Entretien avec Shree Mulay
par Jennifer Towell
Shree Mulay, directrice du Centre de recherche et d’enseignement sur les femmes de l’Université McGill depuis 1996, est professeure à la Faculté de médecine et consacre l’essentiel de ses recherches à la santé génésique des femmes. Membre fondatrice et ancienne présidente du Centre communautaire des femmes sud-asiatiques de Montréal, la Pre Mulay s’est toujours intéressée aux femmes pauvres, non éduquées et immigrantes et a occupé un rôle de mentor auprès de celles oeuvrant dans le domaine de la science. Les travaux de la Pre Mulay ont été couronnés par de nombreux prix et elle intervient fréquemment auprès des médias sur les questions féminines.
Comment en êtes-vous venue à vous intéresser aux questions féminines ?
Ayant grandi en Inde, j’ai été rapidement sensibilisée au statut d’infériorité de la femme. Veuve à 28 ans, ma grand-mère a dû élever seule ses trois filles lorsque des parents éloignés l’ont chassée de chez elle. Bien qu’analphabète, elle était très intelligente et déterminée à ce que ses enfants soient scolarisés. Ses filles et petites-filles devaient étudier fort, ce que nous avons toutes fait! Toutefois, l’éducation ne constituait nullement un rempart contre la discrimination dont nous pouvions être victimes sur le plan personnel et politique.
Deux autres femmes ont également eu une très grande influence sur moi. D’une part, Madeleine Parent, syndicaliste féministe québécoise, qui m’a invitée à participer au Comité national d’action sur le statut de la femme et qui m’a ouvert les yeux sur la situation féminine au Canada.
Et d’autre part, Ursula Franklin, qui m’a montré que quoi que l’on fasse dans le domaine de la science, il fallait rester fidèle à ses propres valeurs. L’engagement de cette ardente défenseur de la paix allié aux efforts qu’elle a consacré sur de nombreux fronts ont été pour moi une source d’inspiration.
En tant que chercheuse en médecine, vous tenez compte du point de vue féminin. Pouvez-vous expliquer ce qui vous motive et la nature de votre travail ?
Pendant longtemps, les femmes ont été considérées comme des sujets de recherche inappropriés par les chercheurs de sexe masculin, car il fallait selon eux tenir compte de leurs cycles menstruels et des perturbations qu’ils provoquaient.
Ce qui a le plus modelé mes travaux de recherche était de savoir si ce que je faisais avait un impact sur la santé des femmes. Ces dernières années, j’ai réorienté mes recherches sur des questions à caractère social, à savoir l’expérience des femmes relativement à la stérilisation, aux interruptions de grossesse visant à sélectionner le sexe du foetus et aux nouvelles technologies de reproduction.
La différence entre l’expérience des femmes de pays développés et de pays en développement est immense. Je m’intéresse aux essais cliniques sur les contraceptifs dans des pays comme l’Inde et à l’urgence d’élaborer des règles d’éthique pour leur conduite.
Quels sont les autres principaux thèmes de recherche auxquels vous vous intéressez ?
Je travaille avec des collègues en Inde pour étudier l’impact de la libéralisation des régimes commerciaux sur l’accès aux services de santé et aux médicaments. Je m’intéresse également au suivi à long terme des enfants exposés in utero à l’isocyanatométhane après la catastrophe de l’usine Union Carbide à Bhopal, en Inde, en 1984 – à ce jour la plus grande catastrophe industrielle au monde. Nous travaillons avec la Clinique Sambhavna, qui offre des soins médicaux gratuits aux victimes de cette tragédie.
Vous défendez ardemment la place de la femme en science. En quoi cet aspect est-il important ?
Ursula Franklin présentait un argument remarquable à ce sujet ; elle nous a demandé d’imaginer ce que serait notre travail avec un demi-cerveau ! Toute société qui ne compte que sur les porteurs du chromosome XY passe bien évidemment à côté de beaucoup de choses. La femme doit participer à l’entreprise scientifique non seulement pour son bien, mais également pour poser des questions qui n’ont pas encore été formulées en raison de discrimination sexuelle.
Depuis l’exclusion des femmes de l’entreprise scientifique, de nombreuses choses ont été accomplies. Les femmes sont de plus en plus acceptées dans leur rôle de scientifiques ; lentement mais sûrement, les barrières commencent à tomber.