Le pouvoir politique entre les mains du peuple

Par Jeff Roberts

Philip Oxhorn et le Centre d’études sur les régions en développement de McGill contribuent au renforcement des démocraties émergentes

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Pour Philip Oxhorn, la récente disparition de l’ancien dictateur chilien Augusto Pinochet n’a pas été qu’une simple manchette. Au cours des années 1980, alors que le général Pinochet prenait le pouvoir et établissait son régime de terreur, M. Oxhorn menait des études supérieures au Chili. Il a vu l’armée lancer des bombes lacrymogènes contre la population civile et frapper et tuer des gens dans les rues. Il a vu des familles soigner les blessés, s’inquiéter des disparus, pleurer leurs morts. Philip Oxhorn a également été le témoin privilégié d’un renouveau d’activité dans les églises et groupes de défense des droits de la personne, renouveau qui devait en dernier ressort venir à bout du dictateur et rétablir la démocratie au Chili. Il a été notamment frappé par le grand nombre de personnes qui ont exprimé leur désaccord en ayant recours à des activités non traditionnelles, telles que des peintures murales contre la dictature militaire réalisées dans la clandestinité. La preuve qu’il n’est pas nécessaire de participer à une manifestation organisée pour protester.

« J’ai assisté à la prise de conscience croissante de l’importance de la démocratie dans l’esprit des gens », se souvient le Pr Oxhorn, « de l’importance de rendre des comptes et de la nécessité de changer de régime. J’ai pu assister pour la première fois au développement de la conscience politique. J’ai vu à quel point la population était apte à prendre sa destinée en main et à clamer haut et fort ce qu’était le bien et ce qu’était le mal, à une époque où il était très dangereux de le faire. »

Philip Oxhorn
Philip Oxhorn

Aujourd’hui, en sa qualité de directeur du Centre d’études sur les régions en développement (CERD) de l’Université McGill, Philip Oxhorn propose une analyse nouvelle des transformations qui s’opèrent à la base. Le CERD est un noyau de chercheurs qui s’attachent à comprendre les fondements du développement démocratique et les enjeux actuels de la démocratie. En puisant aux sources de différentes disciplines, « le Centre fédère les résultats de recherches et les données issues de l’expérience politique sur le terrain pour partager un certain nombre d’idées avec la communauté la plus large possible. Nous jetons en quelque sorte un pont entre les universitaires, la société civile, les décideurs, le secteur privé et les ONG », explique-t-il.

Pendant ses études supérieures au Chili, sous la dictature de Pinochet, Philip Oxhorn a pris conscience du rôle crucial des manifestations publiques d’opinion, telles que cette peinture murale (ci-dessus), dans la genèse de la consience politique.

Au nombre de ses projets, le CERD étudie comment les groupes locaux répondent aux enjeux de la problématique homme-femme, des politiques de santé et du droit des peuples autochtones. Tout l’enjeu est d’aider ces groupes souvent marginalisés à intégrer le processus politique officiel et à contribuer à la stabilité à long terme des démocraties naissantes. « Pour que le développement soit durable et efficace, il faut que les personnes les plus susceptibles d’en bénéficier aient leur mot à dire dans sa conception et sa mise en œuvre », souligne le Pr Oxhorn, « et qu’elles puissent s’assurer qu’il existe des mécanismes de reddition de comptes permettant d’éviter que les fonds ne soient détournés à des fins personnelles. »

Les recherches du Centre permettent non seulement d’aider les groupes locaux à se prendre en main, mais proposent également de nouveaux moyens aux gouvernements étrangers et aux organismes d’aide pour renforcer l’efficacité des processus démocratiques. Parallèlement, le Pr Oxhorn préconise le réalisme sur ce que l’intervention extérieure peut amener à accomplir : « nous ne pouvons remplacer la société civile », indique-t-il. « Nous pouvons par contre lui venir en aide et lui donner les moyens de s’épanouir. »

Pour l’heure, le CERD compte 35 professeurs et 17 étudiants de 2e/3e cycles. Depuis qu’il a obtenu des fonds de l’Agence canadienne de développement international (ACDI) en 2006, le Centre a entrepris plusieurs initiatives nouvelles pour partager les fruits de ses recherches avec ceux qui travaillent au sein de démocraties émergentes ou collaborent avec elles. Une publication électronique intitulée Foresight: Thinking About Tomorrow’s Development Problems Today présente des études de longue haleine sur la question de la naissance des démocraties et de leur renforcement. En mars dernier, le CERD a organisé une conférence sur les enjeux du développement en Afrique subsaharienne; en juin, il a organisé un débat dans le cadre du Forum économique mondial des Amériques/Conférence de Montréal. Le directeur du Programme Économie de l’éducation de la Banque mondiale, le ministre d’État à la Défense de la Somalie et le président de l’Institut népalais de gestion des conflits, paix et développement figuraient parmi les participants à des événements récemment organisés par le Centre. Enfin, l’automne dernier, l’ancien premier ministre du Canada Joe Clark a intégré le CERD au poste de professeur praticien en partenariats public-privé.

« Le développement participatif suscite depuis dix ans de nombreux éloges stériles », souligne le Pr Oxhorn,

« mais s’agit-il vraiment d’un développement participatif? Les initiatives servent-elles effectivement les intérêts des populations? Quel type de politique du logement répond véritablement aux besoins des pauvres? Quels sont les moyens réellement efficaces de distribuer des médicaments contre le VIH/sida? »

« Nous possédons précisément l’expertise que des agences comme l’ACDI peuvent exploiter », ajoute-t-il.

« La technique du Centre en matière de recherche est de recueillir et d’analyser des données qui permettent de déterminer quelles sont les meilleures pratiques sur le terrain, puis d’en partager les résultats avec les décideurs de manière à ce qu’ils puissent concevoir de meilleures politiques susceptibles de générer les résultats escomptés. »


Le Centre d’études sur les régions en développement bénéficie d’une subvention de l’Université McGill et de l’Agence canadienne de développement international.


Un ancien premier ministre au CERD

Lors du Forum économique mondial des Amériques de 2006/Conférence de Montréal, Joe Clark a participé à un groupe de discussion sur la gouvernance et la réforme institutionnelle. Ce débat était animé par le directeur du Centre d’études sur les régions en développement, Philip Oxhorn, qui n’a pas manqué d’impressionner Joe Clark lorsqu’il a évoqué la mission du Centre. De fait, l’ancien premier ministre du Canada et secrétaire d’État aux Affaires extérieures a été tellement impressionné que six mois plus tard, il intégrait le CERD au poste de professeur praticien en partenariats public-privé.

Philip Oxhorn avec Joe Clark
Philip Oxhorn avec Joe Clark

« Le leadership actif qu’exerce le Canada dans le domaine du développement international a été l’une des caractéristiques à la fois de notre politique étrangère et de notre identité nationale », explique Joe Clark, qui revient du Nigeria et de la République démocratique du Congo où il a participé à une mission d’observation des élections présidentielles historiques, et perturbées, qui viennent de s’y dérouler. « McGill jouit d’une solide réputation et s’intéresse de très près à ces questions, et je suis heureux de travailler avec les étudiants et les membres du corps professoral sur les moyens qu’il est possible de mettre en œuvre pour renforcer ce rôle essentiel du Canada à l’échelle internationale. »

Pour Philip Oxhorn, Joe Clark est l’un des anciens ministres canadiens des Affaires étrangères les plus efficaces et il se félicite de le compter parmi les membres du Centre.

« L’an dernier », explique-t-il, « le CERD a été l’objet d’un renouvellement en profondeur dans le but de hisser McGill à l’avant-plan des études et recherches sur le développement et de donner à ses activités un ancrage dans la réalité et dans la résolution de problèmes concrets. La nomination de M. Clark est à l’image de ce processus et elle nous permettra d’avancer dans cette direction. »

Joe Clark n’enseignera pas pendant la première année de son mandat, mais donnera régulièrement des conférences au niveau des premier, deuxième et troisième cycles. En janvier, il a prononcé une conférence publique importante sur les « écarts troublants » récents de la politique étrangère canadienne traditionnelle. Il est également à l’origine de plusieurs initiatives du CERD, dont des conférences sur les enjeux du développement en Afrique et les relations que le Canada entretient avec les Caraïbes anglophones.