Par Mark Shainblum
Andréa LeBlanc a trouvé l’une des clés permettant de décoder la maladie d’Alzheimer, là où personne ne l’attendait.
Pendant près de dix ans, Andréa LeBlanc a défendu une théorie peu appréciée sur les causes fondamentales de la maladie d’Alzheimer. Son équipe et elle ont été pratiquement les seuls au monde à préparer un dossier sur la caspase-6, membre d’une famille d’enzymes jouant un rôle dans la mort et l’inflammation cellulaires.
Sa position va à l’encontre de la théorie des plaques amyloïdes, encore largement défendue, qui pointe vers la protéine bêta-amyloïde (Abêta) comme cause fondamentale de la maladie d’Alzheimer. La protéine ß-amyloïde est constituée de 36 à 43 acides aminés. L’accumulation de fragments d’Abêta conduit à la formation des tristement célèbres « plaques séniles » dans la substance grise du cerveau de personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer. Mais pour Andréa LeBlanc, Abêta n’est pas tant la cause de la maladie d’Alzheimer comme sa conséquence. Pendant de longues années, en dehors du laboratoire de la Pre LeBlanc, la caspase-6 était absente du programme de recherche sur la maladie d’Alzheimer.
« Nos recherches ont montré que les neurones, c’est-à-dire les cellules principalement touchées par la maladie d’Alzheimer, activent l’enzyme caspase-6 sous l’effet du stress », explique la Pre LeBlanc, chercheuse principale à l’Institut de recherche médicale Lady Davis de l’Hôpital général juif, où se trouve son laboratoire. « Nous avons également montré que des neurones sains dégénèrent lorsqu’ils sont exposés à l’enzyme caspase-6 activée. »
Après que l’équipe de la Pre LeBlanc eût signé plus de douze articles apportant des preuves tangibles et irréfutables, d’autres ont commencé à s’intéresser à cette théorie. En octobre 2010, Andréa LeBlanc a prononcé la conférence Killam à l’Institut neurologique de Montréal, un honneur habituellement réservé à d’éminents scientifiques de l’extérieur.
« Nous avons découvert que des mutations familiales causent une dégénérescence neuronale totalement indépendante de la production de peptides bêta-amyloïdes », explique la Pre LeBlanc, également titulaire de la Chaire de neurologie et de neurochirurgie James McGill. « Cela a confirmé notre théorie selon laquelle l’Abêta est la conséquence et non la cause de la maladie. La production de caspase-6 est donc un phénomène qui se produit largement en amont. Les caspase-6 activées augmentent la production d’Abêta dans les neurones humains et provoquent plusieurs autres défauts cellulaires associés à la maladie d’Alzheimer. »
Le cerveau de personnes décédées de la maladie d’Alzheimer présente un taux extrêmement élevé d’enzymes caspase-6 activées, ce qui est rarement le cas chez les personnes plus âgées non atteintes de la maladie ou chez celles âgées de moins de 45 ans. Plus intriguant encore, la Pre LeBlanc a également trouvé des taux élevés de l’enzyme dans le cerveau de certaines personnes plus âgées qui ne souffraient pas de la maladie d’Alzheimer, mais qui présentaient néanmoins des pertes de mémoire.
« Nous avons déterminé que les personnes qui présentaient l’enzyme activée dans la partie du cerveau que l’on croit la première touchée par la maladie d’Alzheimer obtenaient également des scores cognitifs plus faibles. Bien que les sujets n’avaient présenté aucun signe clinique de la maladie d’Alzheimer de leur vivant, ces résultats indiquent qu’ils auraient peut-être développé la maladie s’ils avaient vécu plus longtemps, ce qui permet d’établir un lien solide entre l’enzyme caspase-6 et la maladie d’Alzheimer. »
Si la théorie de la caspase-6 se vérifie, la Pre LeBlanc pense qu’elle permettra de contribuer à l’élaboration de nouveaux outils diagnostiques et traitements. Les techniques psychiatriques actuelles utilisées pour le diagnostic de la maladie d’Alzheimer ne sont efficaces que lorsque la maladie a atteint un stade irréversible.
« L’enzyme caspase-6 ne détruit pas les neurones, mais provoque une dégénérescence neuronale. Les neurones ne sont pas morts, mais ils ne peuvent fonctionner correctement, ce qui signifie que le processus de neurodégénérescence pourrait être réversible. À tout le moins, cette enzyme devrait nous permettre d’établir un diagnostic suffisamment tôt », conclut-elle.
La Pre Andréa LeBlanc est titulaire d’une chaire James McGill. Ses travaux ont été réalisés grâce aux subventions octroyées par les Instituts de recherche en santé du Canada, les Instituts nationaux de recherche sur la santé des États-Unis et la Fondation canadienne pour l’innovation.