Essuyer la tempête

Par James Martin

Un spécialiste des conditions climatiques prend de l’altitude pour aider ceux qui restent au sol à faire face aux vicissitudes climatiques

 Ni la neige ni la pluie ni le givre n'écartent le professeur de sciences atmosphériques et océaniques Ronald Stewart de ses recherches
Ni la neige ni la pluie ni le givre n'écartent le professeur de sciences atmosphériques et océaniques Ronald Stewart de ses recherches

Les ailes recouvertes de givre, un petit avion s’efforce de garder le cap au-dessus des Îles-de-la-Madeleine. Un orage contraint un avion à atterrir en catastrophe sur une petite piste dans la Sierra Nevada. Quelque part dans l’océan Atlantique démonté, la neige mouillée grippe un moteur.

Autant de scénarios catastrophes auxquels le Pr Ronald Stewart a survécu. En fait, ce professeur du Département de sciences atmosphériques et océaniques compte à son actif plus de 1 000 heures de vol par temps de tempête. « Rien à voir avec la recherche de sensations fortes », s’empresse-t-il de préciser. « Je le fais pour la science. »

À titre de titulaire de la Chaire de recherche industrielle du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie (CRSNG) sur les conditions météorologiques exceptionnelles, Ronald Stewart souhaite percer à jour les mécanismes physiques des phénomènes climatiques catastrophiques à l’origine de tant de malheurs (même si pour cela il lui faut affronter une tempête à bord d’un aéroplane). Ce « laboratoire volant », qui appartient au Conseil national de recherches, permet à Ronald Stewart et aux membres de son équipe de personnaliser leur plan de vol en fonction de l’évolution de la tempête afin de capter en temps réel des données sur la température, le vent, les précipitations et l’hygrométrie, autant d’éléments qu’il est tout simplement impossible de recueillir au sol.

Outre les projets qui le conduiront à Iqaluit en 2007 pour étudier les changements climatiques dans le nord du Canada, Ronald Stewart travaille avec l’Institut de prévention des sinistres catastrophiques (IPSC), un centre de recherche financé par les assureurs canadiens, pour étudier les mécanismes physiques des précipitations hivernales. Le raisonnement des assureurs est simple : mieux comprendre pour mieux affiner les prévisions météorologiques. Plus les prévisions météorologiques seront précises, plus il sera possible d’avertir les populations et plus celles-ci seront en mesure de se protéger et de protéger leurs biens. Et si les dégâts sont moindres, les remboursements d’assurance diminueront; une leçon de plusieurs milliards de dollars que les assureurs n’ont pas manqué de tirer de la catastrophique tempête de verglas qui a ravagé certaines régions de l’est du Canada en 1998.

De légers écarts de température ou d’hygrométrie atmosphérique pendant cette tempête auraient permis d’éviter la pluie verglaçante… et ses dommages collatéraux.

« On aurait très bien pu avoir une tempête de grésil à Montréal à la place », signale Ronald Stewart, « ce qui n’est certes pas rien, mais les dégâts n’auraient jamais frôlé les proportions de ceux causés par la tempête de verglas. »

En relayant aux météorologues les résultats des observations scientifiques effectuées en temps réel, Ronald Stewart espère que des prévisions plus précises sur les précipitations verglaçantes, ainsi que le pourcentage d’entre elles qui prendront la forme de pluie verglaçante, de grésil et de neige mouillée, pourront être établies. Ces informations pourraient aider Transports Canada à mieux choisir les dégivrants à utiliser sur les ailes des avions, par exemple. (Tous les dégivrants ne se valent pas; le grésil, par exemple, a le grand défaut de diluer le dégivrant pour la pluie verglaçante.) « Cela permettrait de faire des économies », souligne Ronald Stewart, « mais aussi de sauver des vies. »

L’absence de pluie est sans doute au moins aussi dramatique qu’un excès de précipitations. Ronald Stewart, qui a grandi dans une ferme du Manitoba, se souvient de la sécheresse qui a frappé les Prairies entre 1999 et 2005 et qui a causé des pertes de plusieurs milliards de dollars et provoqué des dégâts psychologiques incommensurables. Selon M. Stewart, il s’agit peut-être de la pire catastrophe naturelle que le Canada n’ait jamais connue. Ce phénomène était particulièrement étonnant puisqu’il y avait presque autant d’humidité dans l’atmosphère qu’au cours d’années moins arides – sauf qu’elle ne se transformait jamais en pluie. À titre de fondateur et de codirecteur de la nouvelle Initiative de recherche sur la sécheresse, il coopère avec divers organismes (y compris le Service canadien de la faune, Alberta Environment, Saskatchewan Watershed Authority et Manitoba Hydro) pour percer à jour les caractéristiques physiques de cette sécheresse et mieux comprendre les mécanismes de la sécheresse en général.

L’an dernier, les météorologues prévoyaient encore un été chaud et sec, jusqu’à ce que des inondations ravagent le sud de l’Alberta. De meilleures prévisions pourraient permettre aux agriculteurs de planter des cultures plus résistantes à la sécheresse (du blé, par exemple, au lieu du canola) et aider les compagnies d’hydroélectricité à mieux gérer les ressources en eau. Les spécialistes de la santé mentale estiment pour leur part qu’une meilleure compréhension des phénomènes météorologiques à l’origine de la sécheresse pourrait aider les agriculteurs à mieux faire face aux conséquences émotionnelles des pertes que ce type de catastrophe les contraint d’essuyer.

« Je suis physicien et j’essaie de comprendre comment fonctionnent les choses. Qu’on le nomme point de basculement ou seuil, nous essayons de saisir le plus précisément possible pourquoi certains phénomènes météorologiques, qu’il s’agisse du grésil ou de la sécheresse, surviennent plutôt que d’autres », précise Ronald Steward en ajoutant: « Nous n’essayons pas de résoudre les problèmes de la planète, mais seulement d’enrichir les connaissances de manière à rendre les communautés moins vulnérables et plus résistantes. »


Les travaux de recherche de Ronald Stewart sont subventionnés par le CRSNG, l’Institut de prévention des sinistres catastrophiques et Environnement Canada.