Pour souligner le quatrième anniversaire de la création des chaires professorales et des prix Fessenden en innovation scientifique, en tête se penche sur ce programme qui a aidé des chercheurs de l’Université McGill à transformer leurs idées en produits concrets, car pour attirer l’attention du public sur ses idées novatrices, il faut faire plus qu’inventer un savon à lessive qui lave plus blanc que blanc. //
Par Dana Yates
Quand il s’agit de soutenir l’innovation, les chercheurs canadiens ont besoin de toute l’aide possible. Selon le bilan annuel du Conference Board du Canada sur l’innovation, le Canada se classe 14e parmi les 17 pays industrialisés étudiés. Notre performance nationale au chapitre de la commercialisation de produits issus de la recherche est particulièrement affligeante : ainsi, pour ce qui est du nombre de brevets (par rapport à la population), seules l’Irlande, l’Australie et l’Italie font pire
figure que le Canada. Heureusement, un programme unique de financement mis sur pied par la Faculté des sciences de l’Université McGill permet aux chercheurs de transformer plus facilement le fruit de leurs travaux en technologies offertes sur le marché.
Les chaires professorales annuelles Fessenden en innovation scientifi que ont été instituées en 2008 grâce à un don de 1,25 million de dollars de John Blachford, B. Ing. 1959, Ph. D. 1963, et de son épouse, Janet. Le programme bénéficie également d’une contribution de 750 000 dollars d’un bienfaiteur anonyme. Les prix Fessenden en innovation scientifique ont été établis grâce à un don complémentaire d’Erik Blachford, fi ls de John et de Janet. Le programme Fessenden a été créé en l’honneur du grand-oncle de M. Blachford, le regretté inventeur canadien Reginald Aubrey Fessenden. Cet éminent chercheur a été le premier à effectuer une transmission sans fi l de la voix humaine, deux jours avant Noël 1900. (La voix était la sienne, et le message transmis à la radio était manifestement canadien : « Neige-t-il là où vous êtes ? »)
Les initiatives Fessenden comptent deux types de bourses. Les prix Fessenden, attribués à des professeurs et des étudiants, viennent reconnaître des travaux de recherche effectués à McGill qui présentent un potentiel de commercialisation évident. Les professeurs lauréats d’un prix Fessenden reçoivent 4 000 dollars; les étudiants de premier cycle et ceux des cycles supérieurs reçoivent respectivement 2 500 et 3 500 dollars.
La bourse professorale Fessenden, assortie d’une somme pouvant atteindre 70 000 dollars, reconnaît les recherches qui se démarquent par l’impact majeur qu’elles pourraient avoir sur le marché. Le soutien fi nancier vise à combler l’écart au chapitre de la mise en marché et à accélérer la création de sociétés
dérivées. Comme le développement de produits exige beaucoup de temps et d’efforts, les bourses et les prix Fessenden peuvent notamment servir à externaliser les activités de marketing ou à engager un adjoint à l’enseignement pour voir à la correction et à la notation. Les chercheurs peuvent ainsi se concentrer sur la commercialisation de leurs découvertes – une étape cruciale dans la mise à profi t de nouvelles idées.
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Le processus de transfert de technologie s’apparente au lancement
d’une fusée, affirme Gregory Dudek, directeur de l’École d’informatique et du Laboratoire de robotique mobile de McGill. « On met un premier moteur en marche, puis un second. Après le décollage, tout va de plus en plus vite. »
Le professeur Dudek a obtenu un prix Fessenden en 2009, et une chaire professorale l’année suivante. Les fonds, qu’il juge déterminants, lui ont permis d’acquérir du matériel de recherche, d’engager du personnel de soutien et, enfin, de créer une florissante société dérivée.
Gregory Dudek est maintenant président de la fi rme montréalaise Independent Robotics Inc. (IRI), à laquelle sont également associés Michael Jenkin, de l’Université York, l’entrepreneur Martin Stanley, le diplômé en génie mécanique Chris Prahacs et l’ingénieur mécanique Bikram Dey, de McGill. L’entreprise conçoit des robots intelligents et autonomes – qui explorent des milieux où personne n’ose encore s’aventurer : les profondeurs océaniques.
Dans le monde sous-marin, les humains sont limités par le nombre de bonbonnes d’oxygène qu’ils peuvent porter, les profondeurs qu’ils peuvent atteindre et la fragilité de l’écosystème aquatique. En revanche, les robots amphibies d’IRI peuvent créer des modèles 3D du milieu océanique à 30 mètres de profondeur, évaluer les populations de poissons et mesurer les effets du changement climatique sur les récifs coralliens.
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Ce genre d’investigation en profondeur caractérise aussi la recherche de Nicolas Moitessier. Toutefois, plutôt que d’étudier
les milieux sous-marins, son regard virtuel sonde l’intérieur du
corps humain. Professeur agrégé de chimie et cofondateur de la société dérivée Molecular Forecaster, Nicolas Moitessier a mis au point un logiciel qui permet de déterminer le mode d’action des médicaments dans l’organisme.
Le logiciel repose sur des dessins 3D de molécules qui simulent les propriétés des médicaments. Ces modèles permettent au chercheur d’en déterminer l’effet et le mode d’élimination. Cette connaissance pourrait un jour transformer le processus de développement de médicaments.
« En ce moment, il faut environ 15 ans et un milliard de dollars pour mettre un médicament sur le marché. Ainsi, plutôt que d’eff ectuer des milliers de tests fastidieux et coûteux, nous pourrions avoir les réponses à nos questions en quelques minutes », précise le professeur Moitessier. De plus, le logiciel pourrait protéger la population des effets toxiques imprévus d’un médicament, et la planète, de l’abus de produits chimiques pharmaceutiques.
En 2008, la chaire Fessenden a permis au professeur Moitessier de recruter un adjoint à la recherche, Éric Therrien, titulaire d’un doctorat de l’Université de Montréal, pour faire progresser les travaux. Son efficacité exceptionnelle l’amène à devenir cofondateur et président de Molecular Forecaster. La firme
de ces deux chercheurs a protégé le droit d’auteur du logiciel et négocie pour vendre ses services à d’autres entreprises.
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Ce succès, le professeur de chimie Masad Damha le connaît aussi.
Titulaire d’une chaire professorale Fessenden en 2010, il en a
affecté les fonds à deux projets de recherche. Le premier utilise l’interférence par ARN pour ralentir la progression de tumeurs cérébrales. Ce projet met aussi à contribution Kevin Petrecca, chercheur à l’Institut et hôpital neurologiques de Montréal, ainsi que Glen Deleavey et Jovanka Bogojeski, doctorants du Département de chimie de McGill.
En créant un composé qui imite l’ARN double brin (élément clé de la production de protéines), les professeurs Damha et Petrecca poussent l’organisme à freiner la croissance tumorale en perturbant le processus de production de protéines.
« Lorsque nous ciblons la production de protéines plutôt que les protéines elles-mêmes, c’est un peu comme si nous fermions le robinet plutôt que d’éponger le plancher », explique le professeur Damha, qui a utilisé une partie de sa bourse Fessenden pour engager le boursier postdoctoral suédois Richard Johnsson.
Aujourd’hui, la technologie ARN du professeur Damha est la propriété de la société pharmaceutique québécoise Paladin.
Dans le cadre du second projet du professeur Damha – un partenariat avec Mark Somoza, de l’Université d’Autriche –, les chercheurs visent à améliorer la production d’ARN sur de fi nes puces sur lames de verre. Bien que ce processus permette aux chercheurs de mieux déceler les mutations génétiques, les puces
sont néanmoins facilement rayées par l’agent chimique associé à la synthèse de l’ARN, ce qui en compromet la qualité. Le professeur Damha a mis au point une méthode de synthèse qui prévient la corrosion de la puce à ARN. McGill est à négocier une licence d’exploitation de cette technologie avec une entreprise
des États-Unis.
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À l’instar du professeur Damha, Aleksander Labuda a eu des idées
susceptibles de révolutionner le marché – qu’il a appliquées à la
matière de dimension moléculaire. Doctorant en physique, il
s’intéresse aux microscopes à force atomique (AFM), des instruments qui génèrent des images à haute résolution de surfaces dans les liquides, l’air et sous pression vacuométrique.
Les AFM ont toutefois des limites. Les efforts de ce scientifique pour améliorer la résolution et la fi abilité de ces instruments lui ont valu deux prix Fessenden. Le premier, en 2010, récompensait ses travaux axés sur la mise au point d’une nouvelle méthodologie pour améliorer la résolution des AFM, de sorte que les images « approchent davantage les frontières fondamentales
établies par la physique ».
Son second prix, en 2011, reconnaissait ses travaux visant à concevoir un système AFM unique en collaboration avec Dilson Rassier, professeur de kinésiologie à McGill. Leur technologie brevetée mesure la force de myofibrilles isolées – les plus petites parties séparables des cellules musculaires qui
conservent néanmoins leur intégrité structurale – lorsqu’elles sont activées.
« Si nous arrivons à élucider le mode d’action des myofi brilles », affirme le chercheur, « nous comprendrons le fonctionnement des muscles dans leur ensemble. Comme les contractions musculaires sont responsables de fonctions fondamentales, tels la locomotion ou les battements cardiaques, et qu’elles sont gravement touchées dans le cas de maladies comme la dystrophie musculaire et la myocardiopathie, cette technologie pourrait avoir une portée considérable. » Des discussions sont en cours avec d’éventuels partenaires industriels afi n de commercialiser le système mis au point par Aleksander Labuda et Dilson Rassier.
M. Labuda reconnaît que le prix Fessenden lui a permis de prendre la mesure des nombreuses étapes nécessaires à la mise en marché d’un produit. « En recevant ce prix, vous devez penser au marketing, à la concurrence, aux risques possibles – en fait, à tout ce qui se rapporte à la commercialisation d’une
invention. »
Les prix Fessenden encouragent l’innovation et sont rendus possibles grâce au soutien financier de la famille de l’inventeur canadien Reginald Fessenden. L’Université McGill ne reçoit pas de compensation financière de ces entreprises en démarrage, ni des produits qu’elles vendent.