La biotechnologie côté affaires

Par Mark Shainblum

Le Carrefour BioTransfert souhaite transformer de spectaculaires découvertes en innovations qui sauvent des vies.

BioTech pic

L’histoire nous apprend que les grandes percées médicales peuvent demeurer dans les cartons pendant des générations, voire complètement tomber dans les oubliettes, si elles ne parviennent pas à se transformer en applications commerciales.

Les propriétés anticariogènes du fluor, par exemple, ont été découvertes dès le milieu du XIXe siècle, mais il aura fallu attendre un siècle avant que ce dernier ne soit incorporé au dentifrice. Avant l’ère moderne, la carie dentaire non soignée tuait; elle favorisait l’apparition d’infections mortelles et de maladies cardiaques et écourtait l’espérance de vie. Si l’importance du fluor avait été comprise et exploitée plus tôt, des millions de personnes auraient vécu plus longtemps, en meilleure santé et plus heureuses.

Même si les découvertes d’aujourd’hui se situent sur un plan technologique entièrement différent, le principe n’a guère changé. Les chercheurs universitaires et les gens d’affaires qui transforment leurs découvertes en produits commerciaux ont besoin d’une tribune pour se rencontrer, échanger et apprendre à connaître leurs cultures respectives.

La nécessité de cette tribune est évidente aux yeux de Kevin Ens, conseiller indépendant en gestion des technologies : « Sans vouloir généraliser, il faut bien reconnaître qu’il existe une méconnaissance réciproque des besoins entre le monde universitaire et le milieu des affaires ».

Le Carrefour BioTransfert est précisément né de ce constat. Organisé par le Conseil national de recherches du Canada (CNRC), Gestion Univalor et l’Excellerateur Montréal de l’Université McGill, ce carrefour s’est tenu cette année le 5 mai 2009 à l’Institut de recherche en biotechnologie du CNRC près de l’Hippodrome de Montréal, et a obtenu un succès retentissant. Alors que 200 places étaient disponibles, près de 300 cadres de l’industrie pharmaceutique et biotechnologique, spécialistes du capital-risque et consultants de différents secteurs industriels auraient souhaité assister aux présentations de chercheurs montréalais parmi les plus illustres, afin de découvrir des technologies à fort potentiel commercial. Plus d’une douzaine de chercheurs mcgillois et du Centre universitaire de santé McGill étaient présents.

« Ce type de manifestation fournit à l’Université, et à d’autres laboratoires de recherche montréalais, l’occasion de présenter des découvertes à plusieurs investisseurs et entreprises de biotechnologie », souligne le Dr Nicholas Bertos, chercheur en cancérologie au laboratoire de la Pre Morag Park du Centre de recherche sur le cancer Rosalind et Morris Goodman de McGill. « Il est important que les différents acteurs apprennent à se connaître, tout comme il est essentiel de se faire une idée de l’éventail de recherches menées dans la région pour nouer des collaborations. Le Carrefour BioTransfert concerne la région de Montréal et permet de créer de solides partenariats locaux. »

Nicholas Bertos a présenté un nouveau test de pronostic du cancer du sein mis au point dans le laboratoire de la Pre Park, qui devrait permettre de mieux prévoir les résultats cliniques des patientes; le magazine Québec Science a d’ailleurs sélectionné cette découverte comme l’une des dix meilleures de l’année. Le Pr Nahum Sonenberg, lauréat du Prix Gairdner et chercheur principal au Centre, a pour sa part présenté une nouvelle technique d’inhibition des infections virales, de la grippe au VIH en passant par la fièvre hémorragique Ebola et l’herpès, mise au point en collaboration avec Massad J. Damha. Moshe Szyf, du Département de pharmacologie et de thérapeutique, nommé titulaire de la Chaire professorale en pharmacologie GlaxoSmithKline-IRSC le 13 mai dernier, a présenté une nouvelle séquence enzymatique élaborée dans son laboratoire qui peut inhiber la croissance de cellules cancéreuses. Le Dr Janusz Rak, du Département de pédiatrie et de l’Institut de recherche de l’Hôpital de Montréal pour enfants, a quant à lui présenté une technique de dépistage du cancer hautement novatrice, très précise et non invasive, faisant appel à des microvésicules en forme de bulles (petites projections de bulles sur les parois de nombreuses cellules utilisées comme biomarqueurs du cancer). Cette recherche a également été élue découverte de l’année par les lecteurs du magazine Québec Science (voir article en page 5).

« En temps normal, les universitaires présentent leurs découvertes à la communauté scientifique », précise John DiMaio, directeur du Groupe Sciences de la vie du Bureau de transfert de technologies de McGill. « Il est rare qu’ils puissent présenter le fruit de leurs travaux sous un angle plus commercial, expliquer leurs découvertes, en vanter les mérites par rapport à la concurrence, préciser en quoi elles peuvent être utiles aux patients et en décrire la transformation en produits fonctionnels. »