Par Andrew Mullins
Au laboratoire collectif BRAMS, des chercheurs de cinq universités canadiennes décryptent les mystères du cerveau par la musique et le son.
Si l’on demande au neuroscientifique mcgillois Robert Zatorre quelle est la région du cerveau spécialement dédiée à la musique, il répond invariablement ceci :
« Du cou jusqu’au sommet du crâne. »
La musique met en jeu un très grand nombre de processus, explique le professeur Zatorre, codirecteur du Laboratoire international de recherche sur le cerveau, la musique et le son (BRAMS) : l’audition, la mémoire, la planification, le contrôle moteur, la notion de temps et les émotions. Elle est donc un terrain idéal pour la recherche sur le cerveau.
Robert Zatorre partage la direction du BRAMS avec la psychologue de l’Université de Montréal Isabelle Peretz. Le BRAMS fédère des spécialistes des neurosciences, de la psychologie, de la musique, de l’audiologie, des sciences de l’éducation, de l’informatique et du génie qui oeuvrent au sein des universités McGill, Concordia et McMaster, de l’Institut de recherche Rotman, situé à Toronto, et de l’Université de Montréal. Depuis sa création en 2004, le BRAMS s’est forgé une solide réputation et son équipe a même été décrite comme étant « imbattable » et « de loin la meilleure » par la revue Science.
Lorsque nous utilisons le langage, évoquons un souvenir ou faisons de la musique, nous mobilisons simultanément plusieurs régions du cerveau. Les chercheurs du BRAMS ont pour principale ambition de mieux comprendre les relations entre ces différentes régions. Contrairement à la parole, jouer d’un instrument relève de compétences spécialisées et est parfaitement adapté à l’étude du processus d’apprentissage.
« Nous pouvons exposer les sujets à différentes méthodes de formation et former des personnes d’âges différents avec différents instruments, explique le professeur Zatorre. Il s’agit d’un terrain de recherche particulièrement fécond, que nous pouvons de plus contrôler en laboratoire. »
Savoir comment les différentes régions du cerveau interagissent grâce à la musique permettrait de concevoir de meilleurs traitements de réadaptation pour les accidentés vasculaires cérébraux ou les parkinsoniens.
« Les patients atteints de la maladie de Parkinson parviennent difficilement à organiser leurs mouvements et à les ordonner dans le temps. Or, l’utilisation d’un métronome ou le simple fait d’écouter de la musique sur un iPod permet de régulariser les mouvements. Personne ne sait encore pourquoi, mais si nous parvenons à comprendre comment cela est possible, je pense qu’il sera beaucoup plus facile d’appliquer ces techniques à des situations particulières », explique le professeur Zatorre.
Le BRAMS est non seulement un centre de recherche très spécialisé, mais il s’agit également d’un lieu doté de locaux et d’équipements extrêmement pointus et coûteux. À l’Université de Montréal, les chercheurs ont accès à un studio d’enregistrement professionnel, à des laboratoires d’EEG et de tests auditifs, à un laboratoire de stimulation magnétique transcrânienne pour étudier l’activité du cerveau à l’aide de champs magnétiques et à une chambre anéchoïque (sans écho) afin de mener des expériences sur la perception du son. Les chercheurs de l’École de musique Schulich de l’Université McGill ont pour leur part accès à différentes technologies afin d’étudier les mouvements des musiciens et mesurer les réactions du public ainsi qu’aux appareils d’imagerie cérébrale de l’Institut neurologique de Montréal (INM).
C’est d’ailleurs à l’INM que le professeur Zatorre, la psychologue Virginia Penhune de l’Université Concordia et l’ingénieur électricien Marcelo Wanderley de l’École de musique Schulich étudient ce qui se passe dans le cerveau des musiciens. Pour cela, ils leur demandent de jouer à l’intérieur même d’un appareil d’IRM.
Le problème c’est que « l’appareil d’IRM est en réalité un aimant très puissant dans lequel on ne peut absolument pas introduire la moindre pièce métallique, pas même des fils électriques, car ceux-ci créent des courants qui peuvent chauffer et devenir extrêmement dan gereux. » Impossible donc d’utiliser des instruments classiques. Robert Zatorre et Virginia Penhune ont donc demandé à Marcelo Wanderley de concevoir des instruments numériques, compatibles avec l’IRM, dépourvus de pièces ferromagnétiques, adaptés aux dimensions restreintes de l’appareil et qu’il est également possible de suivre sur ordinateur.
Avrum Hollinger, alors étudiant à la maîtrise au laboratoire du professeur Wanderley et aujourd’hui candidat au doctorat en technologie musicale à l’École de musique Schulich, s’est donc mis au travail et a commencé par bricoler très modestement un vieux clavier de piano récupéré chez un réparateur. Il est parvenu à concevoir un clavier composé de 11 touches, monté sur plexiglas et faisant appel à un câble à fibres optiques pour envoyer des signaux lumineux à un dispositif de contrôle situé en dehors de la salle où se trouve l’appareil d’IRM et générer des sons répondant aux normes MIDI. Le clavier compatible avec l’IRM permet aux chercheurs d’examiner le cerveau des musiciens et, en même temps, d’enregistrer chacune des nuances de leur jeu grâce au système à fibres optiques. Les images et données générées par IRM ouvriront une perspective entièrement inédite sur le cerveau et son fonctionnement.
Un violoncelle compatible avec l’IRM (doté d’un archet miniature), voire un instrument à vent de type hautbois ou clarinette sont en projet. Les musiciens de l’École Schulich, comme la violoncelliste Erika Donald, collaborent à cette initiative, car il est essentiel que l’instrument puisse être joué, précise le professeur Wanderley. « En tant qu’ingénieur, je peux dire “Cet instrument se comporte comme un violoncelle et devrait pouvoir se jouer comme un violoncelle”, mais s’il n’y a pas de violoncelliste pour en faire l’essai, il est alors impossible de savoir si les données recueil lies sont représentatives ou non d’un véritable violon celle. »
Grâce à cette série d’instruments compatibles avec l’IRM, les chercheurs pourront examiner les différentes activités cérébrales mises en cause par chacun. Le clavier, par exemple, fait intervenir un contrôle moteur relativement symétrique des deux mains et le violoncelle, un contrôle très asymétrique. La clarinette ou le hautbois font intervenir la respiration et le jeu des lèvres sur l’embouchure : autant de données qui apparaîtront sur les images obtenues par IRM.
Virginia Penhune s’intéresse tout particulièrement à la manière dont le cerveau gère le contrôle moteur, l’apprentissage et l’expertise. « Un grand nombre de données indiquent qu’il existe des différences structurelles dans le cerveau des musiciens et des non-musiciens, affirme-t-elle, et que le fait d’apprendre quelque chose de nouveau peut induire des changements cérébraux à court terme. Nous aimerions faire le lien entre les changements structurels et fonctionnels. »
Ces instruments permettront aux chercheurs d’obtenir une multitude d’images du cerveau.
« Nous pourrons étudier la différence entre les pianistes virtuoses et amateurs, explique le professeur Zatorre. Nous pourrons également voir ce qui se produit lorsque la note jouée ne donne pas le son attendu. Le musicien virtuose redresse immédiatement le moindre écart, ce qui fait intervenir des mécanismes cérébraux très complexes et pointus. Les perspectives qui s’offrent à nous sont innombrables. »
Pour Robert Zatorre, le BRAMS, ses infrastructures et son expertise devraient amener les chercheurs à étudier simultanément un vaste éventail de questions nouvelles.
« Habituellement, dans nos disciplines respectives, nous concevons une expérience spécifique pour tenter d’apporter une réponse à une question bien précise. En fondant le BRAMS, nous avons voulu en quelque sorte créer des possibilités et attirer des chercheurs de multiples horizons. Ce laboratoire apportera probablement des réponses à des questions auxquelles nous n’avons pas encore songé. »
Le BRAMS reçoit une subvention dʼinfrastructure de 14 millions de dollars de la Fondation canadienne pour lʼinnovation.