Exploiter les marchés émergents

Par Jonathan Montpetit

Dissiper les mythes sur les économies de pays en développement

 Vihang Errunza estime que d'ici les 25 prochaines années, les marchés émergents, et plus particulièrement ceux du BRIC, le groupe de pays formé par le Brésil, la Russie, l'Inde et la Chine, représenteront près de 50 pour cent de l'économie mondiale.
Vihang Errunza estime que d'ici les 25 prochaines années, les marchés émergents, et plus particulièrement ceux du BRIC, le groupe de pays formé par le Brésil, la Russie, l'Inde et la Chine, représenteront près de 50 pour cent de l'économie mondiale.

L’an dernier, lorsque The Economist a déclaré qu’aucun investisseur digne de ce nom ne pouvait s’offrir le luxe d’ignorer les marchés émergents, le Pr Vihang Errunza a préféré s’abstenir de tout commentaire.

Depuis plus de 30 ans, le Pr Errunza vante les mérites des économies en développement. De fait, sa thèse de doctorat parue en 1974 a été l’une des premières à postuler que l’investissement dans des pays comme la Chine et l’Inde n’était peut-être pas si insensé que cela.

« Je suis parti de l’idée très simple que les flux de capitaux placés dans des titres de participation entre les pays développés et les marchés émergents seraient bénéfiques aux deux parties », précise Vihang Errunza, professeur à la Faculté de gestion Desautels. « Les pays développés ont tout à gagner des perspectives de croissance qu’offrent les marchés émergents. Ces derniers bénéficient pour leur part d’une source additionnelle et indispensable de capital-risque qui les aide à développer leurs institutions, augmenter leur taux de croissance économique et diminuer le coût du capital. »

Le Pr Errunza ne s’étonne donc pas que 30 années de réflexion sur les marchés émergents aient finalement porté leurs fruits. Avec le vieillissement de la population et la baisse des taux de croissance, les marchés de pays développés n’offrent plus les possibilités de croissance lucratives d’autrefois. Parallèlement, les consommateurs et les fournisseurs de pays en développement revendiquent leur place dans le concert des nations. Le Pr Errunza estime que d’ici les 25 prochaines années, les marchés émergents, et plus particulièrement ceux du BRIC – le groupe de pays formé par le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine – représenteront 50 pour cent de l’économie mondiale. Ces quatre pays semblent également se montrer sensibles aux alertes environnementales et étudient sérieusement les sources d’énergie renouvelables, telles que l’énergie éolienne (Inde) et solaire (Chine). « À long terme, la croissance de ces économies et leur intégration aux marchés mondiaux des capitaux sont dans l’intérêt de tous. »

Bien que le Pr Errunza ait contribué à éveiller l’intérêt pour les marchés émergents, il ne s’est pas reposé sur ses lauriers pour autant. Il vient en effet de mettre la dernière main à un important projet de recherche, dans la continuité de l’étude qu’il a menée en 1985 sur la gestion des actifs internationaux, et qui a établi un modèle tarifaire pour les titres des marchés émergents.

0202errunza_coin2

L’étude de 1985, qui fait désormais partie des lectures obligatoires de nombreux programmes de doctorat, a établi de manière empirique ce qui est devenu l’un des thèmes récurrents des recherches du Pr Errunza : malgré la volatilité à court terme des marchés émergents, leur potentiel de rendement demeure considérable pour qui sait faire preuve de patience. Le nouveau projet du Pr Errunza ne tient pas seulement compte des obstacles traditionnels auxquels font face les investisseurs des marchés émergents, mais il cherche également à expliquer les risques que fait peser la fluctuation des taux de change.

L’autorité de Vihang Errunza sur ce sujet tient à ce qu’il a pu fournir à la communauté financière des statistiques et des modèles fiables pour comprendre le potentiel des économies de marchés émergents. Au début des années 1980, par exemple, il a joué un rôle clé dans la mise sur pied de la première base de données sur les marchés émergents de la Banque mondiale. Cette base de données a depuis lors été vendue à l’indice Standard & Poor’s et elle fait partie des outils dont se servent régulièrement les gestionnaires de fonds.

Depuis les années 1990, les fonds de pays et les certificats américains d’actions étrangères ont gagné en popularité parmi les investisseurs qui cherchaient à diversifier leurs portefeuilles à l’étranger. Alors que la mondialisation battait son plein, le professeur de gestion originaire de Mumbai a joué un rôle discret mais important dans l’ouverture des marchés mondiaux. « Plusieurs personnes qui n’avaient jamais investi jusque-là ont commencé à boursicoter », explique-t-il, dans son bureau du Pavillon Bronfman.

Il va de soi que la modification radicale des doctrines en matière de placements ne se produit pas sans heurt et que de nombreuses voix se sont inquiétées de ce que la montée des marchés émergents soit néfaste à l’égard de l’emploi en Amérique du Nord. Mais pour le Pr Errunza, ces craintes sont futiles, sachant que l’économie canadienne a besoin de la concurrence. « Le fait est qu’il nous faut innover », insiste-t-il. « Sans innovation, nous serons relégués au deuxième rang des économies mondiales. »

Vihang Errunza se soucie très peu des craintes que suscite l’externalisation, car elles ne permettent pas de régler les problèmes réels de notre économie, et plus particulièrement son aptitude à faire face aux nouveaux enjeux. De fait, ce que le Pr Errunza attribue à son propre succès se reflète à bien des égards dans les résultats de ses recherches. « Il faut des défis, sans quoi nous n’irons pas très loin », souligne-t-il. « Il faut continuellement apprendre, innover et relever des défis. »


Vihang Errunza est titulaire de la Chaire de la Banque de Montréal en finances et opérations bancaires et vice-doyen (recherche et relations internationales) de la Faculté de gestion Desautels.