Le langage sous toutes ses formes

par James Martin

  Shari Baum, directrice de l'École des sciences de la communication humaine, explique avec enthousiasme en quoi les atouts complémentaires de la recherche interdisciplinaire permettent de répondre à des questions fondamentales sur le fonctionnement du langage et le cerveau.
Shari Baum, directrice de l’École des sciences de la communication humaine, explique avec enthousiasme en quoi les atouts complémentaires de la recherche interdisciplinaire permettent de répondre à des questions fondamentales sur le fonctionnement du langage et le cerveau.

Montréal, ville bilingue et multiculturelle, est un lieu rêvé pour tout chercheur sur le langage. C’est dans cet environnement très riche que se sont déroulées les recherches novatrices au nombre desquelles figure la découverte, en 1962, du psychologue Wallace Lambert et de la chercheuse Elizabeth Peal, selon laquelle le bilinguisme favorisait le développement des aptitudes cognitives au lieu de lui nuire. Fort de la longue tradition de McGill en matière de recherche linguistique et de neurosciences, le Centre de recherche sur le langage, l’esprit et le cerveau (CRLEC) rassemble aujourd’hui des chercheurs de diverses disciplines, institutions et pays pour étudier le fonctionnement du langage dans le cerveau et trouver les moyens de traiter les personnes qui, du nourrisson à la personne âgée, présentent des troubles à cet égard.

« Le Centre a pour vocation de découvrir des atouts et des méthodes complémentaires », explique Shari Baum, titulaire d’une chaire James McGill et directrice de l’École des sciences de la communication humaine. « Si un spécialiste de la linguistique théorique souhaite aujourd’hui comprendre comment les enfants acquièrent des connaissances sémantiques, il peut désormais collaborer avec un confrère qui connaît les bases cérébrales du comportement linguistique. »

Fondé en 2001, le CRLEC fédère plus de 40 spécialistes du langage au sein de McGill, Concordia, l’Université Laval, l’Université de Montréal et de l’Université du Québec à Montréal, ainsi que des collaborateurs étrangers rattachés à des établissements tels que les Laboratoires Haskins de New Haven, l’Institut de la communication parlée de Grenoble et l’Institut Max Planck de Leipzig.

L’essentiel des recherches conduites au CRLEC porte sur le langage et les troubles qui y sont liés, chez l’enfant. La professeure agrégée de McGill, Elin Thordardottir, s’intéresse au développement du langage normal et aux troubles du langage chez les enfants d’âge préscolaire et scolaire et les adolescents, en établissant des comparaisons translinguistiques entre les enfants anglophones, francophones et bilingues du Québec et les Islandais, grâce aux recherches de la ReykjavikurAkademian.

« Les troubles du langage ne se manifestent pas de la même manière dans toutes les langues », explique Elin Thordardottir, évoquant des variations spécifiques au langage dans les retards de développement. « Grâce au Centre, nous pouvons étudier différents aspects du développement du langage – morphologie grammaticale, aptitudes de prélecture, etc. – dans plusieurs langues, ce qui nous donne une idée beaucoup plus large de la prévalence d’un trouble donné. »

La professeure agrégée de McGill Linda Polka, étudie pour sa part des sujets encore plus jeunes. En collaboration avec ses collègues du CRLEC, elle s’intéresse à la manière dont certaines expériences précoces (telles que l’exposition à différentes langues, à des environnements bruyants ou encore à des otites) influencent l’acquisition du langage réceptif et expressif (écouter et parler) chez les nourrissons de familles monolingues et bilingues.

« Jusqu’à récemment, la plupart des recherches menées chez les nourrissons s’intéressaient uniquement au développement perceptuel ou au développement vocal. Ces domaines spécialisés sont sur le point de fusionner et le Centre nous aide à faire des rapprochements qui nous permettront d’établir de nouveaux liens », explique la Pre Polka.

Les recherches de Shari Baum sont pour leur part axées sur l’amélioration de la vie d’adultes qui présentent des troubles du langage consécutifs à une lésion cérébrale. Elle se consacre notamment à un projet né d’une collaboration durable avec un professeur de pathologie du langage de l’Université d’Ottawa, qui porte sur le rôle de l’hémisphère droit dans la compréhension de certains mots chez les victimes d’un accident vasculaire cérébral (AVC).

Les victimes d’un AVC ayant causé des lésions dans l’hémisphère droit ne répondent pas de la même manière que les porteurs d’une lésion dans l’hémisphère gauche – une différence remarquée lorsqu’on leur demande d’ « activer » les différents sens d’un mot ayant plusieurs connotations ou significations. Les chercheurs du CRLEC exploitent aussi la neuroimagerie pour éclairer les mécanismes de la théorie linguistique et ainsi concevoir des traitements plus efficaces.

« Les chercheurs du Centre sont des experts dans des domaines plutôt rares », indique Shari Baum. « En combinant différentes bases de connaissances, nous espérons mieux répondre aux questions fondamentales et en dernier ressort, concevoir de meilleurs traitements qui soient plus appropriés. »

« C’est là que réside toute la valeur du CRLEC », ajoute Linda Polka. « Il favorise les échanges entre des chercheurs qui partagent un certain nombre d’intérêts, mais qui les envisagent selon des points de vue entièrement différents… ce qui est un formidable moteur d’innovation. »

Le Centre de recherche sur le langage, l’esprit et le cerveau bénéficie de subventions du Fonds québécois de la recherche sur la nature et les technologies, du Fonds québécois de recherche sur la société et la culture, de l’Université McGill et de l’UQAM.