Gigabits : un rattrapage s’impose

Comment les câbles à fibres optiques du 20e siècle peuvent-ils répondre aux besoins de connectivité du 21e siècle? Des membres des Laboratoires de recherche sur les systèmes optiques et sans fil à large bande ont leur petite idée là-dessus.

Par James Martin

Le professeur de génie électrique et informatique David Plant s’attache à trouver des moyens d’adapter les câbles à fibres optiques afin qu’ils répondent aux importants besoins informatiques actuels.
Le professeur de génie électrique et informatique David Plant s’attache à trouver des moyens d’adapter les câbles à fibres optiques afin qu’ils répondent aux importants besoins informatiques actuels.

Les vidéos disponibles sur YouTube, les téléchargements sur iTunes ou encore, pour les nostalgiques, les appels sur téléphone fixe sont tous transmis au moyen de câbles à fibres optiques enfouis sur des dizaines de milliers de kilomètres, et ce, au Canada seulement. Le système fonctionne bien, principalement avec les fibres optiques à haut débit dont la capacité de transmission est de 40 gigabits par seconde. Alors, où est le problème? À moins que votre maison ou votre bureau ne soit de construction récente, vous disposez probablement de vieux câbles qui flanchent dès qu’ils doivent traiter un important volume d’information. L’autre problème? Le remplacement de ces vieux câbles par de nouveaux câbles à haut débit, ce que les experts en technologie appellent les « travaux de génie civil », représente difficilement une solution en raison de son coût prohibitif. Mais ce ne sont pas ces câbles du passé qui nous empêcheront de profiter de la vitesse de l’avenir.

« C’est un secret de polichinelle : une bande passante plus large et une connectivité accrue à meilleur prix, voilà ce qu’il vous faut », explique David Plant, professeur en génie électrique et informatique et titulaire d’une chaire de recherche industrielle CRSNG-Bell Canada. Le Pr Plant est également membre des Laboratoires de recherche sur les systèmes optiques et sans fil à large bande, un partenariat de recherche entre les universités McGill, Queen’s et Laval et avec l’INRS-Énergie, Matériaux et Télécommunications de l’Université du Québec. « Les fibres installées il y a 5 ou 10 ans devaient à l’origine permettre un débit de transmission de 10 gigabits par seconde. Or, elles doivent désormais prendre en charge un débit de transmission de 40 gigabits par seconde et, d’ici peu, de 100 gigabits par seconde. Le défi que doivent maintenant relever les chercheurs est d’assurer la transmission de données à un débit élevé par l’intermédiaire d’un câble qui n’a pas été conçu pour absorber une telle vitesse. Ils sont donc en quête de nouvelles façons de faire entrer la lumière dans le câble à fibres optiques et de l’amplifier, tout en limitant la dégradation, jusqu’à ce qu’elle atteigne l’autre extrémité. »

Selon la méthode traditionnelle appelée modulation télégraphique par tout ou rien, chaque élément lumineux (c’est-à-dire la présence ou l’absence de lumière) correspond à un bit d’information. À sa forme la plus élémentaire, toute information présentée en mode vidéo ou audio n’est rien de plus qu’un code binaire, soit une longue suite de 0 et de 1. Ainsi, à l’aide de cette modulation, chaque caractère numérique est codé en signal lumineux (un rayon laser est activé pour représenter le 1, et désactivé pour représenter le 0). Ce signal lumineux est ensuite acheminé sur de longues distances par l’intermédiaire de fibres de verre, à la suite de quoi le code binaire est reconstitué. De concert avec ses partenaires de recherche mcgillois Lawrence Chen, Martin Rochette et leurs collègues des Laboratoires, le Pr Plant explore les avantages de l’« efficacité spectrale », soit la possibilité de moduler les caractéristiques de phase de ce rayon lumineux, de sorte qu’il puisse transporter davantage qu’un seul bit d’information. Comme tous les rayons lumineux ne sont pas identiques, ils se composent en principe d’une infinité de « teintes » distinctes. Ainsi, un rayon lumineux de teinte complète pourrait être considéré comme l’équivalent visuel de la séquence des quatre éléments binaires 0000, tandis qu’un rayon en trois quarts de teinte pourrait représenter 0001 et en demi-teinte, 0011. Tout à coup, quatre bits d’information, et plus seulement un, voyagent dans ce seul rayon de lumière modulée, quadruplant ainsi le volume d’information pouvant être acheminé par la fibre, sans en changer la nature.

Son collègue Tho Le-Ngoc travaille à l’amélioration de la connectivité sans fil.
Son collègue Tho Le-Ngoc travaille à l’amélioration de la connectivité sans fil.

L’efficacité spectrale retient depuis longtemps l’attention de chercheurs s’intéressant à la technologie sans fil, cette dernière ayant particulièrement tendance à entraîner une perte de données. Un signal radio provenant d’un modem sans fil, par exemple, doit se réverbérer sur les murs d’une pièce – voire les traverser – avant qu’il ne puisse établir une connexion avec un ordinateur portable. « Il est beaucoup plus facile de transmettre un gigabit par seconde au moyen d’une fibre optique que par une liaison sans fil », explique Tho Le-Ngoc, chercheur rattaché aux Laboratoires de recherche sur les systèmes optiques et sans fil à large bande et professeur au Département de génie électrique et informatique de l’Université McGill. M. Le-Ngoc est également titulaire de la Chaire de recherche du Canada en communication à large bande ainsi que d’une chaire de recherche industrielle CRSNG-Bell Canada. « À l’aide de la technologie actuelle, une fibre peut facilement transmettre des données à un débit de 100 gigabits par seconde, alors que le sans-fil ne peut dépasser 100 mégabits par seconde. D’ici 2015, nous espérons que la transmission de données sans fil atteindra un gigabit par seconde, soit 10 fois la vitesse actuelle – ce qui illustre bien le retard du sans-fil. » Afin que les communications sans fil rattrapent leur retard, M. Le-Ngoc et les professeurs mcgillois Harry Leib, Ioannis Psaromiligkos, Benoît Champagne et Jan Bajcsy explorent les avenues de la transmission multidimensionnelle. La forme la plus simple de transmission sans fil est un signal se déplaçant d’une antenne à l’autre. Les travaux menés portent notamment sur les systèmes à entrées multiples sorties multiples, qui font appel à un groupe d’antennes œuvrant de concert afin de recevoir et de transmettre des données. L’avantage d’une telle méthode réside dans le fait que l’information puisse être dirigée, contrairement à l’approche dispersée qui transmet les données dans une multitude de directions, et ce, à égale intensité. « Une meilleure utilisation de la dimension spatiale quant au codage et à la transmission de l’information par le biais de la méthode directionnelle rehaussera l’efficacité de la communication », a précisé M. Le-Ngoc.

« Notre recherche pourrait démontrer notre capacité à examiner de nouvelles idées, et à en retirer tout élément de risque », ajoute David Plant. « Il s’agit vraiment de recherche appliquée. Il faut veiller à maintenir le fragile équilibre qui caractérise ces travaux, c’est-à-dire être suffisamment à l’avant-garde pour que le travail soit original et novateur, tout en étant assez proche de l’industrie pour qu’il soit pertinent. Les bons chercheurs qui œuvrent dans les sec- teurs technologiques évoluant rapidement, comme les communications, doivent regarder droit devant, mais aussi derrière – ce faisant, leur travail peut avoir un énorme impact sur l’industrie et produire des retombées considérables sur le plan universitaire. »