mieux comprendre les deux maladies et leur traitement.
Mais ce n’est pas là le seul changement récemment apporté à la manière dont nous appréhendons et traitons l’ostéoporose. À titre de directeur du Centre de recherche sur le tissu et le parodonte (une collaboration entre les facultés de médecine dentaire et de médecine de McGill qui réunit des chercheurs fondamentaux et des cliniciens de plusieurs universités du Québec), David Goltzman dirige aussi l’Étude canadienne multicentrique sur l’ostéoporose (ÉCMO). Cette dernière est une étude de cohorte prospective qui suit depuis plus de 14 ans près de 10 000 personnes dans neuf villes canadiennes. L’information issue de cette étude, la plus importante consacrée à l’ostéoporose à ce jour, a généré des données fort utiles qui contribuent à mieux diagnostiquer la maladie. De fait, les résultats colligés donnent à penser que la densité minérale osseuse n’est peut-être pas un indicateur aussi infaillible de l’ostéoporose qu’on le croyait. « La densité minérale osseuse (DMO) était le critère sine qua non pour le diagnostic de l’ostéoporose, explique le Dr Goltzman. Si la DMO était faible, on traitait. Mais en analysant l’ensemble des données de l’étude, nous avons constaté que la plupart des fractures ostéoporotiques survenaient chez les personnes dont la densité minérale osseuse n’était pas particulièrement faible. Ça ne veut pas dire qu’une faible densité osseuse soit sans conséquence, mais elle n’entraîne pas la même incidence pour une personne de 40 ans que pour une personne de 60 ans. »
Alors à quel niveau situer le risque? Tout dépend de la personne. C’est pour cette raison que l’ÉCMO, avec Ostéoporose Canada, collabore avec l’Organisation mondiale de la Santé afin de mettre au point un nouvel outil électronique permettant de déterminer le risque fracturaire ostéoporotique. Lancé au Canada en 2010, cet outil baptisé FRAX® tient compte des caractéristiques de chaque patient (âge, DMO, tabagisme, poids, taille, fractures antérieures) pour calculer, sur une période de dix ans, le risque de fracture de la hanche, de l’humérus, du poignet ou des vertèbres. Le Dr Goltzman aimerait que les cliniciens utilisent FRAX pour déterminer quel type de traitement, le cas échéant, prescrire à leurs patients.
S’il est vrai que les traitements antiostéoporotiques sont de plus en plus efficaces et qu’ils contribuent à arrêter la progression de la maladie de même qu’à prévenir entre 30 et 70 pour cent des fractures, l’arthrose, elle, ne peut être ni ralentie ni traitée, cette dernière étant causée par la destruction du cartilage à l’extrémité des structures osseuses. Les médecins n’ont d’autre recours que de traiter la douleur ou, en dernier ressort, de remplacer les articulations endommagées par voie chirurgicale. « Ce domaine thérapeutique a grand besoin de nouveaux médicaments et traitements », explique David Goltzman.
Et c’est précisément ce que John Di Battista, professeur de médecine à la Faculté de médecine, et ses collègues de l’Hôpital Royal Victoria s’attachent à faire. Bien qu’il existe des traitements de fond qui agissent sur l’évolution de la polyarthrite rhumatoïde, il n’existe pour l’heure aucun marqueur biologique fiable permettant la détection précoce de l’arthrose ni aucun traitement pour en inverser, voire en ralentir, l’évolution. Autrement dit, le diagnostic d’arthrose ne peut être établi que lorsque les symptômes sont installés, soit trop tard pour que soit opérée la moindre intervention autre que la prescription de médicaments destinés à atténuer la douleur, l’inflammation et l’œdème des articulations. « Nos traitements en la matière sont plutôt primitifs », explique le Pr Di Battista.
L’arthrose touche habituellement les articulations porteuses comme celles du genou, de la cheville et de la hanche. Elle se manifeste le plus souvent chez les personnes âgées entre 60 et 70 ans, et les femmes y sont trois fois plus exposées que les hommes (du moins en ce qui concerne les patients ayant besoin d’une chirurgie réparatrice). Comme cette maladie ne peut être inversée, les personnes atteintes d’arthrose au stade avancé n’ont souvent d’autre choix que de subir une arthroplastie. À Montréal seulement, plus de 2 000 arthroplasties de la hanche et du genou causées par l’arthrose sont pratiquées chaque année.
Chaque semaine, des chirurgiens orthopédiques font parvenir au Pr Di Battista trois ou quatre spécimens chirurgicaux (prélevés la plupart du temps dans le cadre d’arthroplasties prothétiques de la hanche et du genou). Ce dernier analyse chacun d’eux afin de déterminer si la membrane synoviale qui enveloppe normalement l’articulation contient du liquide synovial, lequel permet la lubrification des jointures.
Malgré un rôle capital, une membrane synoviale saine n’est formée que d’une couche cellulaire toute mince, moyennement vascularisée. Dans ces échantillons chirurgicaux, le Pr Di Battista a toutefois constaté que de nombreuses membranes inflammatoires présentaient des anomalies en ce qui a trait à l’épaisseur et à la vascularisation. Il semblerait notamment qu’une vascularisation excessive permette aux cellules immunitaires d’infiltrer la membrane et donc de déclencher une réaction auto-immune dirigée, dans ce cas précis, contre le cartilage. Après plusieurs années d’études, John Di Battista a identifié certains des mécanismes qui activent ce type d’arthrose inflammatoire. Il s’attache aujourd’hui à développer des interventions thérapeutiques permettant l’interruption du processus en inhibant les molécules intermédiaires.
« Pour l’heure, ce type d’arthrose est le seul dont nous pensons pouvoir modifier l’évolution, explique-t-il. Les données dont nous disposons nous amènent à croire que l’arthrose causée par un traumatisme articulaire, l’usure ou la génétique, est irréductible. Mais il faut quand même préciser que 20 à 30 pour cent des cas d’arthrose sont d’origine inflammatoire. »
Le laboratoire du Pr Di Battista étudie également certaines causes génétiques possibles de l’arthrose. « On pourrait penser qu’une maladie évolutive qui frappe essentiellement les personnes à la fin de la soixantaine ou vers l’âge de soixante-dix ans pourrait avoir un composant génétique, explique-t-il. Néanmoins, parmi les gènes que nous étudions actuellement, seuls quelques-uns semblent prédisposer à l’arthrose. » Ce n’est toutefois pas le cas des personnes souffrant d’hémochromatose, une maladie sanguine qui provoque une surcharge en fer. Près de 20 ans avant que ne surviennent la plupart des cas dits classiques, l’hémochromatose, chez les sujets dans la quarantaine, donne souvent lieu à l’arthrose. De plus, contrairement à l’arthrose « classique », elle se manifeste de manière parfaitement symétrique, touchant par exemple les deux hanches à la fois. Environ une personne sur 400 présente une mutation génétique qui l’expose au risque d’arthrose influencée par l’hémochromatose.
« Pour l’heure, nous ne pouvons traiter que les symptômes des personnes atteintes de la maladie au stade avancé, explique-t-il. Avec l’identification de marqueurs biologiques, notre objectif est de parvenir à prescrire des traitements préventifs avant que les patients ne commencent à présenter des douleurs invalidantes ou une perte de mobilité afin d’améliorer la qualité de vie des personnes de 70 ou 80 ans. »
Les IRSC ont récemment renouvelé le financement pour cinq ans de l’Étude canadienne multicentrique sur l’ostéoporose. Cette étude bénéficie également de subventions d’Amgen, Lilly, Merck et Novartis-DG. Les recherches du Pr Di Battista sont financées depuis près de 20 ans par les IRSC et la Société de l’arthrite du Canada.