Guerrier des routes

par Christine Zeindler

Un professeur sonne l’alarme sur l’état de décrépitude avancée des infrastructures municipales au Canada

Les villes canadiennes se détériorent – les ponts et passages supérieurs tombent en ruine, les conduites d’eau et d’égout fuient et des nids-de-poule géants menacent d’engloutir les petites voitures.

Saeed Mirza tient un morceau de ciment qui s'est effrité; il est photographié sur l'échangeur des avenues des Pins et du Parc, au centre-ville de Montréal, actuellement en rénovation.
Saeed Mirza tient un morceau de ciment qui s'est effrité; il est photographié sur l'échangeur des avenues des Pins et du Parc, au centre-ville de Montréal, actuellement en rénovation.

Professeur de génie civil de McGill, Saeed Mirza craint que les prochaines générations n’héritent d’un pays irréparable si aucune mesure immédiate n’est prise. « Environ 79 pour cent des infrastructures canadiennes ont déjà largement dépassé leur durée utile et le Québec est l’une des provinces les plus durement touchées », souligne-t-il.

Les structures qui ont le plus besoin de réparation sont les conduites d’eaux usées et les installations de traitement des eaux. Selon le Pr Mirza, environ 40 pour cent de l’eau potable de Montréal disparaît dans la nature à cause de fuites dans les conduites. Les eaux usées n’ont pas encore contaminé les réservoirs d’eau potable, mais nous flirtons dangereusement avec la catastrophe.

« À Montréal, certaines des conduites ont plus de 150 ans. Comme elles sont souterraines, elles ne reçoivent aucune attention. Si elles ne sont pas réparées ni remplacées, nous risquons d’être confrontés à une crise de santé publique majeure. »

Membre du corps professoral de McGill depuis 1966, Saeed Mirza a été piqué très tôt par la mouche de la cons- truction : dès l’âge de quatre ans, en fait, à l’occasion d’une inspection de voies ferrées avec son père. « J’ai toujours voulu être ingénieur. Je viens d’une famille d’ingénieurs; mon père l’était et mon frère exerce aussi cette profession. »

L’intérêt que Saeed Mirza porte aux infrastructures a culminé durant les années 1980, lorsque leur détérioration est devenue un sujet d’actualité. Conscient du manque de politique nationale et de l’insuffisance de financement public, il a décidé de prendre part aux activités d’InfraGuide Canada, une association créée par la Fédération canadienne des municipalités et le Conseil national de recherches. InfraGuide permet d’établir de meilleures pratiques pour améliorer les infrastructures canadiennes.

Le Pr Mirza et un groupe d’ingénieurs, de décideurs et d’organisations professionnelles plaident également en faveur d’une politique nationale d’infrastructures pour orienter à long terme toutes les questions en la matière.

« Nos ressources naturelles s’amenuisent au même rythme que nous saturons nos décharges de débris de démolition », souligne-t-il. « Cela représente des coûts incroyables et une perte d’énergie considérable. Nous devons intégrer le principe de développement durable à nos pratiques de construction : réduire, réutiliser, recycler et surtout, repenser. »

Saeed Mirza a modifié le programme d’études des premier, deuxième et troisième cycles pour inclure des cours sur l’entretien, la réparation, la remise en état et la gestion rationnelle des infrastructures détériorées, mais sa nouvelle façon de réfléchir à ce problème dépasse largement le cadre de ses cours. Les travaux financés par le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada prévoient l’observation et la classification de la dégradation des infrastructures de Montréal. Au printemps 2005, ses étudiants de 2e/3e cycles ont photographié des centaines de nids-de-poule dans la région de Montréal. En analysant leur taille et leur emplacement et en tenant compte des matériaux et de l’écoulement des eaux, ils espèrent élaborer la meilleure stratégie pour des réparations durables.

Ses étudiants examinent également l’état des ponts et passages supérieurs de Montréal, dans le but de concevoir des matériaux et des structures qui résistent aux outrages du temps et à l’oxydation. Ils étudient également la réaction et la construction des structures en béton.

Produire des matériaux plus durables n’est qu’une partie de l’équation. « Certaines industries, dont celle de l’automobile, consacrent plus d’attention à l’inspection, à l’entretien et au remplacement régulier des pièces que l’industrie de la construction. L’inspection, l’entretien et la réparation régulières peuvent réduire les risques de dégradation – toutes les nouvelles structures devraient être livrées avec un manuel d’entretien. »

Pour le Pr Mirza, l’heure de l’action a sonné. Bientôt, les niveaux de détérioration seront tellement élevés que les infrastructures ne pourront plus être remises en état et devront être remplacées.

« Le déficit des infrastructures canadiennes atteint aujourd’hui environ 125 milliards de dollars. Les investissements publics actuels ne permettront pas de rétablir convenablement les infrastructures fortement détériorées. Si des investissements plus importants ne sont pas consentis très vite, les infrastructures se détérioreront à un rythme accéléré. »