Interconfessionnalité

Par James Martin

Entretien avec Barry Levy

Barry Levy
Barry Levy

L’importance croissance que revêt « l’accommodement raisonnable » dans la politique canadienne, et plus particulièrement au Québec, souligne l’intérêt du projet de créer à McGill un Institut d’études interconfessionnelles, dont la mission sera de proposer des cours de cycles supérieurs et d’organiser des groupes de réflexion et des conférences. Barry Levy, ancien doyen de la Faculté d’études religieuses, discute de la naissance de ce projet.

Quelles sont les recherches qui, à McGill, ont jeté les bases de l’Institut?

Depuis 10 ans, nous offrons un cours d’été qui fait appel à au moins six professeurs de religions différentes et qui compte près de 25 étudiants de 1er, 2e et 3e cycles. Chaque année est placée sous un thème particulier, comme « La mort et l’au-delà » ou encore « La sexualité, la textualité et la spiritualité ». Les participants se réunissent entre six et douze heures par jour pour dialoguer, débattre et visiter différentes communautés religieuses de Montréal. Cette expérience ne laisse pas indifférent et elle n’est qu’un aspect de ce que nous aimerions faire au sein de cet Institut.

Ce succès est-il révélateur de l’intérêt accru et généralisé que suscitent les études interconfessionnelles?

Il est vrai que cet intérêt a considérablement augmenté. Au niveau organisationnel, il a même connu une remarquable progression. Par exemple, il y a quatre ans à Séville, en Espagne, un groupe de réflexion israélien – Elijah Interfaith Institute – a invité 40 hauts représentants des religions mondiales à débattre sur le thème de l’hostilité, de l’hospitalité et de l’espoir de l’épanouissement humain. Puisant aux sources de la littérature classique, des chercheurs ont présenté des communications démontrant que leur religion était accueillante à l’égard des autres confessions. Cette expérience a connu un tel succès qu’une deuxième rencontre sur la crise du sacré des religions mondiales a été organisée à Taiwan il y a un an, et qu’une troisième est prévue en Inde en novembre 2007.

Les recherches menées à la Faculté d’études religieuses revêtent en grande partie un caractère pluriconfessionnel. En septembre dernier, nous avons accueilli plus de 1 800 personnes de 85 pays pour une conférence sur les religions après le 11 septembre. Immédiatement après, nous avons coorganisé une conférence sur la Syrie, carrefour du monde à l’époque de la Basse Antiquité; cette conférence a réuni des chrétiens, des juifs et des musulmans.

L’intérêt pour les études interconfessionnelles est-il confiné au niveau organisationnel?

Pas du tout. De nombreux citoyens souhaitent en apprendre davantage sur l’interconfessionnalité, partager et respecter leur prochain. En voici un exemple : il y a environ trois ans, une femme est venue me voir pour monter un projet d’art avec des personnes de différentes confessions. Mon épouse est directrice d’une école élémentaire juive à Westmount, et j’ai des collègues rattachés au système scolaire musulman, aussi lui ai-je dit : « Nous allons mettre sur pied un projet interconfessionnel ». Quelques mois plus tard, trois écoles, respectivement d’obédience juive, musulmane et chrétienne, ont organisé deux journées d’activités artistiques avec des parents, des enseignants et des écoliers, au cours desquelles ils ont réalisé des projets artistiques et bâti des relations. Les médias avaient été conviés à cet événement, mais malheureusement, aucun journaliste n’est venu. Ce projet a obtenu beaucoup de succès, mais n’a reçu aucun écho dans les médias, car personne n’a incendié d’église.

Accorde-t-on trop d’attention aux agressions?

Certainement, et ces actes font l’objet d’une surmédiatisation dans le seul but d’attiser la colère et l’animosité. Mais les actes positifs, comme ce projet artistique, n’intéressent pas du tout les médias. D’où l’impression parfaitement fausse que les religions sont perpétuellement en conflit les unes envers les autres. La xénophobie existe bel et bien, mais il est plus important de chercher à savoir comment la désamorcer plutôt que d’accorder à certains une tribune pour qu’ils puissent donner libre cours à leurs excès.

L’Institut permettra la tenue de recherches et de formations, de sorte que chacun puisse apprendre à organiser des séances de résolution de conflits et à œuvrer pour une société plus harmonieuse. Mais nous ne nous sommes pas uniquement motivés par les questions de fraternité. Il s’agit d’un projet éducatif très sérieux qui va au cœur des problématiques religieuses et qui fait appel à des experts et à des personnes qui s’efforcent de sonder la dynamique du processus décisionnel culturel et religieux.

L’idée est de former des chefs de file qui pourront aborder ces questions avec intelligence et qui feront office d’arbitres pour que l’on puisse enfin mieux comprendre et vaincre ces obstacles. Resserrer les liens entre les représentants de ces groupes devrait permettre d’éliminer une large partie des tensions dont nous sommes victimes aujourd’hui.