Le travail des neuroscientifiques de McGill au delà des schismes politiques
par Jeff Roberts
Lorsque Herbert Jasper s’est rendu à Moscou en 1958 pour rencontrer un groupe de scientifiques et discuter avec eux de la recherche sur le cerveau, une discipline qui n’en était alors qu’à ses premiers balbutiements, l’éminent chercheur en neurosciences de McGill avait un objectif bien précis : redonner la science aux scientifiques. Pendant la guerre froide, la science était en effet un terrain d’affrontement supplémentaire entre des camps idéologiques diamétralement opposés, qui donnait lieu à l’envoi de satellites Sputnik ou Explorer dans l’espace ou à l’exploitation des neurosciences pour la guerre psychologique.
Le Dr Jasper et ses collègues nourrissaient pour leur part une tout autre vision du monde, une vision qui permettrait aux chercheurs de chaque pays de partager idées et découvertes sur le cerveau. De leur réflexion et de leurs discussions est née deux ans plus tard l’Organisation internationale de recherche sur le cerveau (OIRC). Incorporée au Canada par une loi du Parlement et affiliée à l’UNESCO, l’OIRC, dont le siège est situé à Paris, a nommé Herbert Jasper premier secrétaire général.
Près de 50 ans plus tard, c’est au tour d’un autre neuroscientifique de McGill, le Dr Albert Aguayo, de présider aux destinées de l’OIRC. Selon lui, la nécessité d’amener la science à combler les écarts qui divisent le monde n’a rien perdu de son importance.
« À l’heure où de nouveaux schismes politiques déchirent le monde, cette organisation s’attache à jeter des ponts entre des régions polarisées », indique-t-il, citant au passage une des dernières initiatives de l’OIRC vouée à officialiser les contacts entre les membres de cette organisation au Canada, en Europe et au Moyen-Orient.
L’OIRC travaille avec 50 000 neuroscientifiques de plus de 100 pays pour stimuler la coopération et l’éducation scientifiques dans le monde. Elle attire par ailleurs des talents hors pair. Le Dr Aguayo, rattaché au Centre de recherche en neurosciences de l’Université McGill et lauréat du prestigieux Prix Killam en sciences de la santé, est renommé pour avoir été le premier à démontrer la capacité des cellules nerveuses à se régénérer après une lésion. Il insiste tout particulièrement sur le fait que l’OIRC n’est pas une autre organisation de pays riches ayant pour mandat de prêter son expertise aux pays en développement. Les relations qui se nouent en son sein sont réciproques, comme en témoignent plusieurs avancées attribuables à des pays plutôt discrets sur la scène scientifique internationale. Le Chili, par exemple, est à l’avant-garde de la recherche sur la biophysique des membranes, et ce, malgré une pénurie de ressources.
« Quiconque aborde la situation avec un complexe de supériorité risque de rater sa cible », précise le Dr Aguayo. L’OIRC a consolidé la recherche sur le cerveau et ses initiatives ont eu des retombées commerciales et sanitaires bénéfiques pour de nombreux pays, et ont permis la mise sur pied d’initiatives éducatives dont la tenue d’ateliers, en Afrique, sur le traitement de l’épilepsie induite par parasite.
L’OIRC a également encouragé la formation dans le domaine de la recherche partout dans le monde, en parrainant 20 établissements où des professeurs enseignent la neurologie clinique et l’étude scientifique. Des professeurs de McGill comme Albert Aguayo et Ante Padjen (pharmacologie et thérapeutique) ont ainsi inculqué leurs enseignements à des étudiants dans des écoles d’Europe orientale, d’Amérique latine et d’Afrique.
« Les étudiants participent à ces cours avec beaucoup d’enthousiasme », indique la professeure de neurologie et neurochirurgie Barbara Jones, spécialiste de la recherche sur le sommeil qui a enseigné dans une école de l’OIRC au Chili, au printemps 2006. À l’instar du Dr Aguayo, elle considère que l’OIRC est investie d’une mission originale qui n’a pas changé depuis sa création.
« Elle était unique à l’époque et elle l’est encore aujourd’hui, puisque son objectif est de fédérer l’ensemble des recherches qui se font sur le cerveau dans le monde », précise la Pre Jones. En rapprochant des spécialistes de différentes disciplines et de différents pays et continents, l’OIRC forme « un creuset riche et complexe de scientifiques et des fruits de leurs recherches » qui est essentiel à la compréhension de la santé et du corps humain.
Albert Aguayo reste fidèle à l’idéalisme qui avait motivé le Dr Jasper à Moscou, il y a 48 ans. « Ce que nous essayons de faire est de partager nos connaissances. Ce message a comme but de réunir les gens et de servir l’humanité. »