Epingler la superbacterie

Des recherches novatrices menées à McGill permettent de lutter contre une bactérie virulente sur deux fronts différents

Le Dr Ken Dewar, professeur adjoint de génétique humaine à McGill et chercheur à l'Institut de recherche du CUSM
Le Dr Ken Dewar, professeur adjoint de génétique humaine à McGill et chercheur à l'Institut de recherche du CUSM

La bactérie en question porte le nom de Clostridium difficile ou C. difficile. En un an au Québec, elle a tué près de 10 fois plus de personnes que le virus à l’origine de l’épidémie de SRAS à Toronto. Elle est extrêmement contagieuse, car elle peut survivre sur de multiples surfaces et se transmet facilement d’homme à homme. Sous sa forme la plus bénigne, cette bactérie provoque des diarrhées et des douleurs gastriques. Sous sa forme la plus toxique, elle peut être mortelle.

Mais il existe de nouvelles armes pour lutter contre cette infection. En décembre 2005, des chercheurs de l’Université McGill et de ses hôpitaux affiliés ont en effet annoncé coup sur coup plusieurs avancées pour combattre l’augmentation spectaculaire des souches hautement toxiques de cette bactérie au Québec et ailleurs dans le monde.

La bactérie C. difficile, qui doit son nom à la difficulté qu’ont les chercheurs à la cultiver en laboratoire, est connue depuis les années 1930 et était réputée infecter les patients contraints à un long séjour hospitalier. Cependant, de nouvelles variantes dangereuses ont récemment fait leur apparition au Canada, aux États-Unis, en Angleterre et aux Pays-Bas. La souche québécoise, qui résiste aux antibiotiques, sécrète 20 fois plus de toxines que les bactéries plus répandues de la même famille, se propage plus facilement et tue environ huit pour cent des personnes qu’elle infecte. C. difficile a ainsi causé ou contribué au décès de plus de 400 Québécois entre août 2004 et 2005 seulement.

La Dre Sandra Dial, professeure adjointe de médecine à McGill et médecin aux soins intensifs de l'Hôpital général juif et du CUSM.
La Dre Sandra Dial, professeure adjointe de médecine à McGill et médecin aux soins intensifs de l'Hôpital général juif et du CUSM.

Le 12 décembre 2005, des chercheurs du Centre d’innovation Génome Québec – Université McGill, du Centre universitaire de santé McGill (CUSM) et de l’Hôpital général juif ont annoncé avoir percé le code génomique d’une souche virulente de C. difficile prévalant au Québec depuis 2003. Cette avancée significative marque un tournant dans la recherche, puisque c’est la première fois que cette variante de C. difficile est séquencée. L’équipe en question était dirigée par le Dr Ken Dewar, professeur adjoint de génétique humaine à McGill et chercheur à l’Institut de recherche du CUSM, et par le Dr André Dascal, professeur agrégé de médecine, de microbiologie et d’immunologie à McGill, et médecin en chef responsable du service des maladies infectieuses à l’Hôpital général juif.

Le fait d’avoir percé le code génétique de ce microbe ouvre la voie à l’élaboration de nouveaux tests pour permettre de diagnostiquer l’infection plus rapidement, ce qui devrait déboucher sur de nouveaux traitements et de nouvelles stratégies de prévention contre la souche de C. difficile responsable de plus de trois quarts des cas recensés à ce jour au Québec.

Le Dr André Dascal, professeur agrégé de médecine, de microbiologie et d’immunologie à McGill, et médecin en chef responsable du service des maladies infectieuses à l’Hôpital général juif
Le Dr André Dascal, professeur agrégé de médecine, de microbiologie et d’immunologie à McGill, et médecin en chef responsable du service des maladies infectieuses à l’Hôpital général juif

Une semaine après l’annonce de cette percée génétique, une équipe dirigée par la Dre Sandra Dial, professeure adjointe de médecine à McGill et médecin aux soins intensifs de l’Hôpital général juif et du CUSM, publiait les résultats d’une recherche qui montre que les médicaments qui réduisent l’acidité gastrique (comme les médicaments que l’on prend contre les brûlures d’estomac) augmentent le risque d’infection par C. difficile. Les chercheurs, dont le Dr Samy Suissa, directeur d’épidémiologie clinique au CUSM et titulaire de la Chaire James McGill d’épidémiologie, de biostatistique et de médecine à l’Université McGill, Alan Barkun, chef du Service de gastroentérologie du CUSM, ainsi que le doctorant en épidémiologie Chris Delaney, estiment que la diminution de l’acidité gastrique est plus propice à la croissance de la bactérie dans l’estomac. En 2004, la Dre Dial et son équipe ont en effet montré que les antiacides associés à certains types d’antibiotiques augmentaient les risques d’infection bactérienne. Les antibiotiques avaient été jusqu’à présent les seuls médicaments mis en cause dans cette infection.

L’étude de la Dre Dial, dont les résultats ont été publiés dans le Journal of the American Medical Association, est la première à montrer une augmentation significative des infections à C. difficile acquises en dehors du milieu hospitalier. Plus de 70 pour cent des personnes porteuses de ces infections n’avaient pas été admises à l’hôpital au cours de la dernière année. Le plus étonnant est que les chercheurs ont également découvert que les patients non hospitalisés qui développent une infection à C. difficile sont moins susceptibles que les patients hospitalisés d’avoir été exposés aux antibiotiques. Jusqu’à la publication de ces résultats, l’acquisition d’une infection à C. difficile était réputée être presque exclusivement nosocomiale.


Le séquençage de C. difficile a été réalisé grâce à des subventions de Génome Québec, de Génome Canada, de l’Institut de recherche médicale Lady Davis, de la Fondation de l’Hôpital général juif, ainsi que du Centre de séquençage du génome de l’École de médecine de l’Université de Washington. La recherche sur C. difficile et les antiacides a été subventionnée par les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC), par la Fondation canadienne pour l’innovation (FCI) et par le Fonds de la recherche en santé du Québec (FRSQ).