Défendre la science

Entrevue avec Brian Alters par Mark Reynolds

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Brian Alters, titulaire de la Chaire Tomlinson d’enseignement des sciences, est le fondateur et directeur du Centre de recherche en enseignement de l’évolution, une collaboration entre les Universités McGill et Harvard. Auteur prolifique et professeur primé, il est l’un des six témoins experts et le seul témoin canadien appelé à témoigner pour les demandeurs au procès Kitzmiller c. Dover, aux États-Unis. Fortement médiatisé, le procès de la Cour fédérale des États-Unis a été surnommé Scopes II, en référence au procès de 1925 sur l’enseignement de l’évolution. À la fin de décembre 2005, le juge a statué que la Commission scolaire de Dover en Pennsylvanie ne pouvait obliger l’enseignement de la théorie de la création intelligente dans les cours consacrés à l’évolution.

Qu’est-ce qui vous a amené à faire des recherches sur l’enseignement de l’évolution en particulier?

Lorsque j’étais enfant, on m’a appris que l’évolution était non seulement scientifiquement erronée, mais fondamentalement diabolique… Pourtant, lorsque j’étais à l’école secondaire, j’ai suivi des cours au collège communautaire, où j’ai appris la théorie de l’évolution. Il y avait une véritable dissonance entre ce qui était enseigné au collège et ce qu’on m’avait appris à l’école secondaire ou à la maison. Je trouvais qu’il était incroyablement intéressant qu’autant de personnes divergent sur cette question.

Si, comme vous l’avez dit plusieurs fois dans votre témoignage, le débat scientifique sur l’évolution est terminé, pourquoi faut-il mener des recherches sur l’enseignement de l’évolution biologique?

Le débat scientifique concernant l’existence même de l’évolution a pris fin longtemps avant ma naissance, bien que les scientifiques aient incontestablement des arguments très sérieux sur la manière dont l’évolution se produit. La recherche sur l’enseignement des sciences s’intéresse à la façon dont l’évolution est enseignée, sur les malentendus que cela suscite et sur les moyens à prendre pour les corriger.

Non seulement l’évolution apparaît-elle comme contre-intuitive ou religieusement offensante pour plusieurs, mais il existe aussi une puissante industrie antiévolution qui s’attache à discréditer la science de l’évolution. Quoi de plus choquant que d’apprendre que près de la moitié des Nord-Américains rejettent la théorie de l’évolution – tout se passe comme si les professeurs, les manuels et les scientifiques avaient tout faux. Puisqu’il s’agit du principal problème de l’enseignement scientifique, l’évolution doit préoccuper de très près les chercheurs qui s’intéressent à ce domaine des sciences de l’éducation.

Pourquoi n’y a-t-il pas de débats comparables au Canada?

Ces débats existent au Canada, mais ils ne reçoivent pas la même attention qu’aux États-Unis, où le système éducatif est plus décentralisé. Cela a permis à des groupuscules de provoquer de véritables scandales dans les commissions scolaires locales. Le Centre de recherche en enseignement de l’évolution de McGill reçoit des appels d’enseignants des quatre coins du Canada sur les problèmes que soulève l’enseignement de l’évolution. Nous constatons que les enseignants tendent à moins insister sur l’évolution en raison des pressions qui sont exercées sur eux ou dont ils estiment être l’objet. Un sondage récent mené par le Globe & Mail révèle que près d’un Canadien sur quatre estime que la théorie de la création intelligente devrait être enseignée dans les écoles publiques.

Est-ce que l’étude des différences dans les valeurs éducatives entre les États-Unis et les autres pays du monde fait partie du mandat de recherche de votre centre?

Tout à fait; nous nous intéressons à l’éducation de l’évolution dans le monde entier. Par exemple, nous avons reçu récemment une subvention du Conseil de recherches en sciences humaines pour étudier comment les enseignants, les étudiants et les parents musulmans envisagent l’évolution au Pakistan, en Indonésie, en Arabie saoudite, en Turquie et en Iran, ainsi que dans les communautés musulmanes du Canada. L’islam est la religion qui affiche la croissance la plus rapide dans le monde, y compris au Québec, et pourtant l’Occident connaît très peu la pensée islamique sur la question fondamentale de l’évolution.

Qu’avez-vous éprouvé lors du contre-interrogatoire?

On n’a pas le luxe de savoir quelle question vous sera posée ni de réfléchir ne serait-ce que dix minutes à la réponse. Les réponses doivent être pratiquement instantanées et extrêmement précises. Après avoir passé six heures à témoigner sous serment, puis trois heures à la barre, tout ce que je peux dire, c’est que les paroles qui m’ont fait le plus plaisir ont été : « Monsieur Alters, vous pouvez quitter la barre. »

Qu’avez-vous pensé de cette tempête médiatique?

C’est une expérience extraordinaire! Je reçois des demandes d’entretien du monde entier et n’eût été de ce procès, je n’aurais pas fait toutes les rencontres exceptionnelles qu’il m’a été donné de faire. Par exemple, il y a quelques semaines, j’assistais à une pièce de théâtre à New York sur le procès Scopes dans laquelle jouait Ed Asner, lauréat des prix Emmy et Golden Globe et ancien président de la Screen Actors Guild. Quelqu’un lui a dit que j’avais témoigné au procès. Après la pièce, nous nous sommes rencontrés et il m’a surpris en me disant : « C’est un honneur de faire votre connaissance. »