De la communauté au cerveau

Par James Martin

Rémi Quirion élargit le champ d’application de la recherche en santé mentale

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La carte professionnelle du neuroscientifique Rémi Quirion le présente comme le directeur scientifique de l’Institut des neurosciences, de la santé mentale et des toxicomanies (INSMT) en français au recto et en anglais au verso. Viennent ensuite les incontournables : numéro de téléphone, adresses URL et courriel. Jusque-là, rien d’étonnant, à la différence que cette carte fournit également toutes ces indications en braille.

« Si le nom de l’Institut est celui des neurosciences, de la santé mentale et des toxicomanies », explique Rémi Quirion, « cela ne nous empêche pas de tenir compte de tous les sens. » « C’est peut-être un détail, mais il a son importance », souligne-t-il, en passant son pouce sur la surface de la carte.

Rémi Quirion cumule plusieurs rôles, soit celui de directeur scientifique du Centre de recherche de l’Institut universitaire en santé mentale Douglas, de professeur au Département de psychiatrie de McGill et d’officier de l’Ordre du Canada, et il applique la même philosophie à l’ensemble de ses travaux. « À l’expression “du laboratoire au chevet du patient” », explique-t-il, « nous avons préféré “de la communauté au cerveau”. Le traitement se fait par équipe. À l’Institut Douglas, nous recrutons les meilleurs spécialistes et nous évitons autant que possible le dédoublement des compétences afin d’étudier chaque maladie mentale de A à Z. Nous puisons aux sources de toutes les disciplines, des spécialistes de la recherche sur les services de santé aux experts en génomique. Nous comptons des spécialistes du rôle des gènes dans le rythme circadien pour l’aspect recherche fondamentale et des cliniciens qui mènent des recherches sur le sommeil, ainsi que des spécialistes des services de santé chargés d’évaluer la qualité des soins prodigués aux patients dépressifs ou schizophrènes souffrant de troubles du sommeil. Cette façon de procéder est tout à fait unique. »

 Rémi Quirion est le directeur scientifique du Centre de recherche de l'Institut universitaire en santé mentale Douglas et de l'Institut des neurosciences, de la santé mentale et des toxicomanies. Pour lui, le traitement efficace de la maladie mentale nécessite une équipe de chercheurs issus de toutes les disciplines, des services de santé à la génomique.
Rémi Quirion est le directeur scientifique du Centre de recherche de l'Institut universitaire en santé mentale Douglas et de l'Institut des neurosciences, de la santé mentale et des toxicomanies. Pour lui, le traitement efficace de la maladie mentale nécessite une équipe de chercheurs issus de toutes les disciplines, des services de santé à la génomique.

L’Institut des neurosciences, de la santé mentale et des toxicomanies partage cette vision. L’INSMT est le plus grand des 13 « instituts virtuels » des Instituts de recherche en santé du Canada, le principal organisme fédéral chargé du financement de la recherche en santé au Canada et de la définition de ses orientations. « L’ensemble des recherches sur le cerveau relève de l’INSMT », précise Rémi Quirion. « Cela nous donne une longueur d’avance à l’échelle mondiale. Ailleurs, les organismes subventionnaires se spécialisent soit en biologie, mais sans tenir compte des services de santé, soit en services de santé, mais sans la biologie, et il y a très peu d’échanges entre les disciplines. Le système américain compte pour sa part six ou sept instituts investis du même mandat.

« Prenons l’exemple d’un chercheur qui étudie un neurotransmetteur comme la dopamine. La diminution du taux de dopamine joue un rôle dans la maladie de Parkinson, alors qu’un excès joue un rôle dans la schizophrénie. En revanche, si la dopamine n’est pas activée correctement, elle favorise l’accoutumance. Nous essayons donc de fédérer l’ensemble des chercheurs intéressés par ce sujet avec l’intention de les amener à collaborer au lieu de les laisser travailler de façon indépendante. »

Rémi Quirion met en pratique ce qu’il n’a de cesse de prêcher, donnant à ses propres recherches un véritable caractère interdisciplinaire. Depuis 20 ans, il s’intéresse au rapport entre la neurochimie cérébrale et les déficits cognitifs (dont la démence liée à la maladie d’Alzheimer), étudiant de quelle façon les neurotransmetteurs classiques (comme l’acétylcholine ou les peptides neuronaux) facilitent l’apprentissage et la mémorisation chez le modèle animal. Ces neurotransmetteurs représentent à peine un pour cent des protéines présentes dans le cerveau, si bien que le Pr Quirion a récemment décidé d’élargir son champ d’investigation et de faire appel aux spécialistes de la génomique et de la protéomique à l’Université McGill et au Centre d’innovation Génome Québec. Les membres de son équipe utilisent désormais la technologie de microréseau d’ADN pour comparer 28 000 gènes de rats présentant un déficit d’apprentissage et de la mémoire à ceux de rats normaux. « Nous avons décidé de privilégier une approche plus “coercitive” », explique-t-il. « De cette manière, il est possible de trouver des familles de gènes qui semblent altérées. Bien sûr, nous avons découvert des gènes que nous connaissions déjà, mais surtout, nous en avons découvert de nouveaux dont nous ne nous doutions pas qu’ils puissent être associés à l’apprentissage et à la mémoire. »

Les chercheurs du laboratoire de Rémi Quirion étudient comment l’absence ou la surexpression de deux de ces gènes (transthyrétine et Homer 1a) altère l’apprentissage et la mémoire chez le rat, et ils ont déjà découvert le moyen d’inverser complètement ces déficits. « Bien sûr, il s’agit d’un modèle animal », s’empresse-t-il de préciser, « si bien que son étude est plus facile que chez l’humain. Reste à savoir si le même déficit peut être observé dans le cadre du vieillissement humain, voire s’il est aggravé en cas de maladie d’Alzheimer par rapport au vieillissement normal. Ensuite, nous pourrons concevoir de nouveaux traitements. »

« L’approche coercitive a complètement modifié notre stratégie », ajoute-t-il, « et nous amènera à étudier d’autres hypothèses qui pourraient déboucher sur une percée décisive. »

Rémi Quirion fait également appel à la protéomique pour concevoir des modèles animaux novateurs de la schizophrénie et d’autres maladies mentales. La tâche n’est pas facile. « Ces maladies ont un rapport avec le langage et la cognition », précise-t-il, « mais il est impossible de demander à une souris si elle souffre de psychose. Pour simplifier, nous recherchons chez l’animal les comportements évocateurs de la schizophrénie ou de la dépression. »

Il est assez facile d’induire des déficits cognitifs chez la souris, mais il est néanmoins beaucoup plus difficile de percer les mécanismes neuropathologiques correspondants. Pour y parvenir, Rémi Quirion étudie une nouvelle hypothèse sur le développement des neurones. La théorie de départ présuppose que la schizophrénie peut être déclenchée si certains gènes sont exposés à un stress pendant le développement du cerveau au cours des 12 à 15 premières années de vie – une étape extrêmement complexe d’équilibre entre différents facteurs. Le déchiffrage de ces mystérieuses interactions pourrait ouvrir la voie au développement de médicaments révolutionnaires.

« Cet aspect de la recherche intéresse de nombreux chercheurs dans le monde », souligne Rémi Quirion, qui a reçu le prix Pacesetter 2007 de la Société canadienne de la schizophrénie. « Il arrive que nous consacrions beaucoup du temps à l’étude d’un médicament qui semble agir sur des modèles animaux, et que tout s’effondre au passage à des essais chez l’humain. Nous traitons la dépression, l’anxiété et la schizophrénie avec plus ou moins les mêmes médicaments qu’au début des années soixante; nous avons seulement amélioré leur profil d’effets secondaires. »

Rémi Quirion espère également contribuer de manière décisive à la prise en charge de la douleur chronique. Si la douleur aiguë peut généralement être calmée par des médicaments délivrés sans ordonnance (comme l’aspirine en cas de mal de tête), il n’en va pas de même pour la douleur chronique. Les opiacés sont efficaces, mais ils créent une dépendance et une tolérance (sans parler du risque d’effets secondaires comme l’insuffisance respiratoire), si bien qu’ils soient loin de convenir au traitement de l’arthrite et des douleurs dorsales dont souffre la population vieillissante.

Le Pr Quirion étudie les protéines et les substances exprimées par la moelle épinière. Il s’intéresse tout particulièrement à l’adrénomédulline, un peptide qui présente de nombreuses analogies avec le récepteur peptidique lié au gène de la calcitonine. La plupart de ces récepteurs arrêtent rapidement la transmission de la douleur, mais l’adrénomédulline est « 100 fois plus puissante » en cas de douleur d’une durée de plus de 24 heures, ce qui donne à penser qu’elle pourrait jouer un rôle essentiel dans la douleur chronique, telle que celle causée par les migraines. Il n’existe à l’heure actuelle aucun antagoniste efficace de l’adrénomédulline, mais Rémi Quirion et son équipe sont sur le point de mettre à jour ses mécanismes et les moyens à mettre en œuvre pour l’inhiber. « Cette découverte nous enthousiasme, dit-il, et nous collaborons avec l’industrie pour concevoir un antagoniste de l’adrénomédulline, un analgésique beaucoup plus puissant susceptible d’être utilisé en remplacement des opiacés. »

Au-delà de la découverte de meilleurs médicaments, Rémi Quirion souhaite avant tout infléchir l’avenir de la médecine. Il a récemment publié un article intitulé

« Psychiatry as a Clinical Neuroscience Discipline », avec le Dr Thomas R. Insel, directeur de l’Institut national de santé mentale des États-Unis, dans le Journal of the American Medical Association. « La séparation de la psychiatrie des autres disciplines médicales a contribué à stigmatiser ceux qui traitent les troubles mentaux et ceux qui en souffrent », ont-ils écrit. « Cette séparation est responsable des soins inadéquats prodigués aux patients. Si les troubles mentaux sont des troubles cérébraux, alors la psychiatrie doit tenir compte des neurosciences et de la génomique et la formation des psychiatres doit être radicalement modifiée. » Pour Rémi Quirion, l’éducation (comme l’INSMT et comme le braille sur sa carte professionnelle) est une question d’intégration.

Depuis son arrivée à l’Institut Douglas en 1983, Rémi Quirion a formé plus de 70 étudiants et chercheurs et il souhaite que la nouvelle génération de spécialistes canadiens du cerveau fasse preuve d’encore plus de multidisciplinarité. « Nous désirons exposer nos étudiants non seulement à la recherche fondamentale, mais aussi à la recherche clinique et à la recherche appliquée », explique-t-il. « Pour être véritablement efficaces, les psychiatres de l’avenir doivent être en mesure de comprendre les données de microréseau d’ADN au même titre que les soins communautaires. Parallèlement, les candidats au doctorat doivent également être exposés à la réalité. S’ils travaillent avec moi sur un gène intervenant dans l’apprentissage et la mémoire, ils doivent certes réfléchir à la souris qui leur sert de modèle, de même qu’aux patients atteints de la maladie d’Alzheimer.

« Les neurosciences ne concernent pas seulement des gènes affublés de noms bizarres – elles concernent aussi l’être humain. »


La recherche de Rémi Quirion est financée par les Instituts de recherche en santé du Canada et le Fonds de recherche en santé du Québec.