David R. Colman, directeur de l’Institut et hôpital neurologiques de Montréal, est décédé subitement le 1er juin 2011. Son départ a profondément ébranlé et attristé ses nombreux amis et collègues.
Pendant 18 ans, Liliana Pedraza a collaboré étroitement avec David Colman, d’abord comme chercheuse postdoctorale au laboratoire que ce dernier dirigeait à l’École de médecine Mont Sinaï, puis à partir de 2003 au Neuro, où elle est aujourd’hui professeure adjointe spécialiste des interactions entre les neurones et les cellules gliales. Elle nous livre ici ses souvenirs et réflexions sur un ami cher et un mentor exemplaire.
J’aurais suivi Dave au bout du monde!
Lorsque nous nous sommes connus, je traversais une période difficile, tant sur le plan personnel que professionnel. Je venais de terminer mon postdoctorat à l’Université de New York et devais rentrer chez moi en Argentine, où j’occupais un poste universitaire. Des changements de carrière soudains pour mon mari ont fait en sorte que nous allions demeurer à New York et que, bien sûr, je doive me trouver un emploi. Nous venions d’avoir un bébé, mon permis de travail arrivait à échéance et nous habitions Manhattan, où les journées de travail sont interminables. Comme mes heures de travail n’étaient pas extensibles, mes chances de trouver un deuxième postdoctorat étaient très minces. Et bien que nous n’ayons eu que de brèves rencontres dans le cadre de conférences, Dave m’a fait confiance.
Depuis, je suis demeurée inconditionnellement à ses côtés. Lorsqu’il a été nommé au Neuro, j’aurais pu rester à New York, mais je ne pouvais envisager de ne plus travailler avec lui, car Dave est le genre de personne que l’on a la chance de ne croiser qu’une seule fois dans sa vie.
Les bons scientifiques ne manquent pas, mais les scientifiques brillants sont plutôt rares. Dave était l’un de ces rares, et ce, partiellement en raison de sa curiosité. Sa connaissance encyclopédique m’a toujours étonnée. Il pouvait parler de Grèce antique, de philosophie, de mythologie, d’astronomie, de musique, de Shakespeare, bref de presque tout, et transmettre ses connaissances le plus simplement du monde. Il n’essayait pas d’en imposer; il ne faisait que s’intéresser au monde qui l’entourait.
Cet enthousiasme m’a transformée. Bien que je détienne un doctorat en biochimie, en intégrant le laboratoire de Dave, je suis devenue biologiste cellulaire. Les biochimistes fragmentent les cellules, emploient des gels, étudient les protéines. Quant à Dave, il tenait à ce que tout demeure intact afin de mieux observer. C’est une chose que d’étudier des images statiques des tissus du système nerveux central au microscope, mais il voulait voir ces tissus évoluer en temps réel. Au milieu des années 1990, Dave a assisté à un colloque où un chercheur avait présenté une technique de fluorescence appliquée aux protéines. À l’époque, cette technique était totalement inédite. Cela l’a emballé, car il a tout de suite imaginé un outil qui permettrait d’observer, en direct, la vie secrète de la cellule. L’application de cette technique de fluorescence aux protéines de myéline a ouvert un nouveau chapitre dans l’histoire de son laboratoire.
Dave avait la faculté de voir plus loin que les autres, et c’est ce qui constitue à mes yeux la marque du génie. Nous avions parmi nous une chercheuse postdoctorale, Allison Fannon, qui s’attachait à caractériser l’organisation des jonctions adhérentes médiées par les cadhérines dans le système nerveux central. Elle avait déjà publié un excellent article sur les cadhérines dans la myéline du système nerveux périphérique, mais le système nerveux central lui donnait du fil à retordre, parce que les structures y sont plus petites et, par conséquent, plus difficiles à visualiser. Allison croyait que la résolution de ses images n’était pas bonne, car elles étaient recouvertes de pointillés. Notre attention était rivée sur le microscope, jusqu’à ce que Dave comprenne qu’il s’agissait en fait de synapses – ce qui donna lieu à une autre contribution importante issue du laboratoire Colman, soit la découverte que les cadhérines facilitent l’adhésion de la jonction synaptique.
Dave avait aussi le don de valoriser ses collaborateurs et de leur faire sentir que leur contribution était importante. Il était fier de tous ceux qui travaillaient dans son laboratoire et avait à cœur de témoigner l’estime qu’il portait à son équipe. Un jour, dans le cadre d’une conférence, il a présenté des données que j’avais recueillies sur les interactions axones-cellules gliales. Cette présentation a suscité un véritable enthousiasme. Quelqu’un a alors demandé quel microscope était employé pour obtenir des images d’une telle qualité, ce à quoi Dave a répondu : « Ce n’est pas le microscope, mais la personne qui le manipule. Liliana est une virtuose. Entre ses mains, le microscope se transforme en Stradivarius ». Comme j’aurais voulu l’enregistrer! Je doute qu’un jour, quelqu’un apprécie de nouveau mon travail de la sorte.
Je conserve sa photo sur mon écran d’ordinateur. Son regard dit tout de lui, car son sourire commençait toujours dans ses yeux, avec une expression malicieuse.
Chaque fois que nous nous rencontrions en tête-à-tête, nous parlions de nos recherches pendant quelques minutes, puis nous dérivions sur d’autres sujets. Nos conversations étaient toujours intéressantes, faisant naître des idées inattendues, et j’aurais souhaité qu’elles ne se finissent jamais.
Nous avons agréablement collaboré pendant dix-huit ans, passant des jours et des nuits devant notre microscope, et c’était fantastique. Je ne peux imaginer à quoi va ressembler la vie maintenant.