Tournant décisif 1936

Hans Selye « invente » le stress (ou du moins lui donne son nom)

Cherchant à caractériser de nouvelles hormones sexuelles, le professeur de biochimie de McGill, J. B. Collip, a demandé à Hans Selye d’injecter des extraits d’hormones ovariennes bovines à des rats et d’en étudier les changements sur leurs organes sexuels. Les changements observés n’étaient pas du tout ceux auxquels s’attendaient les chercheurs. Curieux, le chercheur postdoctoral austro-hongrois de 29 ans a décidé d’injecter des extraits préparés à partir d’autres organes bovins – pour finalement observer les mêmes réactions. Il a ensuite placé les rats de laboratoire sur un tapis d’entraînement, puis sur une surface glacée. Invariablement, les réactions demeuraient inchangées.

Hans Selye, 1960
Si les hormones ovariennes n’étaient pas à l’origine de ces changements uniformes, qu’en était donc la cause? C’est alors qu’Hans Selye s’est souvenu d’une idée qui l’avait taraudé au cours de ses études à l’Université de Prague. Lors d’un cours de deuxième année, un interniste renommé avait été invité à examiner cinq patients qui lui étaient parfaitement inconnus. Après avoir posé quelques questions à chacun d’eux, l’interniste réussit à établir correctement leur diagnostic respectif : cancer de l’estomac, tuberculose, rougeole… Un vrai tour de force de logique et d’observation. Mais à l’époque, le jeune Selye s’était demandé pourquoi personne n’avait fait allusion à une caractéristique commune à tous les patients, et à la fois évidente et ridiculement enfantine. Tous étaient en effet fatigués, léthargiques et manquaient d’appétit. Selye a qualifié ces symptômes communs de « syndrome de la maladie ».

« Je me suis demandé pourquoi personne n’avait jamais prêté une attention particulière à ce syndrome », a-t-il écrit plus tard dans ses mémoires parues en 1979 et intitulées The Stress of My Life. « Cela m’est apparu comme le problème le plus fondamental de la médecine. »

Une théorie que ses professeurs et camarades de promotion ont qualifiée de stupide, qu’ils n’ont eu de cesse de ridiculiser et qui n’a guère eu plus de succès à McGill. Se pouvait-il que les changements observés chez les rats de laboratoire ne soient pas dus à ce qu’on leur injectait, mais plutôt au traumatisme de l’injection elle-même, du tapis d’entraînement ou du froid? J. B. Collip a essayé de dissuader son protégé d’étudier ‘‘les effets secondaires inintéressants de la maladie’’ : « Je suis même tenté de considérer votre travail comme de la pharmacologie de bas étage! », lui a-t-il déclaré.

Cela n’a pas empêché Hans Selye de poursuivre son investigation. En 1936, Nature a publié une brève lettre dans laquelle il présentait ce qui allait devenir un concept médical majeur : le ‘‘stress biologique’’. Malgré de nombreux faux départs, cette idée a fait son chemin. Hans Selye, qui a plus tard intégré l’Université de Montréal, a beaucoup publié sur le stress au cours de sa longue et éminente carrière. L’idée de ‘‘stress’’ est devenue le centre d’étude privilégié des psychologues et des biologistes, de même que le signe distinctif de la vie moderne.

Toutefois, l’un des regrets de Hans Selye est le terme qu’il a donné à ce concept, emprunté à la physique. Bien qu’il parlait alors couramment plusieurs langues, il maîtrisait difficilement les nuances de l’anglais. En physique, le stress désigne la contrainte exercée sur un matériau, et non les changements qu’elle induit. Mais lorsque le chercheur prit conscience de ce qu’il qualifia de regrettable erreur, le concept avait déjà gagné beaucoup de terrain aux quatre coins du monde. S’il en avait été autrement, les gens seraient aujourd’hui plus tendus que stressés.

Financement de la recherche à McGill 2009-2010: 469,729 millions de dollars*

*McGill et hôpitaux affi liés