Par Lucas Wisenthal
Si les micro-organismes peuvent survivre dans le Haut-Arctique, ils peuvent survivre partout. Depuis des années, le Pr Lyle Whyte explore les recoins en apparence les plus inhospitaliers de la toundra. Il y a fait des découvertes essentielles sur la vie microbienne à des températures glaciaires, sur Terre et au-delà.
Sur l’île Axel Heiberg (79° 26’ 0” N), où McGill exploite une Station de recherche arctique depuis 1960, la température moyenne est de moins 15 degrés Celsius. Pour atteindre la station, il faut prendre un avion jusqu’à Resolute au Nunavut (229 habitants), puis, si le temps le permet, parcourir les 700 kilomètres restants à bord d’un petit avion. En fait, gagner la Station de recherche arctique de McGill (dont l’acronyme anglais est MARS), c’est presque partir pour Mars! Et à en juger par les découvertes récentes sur la flore microbienne qui colonise l’île Axel Heiberg, tout porte à croire que nous sommes bel et bien sur la planète rouge.
Au cours des 10 dernières années, le Pr Lyle Whyte s’est rendu à la Station de recherche arctique de McGill une fois, voire deux fois l’an. OEuvrant au sein du Département des sciences des ressources naturelles de McGill, Lyle Whyte s’intéresse aux microbes qui pourraient coloniser le pergélisol inhospitalier de cette région. «Nous ne connaissons rien ou presque des limites inférieures de la vie des micro-organismes sur Terre», explique-t-il. «Survivent-ils à des températures négatives? Et si oui, comment?» Autant de questions lourdes de conséquences pour l’étude d’éventuelles formes de vie en dehors du système terrestre, car si les zones climatiques les plus impitoyables de la Terre ne sont pas entièrement inhospitalières, quelles surprises le sous-sol de Mars peut-il alors nous réserver?
En 2008, la NASA a déployé l’atterrisseur Phoenix sur la planète Mars. Pour le Pr Whyte, les images retransmises par Phoenix n’avaient rien d’étrange. «Du point de vue de la géomorphologie, ces photos ressemblaient fort à la géologie et à la géographie que l’on peut observer autour de la station de McGill.» En 2003, le Pr Whyte et son équipe ont découvert que le pergélisol glacé du Haut-Arctique fourmillait de microbes. En collaboration avec Wayne Pollard, du Département de géographie, son équipe a analysé les communautés microbiennes qui colonisent les sources d’eau froide salée autour de la station. L’analyse de suintement de méthane dans le pergélisol a permis de découvrir une communauté de microbes qui inhalent du sulfate et survivent dans un milieu hypersalin extrêmement froid, alors qu’on pensait que ces petites bêtes ne vivaient que dans le fond des océans. Les données révèlent toutefois qu’elles pourraient coloniser pratiquement toutes les régions de la Terre et, pourquoi pas, d’autres planètes.
Invisibles à l’oeil nu, ces organismes sont aux antipodes des « petits hommes verts » déambulant sur Mars – une planète froide dépourvue d’oxygène et dont la surface a été rendue stérile par les rayonnements – qui peuplent l’imaginaire collectif. Mais à quelques mètres sous cette surface désolée, à l’abri de l’environnement extérieur, il se pourrait fort bien qu’il y ait des traces de vie microscopique. « Si aucun microbe n’avait été découvert dans le pergélisol, les glaciers ou encore dans les couches de glace du Haut-Arctique, il serait alors inutile de chercher leur présence sur une planète telle que Mars », explique le Pr Whyte. « Mais nous avons découvert que ces milieux fourmillaient de microbes. » Et bien qu’il ne s’agisse que de simples bactéries, cette découverte pourrait avoir des conséquences scientifiques et philosophiques immenses pour l’humanité, «car cela signifie que la vie peut évoluer dans d’autres univers, même dans le système solaire ».
À l’époque de la mission de Phoenix, la NASA ne disposait pas d’outil pour prélever des échantillons dans le pergélisol. Le Pr Whyte et d’autres chercheurs du Programme de formation en astrobiologie financé par le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (dont il est le chercheur principal) collaborent avec l’Agence spatiale canadienne pour mettre au point un dispositif qui permettra de prélever des échantillons dans le sous-sol de Mars.
« Personnellement, je ne crois que ce que je vois », explique le Pr Whyte. « J’attends donc avec impatience le moment où l’on me présentera un échantillon que je pourrai scruter au microscope électronique, à la recherche d’éventuels microbes. » Peut-être n’aura-t-il pas à attendre bien longtemps. Lyle Whyte espère en effet qu’une mission de ce type sera lancée au cours des années 2020. « Nous sommes à l’aube d’une aventure extraordinaire. »
■ Les travaux du professeur Lyle Whyte sont financés par le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada, la Fondation canadienne pour l’innovation, le Programme de chaires de recherche du Canada, le Programme du plateau continental polaire, le ministère des Affaires indiennes et du Nord, l’Agence spatiale canadienne et la NASA. Le professeur Whyte est titulaire de la Chaire de recherche du Canada en microbiologie environnementale et il a dirigé le Groupe de travail en astrobiologie de l’Agence spatiale canadienne de 2007 à 2009.