Par Andrew Fazekas
Une médecine métamorphosée grâce à la thérapie à partir de cellules souches modifiées génétiquement
Autorégénération du foie. Régénération des os ostéoporotiques au moyen d’une simple injection. La fin du diabète, de la maladie de Parkinson et des maladies cardiovasculaires. Tout cela peut sembler relever de la pure fantaisie, mais voilà que la science-fiction pourrait bien devenir réalité grâce aux études que des chercheurs de McGill mènent sur le rôle des cellules souches dans la restauration, voire la reconstruction du corps humain.
Aux avant-postes de cette véritable révolution figure le Dr Jacques Galipeau, hématologue de l’Hôpital général juif, qui a réuni à ses côtés plusieurs spécialistes issus de différentes disciplines, allant de la médecine à la science des matériaux, pour créer le Groupe de recherche de McGill sur les cellules souches et la médecine régénérative. « J’espère ainsi fédérer les talents et compétences uniques que recèle McGill », souligne le Dr Galipeau, « et constituer une équipe pluridisciplinaire qui s’attachera à élaborer des thérapies cellulaires. »
“Anges gardiens”
Dotées de la particularité de se transformer en n’importe quelle cellule spécialisée – os, nerfs, sang, organes – les cellules souches sont les éléments de base du corps humain. En théorie, il est possible d’amener ces cellules à former un nouveau pancréas, de nouveaux tissus pulmonaires ou des nerfs.
La controverse autour de l’utilisation des cellules souches embryonnaires (CSE), dérivées du tissu fœtal, a fait la une de l’actualité partout dans le monde et plus particulièrement aux États-Unis, où la recherche subventionnée par fonds fédéraux dans ce domaine est strictement interdite. Il existe toutefois d’autres catégories de cellules souches ayant le potentiel de régénérer les tissus. Il s’agit de cellules souches adultes qui, selon le Dr Galipeau, retiennent de plus en plus l’intérêt et le soutien de la communauté scientifique internationale, car elles proviennent de l’organisme même du patient, ce qui évite les épineuses questions éthiques que soulève la recherche sur les CSE. Les cellules souches adultes ne sont pas aussi malléables que les CSE, car contrairement à ces dernières, elles ne peuvent devenir que des cellules de la famille dont elles sont issues. Une cellule stromale de moelle osseuse peut ainsi devenir un os ou du cartilage, mais pas du sang. Cependant, pour peu que l’on choisisse la bonne famille de cellules, il est possible d’envisager un éventail complet de guérisons en apparence miraculeuses.
Début 2007. Après avoir étudié la thérapie cellulaire pendant près de dix ans, Jacques Galipeau et son équipe de l’Institut Lady Davis pour la recherche médicale ont finalement lancé leur premier essai clinique, le deuxième du genre au Canada. Ils ont fait appel à des cellules souches adultes modifiées génétiquement pour traiter un patient souffrant d’hypertension pulmonaire, une maladie rare et souvent mortelle qui touche le poumon et contre laquelle seule une greffe risquée de poumon ou de cœur-poumon permet actuellement d’envisager une guérison.
Bien que les traitements par cellules souches adultes, comme les greffes de moelle osseuse, n’aient permis de recueillir que des succès variables au cours des 40 dernières années, ces essais cliniques ouvrent de nouveaux horizons. Ce traitement novateur consiste à cultiver des cellules souches recueillies dans le sang du patient dans un laboratoire stérile de haute technologie (au nombre de deux seulement au Canada). Les chercheurs injectent ensuite de l’ADN synthétique dans les cellules souches (conçues pour reprogrammer les cellules afin de produire de l’oxyde nitrique qui répare les vaisseaux sanguins endommagés du poumon) puis les réinjectent par intraveineuse au patient. Le Dr Galipeau et son partenaire industriel, Northern Therapeutics Inc., espèrent que ces cellules ainsi modifiées « joueront un rôle d’ange gardien pour protéger de la destruction les tissus pulmonaires endommagés ».
« Nous repoussons les frontières de la médecine régénérative grâce à ces technologies innovantes », souligne le Dr Galipeau. « L’utilisation de cellules souches est probablement la technologie la plus intéressante à ce jour, et celle qui nous donne de nouveaux moyens pour traiter des maladies dévastatrices. »
La création d’une communauté
Cette association inhabituelle entre thérapie génique et thérapie par cellule souche a été élaborée en partenariat avec le Dr Duncan Stewart, directeur du Service de cardiologie de l’Université de Toronto où, en novembre 2006 et pour la première fois au monde, un patient a été traité par cette technique. Le Dr Galipeau pense que les progrès accomplis dans le domaine de la médecine régénérative sont subordonnés à l’établissement de collaborations internes et externes. Dans la mesure où la recherche sur les cellules souches est entièrement nouvelle et qu’elle fait appel à une expertise et à des technologies dispersées dans tout le pays, il est en effet parfois difficile de trouver des partenaires.
Le Dr Galipeau attribue au Réseau des cellules souches, l’un des 21 réseaux de centres d’excellence financés par le gouvernement canadien, la création de partenariats qui ont débouché sur les essais actuellement en cours. Créé en 2001, le Réseau des cellules souches (RSC) fait appel à l’expertise de plus de 70 chercheurs, médecins et ingénieurs chefs de file œuvrant au sein d’universités et d’hôpitaux aux quatre coins du pays. À titre de directeur de la section thérapeutique des RSC, Jacques Galipeau encadre les équipes qui s’attachent à mettre au point des traitements ciblant plusieurs maladies aujourd’hui incurables (dont l’accident vasculaire cérébral, la maladie de Parkinson et la cécité). « La force de ce réseau tient à ce qu’il privilégie la multidisciplinarité, au détriment du travail solitaire », souligne-t-il.
Avec le Groupe de recherche de McGill, le Dr Galipeau espère créer un pendant local au réseau canadien. Ce groupe effectuera non seulement des recherches fondamentales, mais il s’efforcera de permettre aux patients d’avoir plus rapidement accès aux découvertes thérapeutiques. « Nous souhaitons agir de manière proactive et mettre en place les infrastructures qui nous permettront de passer le plus rapidement possible à l’étape clinique », précise-t-il.
Effacer pour mieux recommencer
Après avoir mené des recherches sur le diabète depuis 25 ans, le Dr Lawrence Rosenberg, professeur au Département de chirurgie et de médecine de McGill et collaborateur du nouveau groupe de recherche, entrevoit enfin la lumière au bout du tunnel. « Je pense que nous pourrons bientôt mettre au point un nouveau traitement contre le diabète », indique le Dr Rosenberg. « Les signes en ce sens se multiplient et nous obtenons des résultats surprenants. »
Lawrence Rosenberg et son équipe du Centre universitaire de santé McGill sont à mettre au point une protéine susceptible d’amener l’organisme à renouveler ses propres cellules pancréatiques et à produire de l’insuline de nouveau. Plutôt que de chercher à identifier et à isoler des cellules souches indifférenciées primitives, ce projet unique part du postulat que le pancréas conserve la capacité de régénérer les cellules chargées de fabriquer l’insuline. Le but recherché est de raviver cette aptitude. La clé, selon le Dr Rosenberg, est de ramener la programmation de la cellule mature à son état primitif. C’est un peu comme si l’on remettait les pendules à zéro, « à l’époque où nous n’étions qu’un nouveau-né ».
Le médicament dérivé de ces recherches a déjà fait l’objet d’essais d’innocuité chez l’humain, mais il ne sera soumis à des essais cliniques de dernière phase que dans quelques années. Si ce traitement donne des résultats probants d’ici aux dix prochaines années, il aura des répercussions considérables sur la santé et l’économie. Selon le Dr Rosenberg, huit pour cent de la population canadienne souffre actuellement de diabète, une maladie qui grève chaque année le budget de la santé de près de 15 milliards de dollars. « Sans compter qu’il s’agit d’une maladie que l’insuline est censée guérir », souligne-t-il.
Cartographier l’ostéoporose
Janet Henderson, vice-doyenne à la recherche à la Faculté de médecine, essaie de percer les mystères du mécanisme qui permet aux cellules souches de combattre les maladies des os et des articulations liées au vieillissement. Selon Ostéoporose Canada, le traitement de 1,4 million de Canadiens souffrant de cette maladie coûte près de deux milliards de dollars en coûts directs. Janet Henderson met en garde contre une crise sanitaire imminente qui pourrait coûter plusieurs milliards de dollars dans la mesure où les baby-boomers atteignent l’âge où le risque d’ostéoporose est le plus élevé. « L’examen des données démographiques indique que nous ne serons sans doute plus en mesure de prendre cette maladie en charge d’ici 10 à 20 ans », souligne-t-elle.
Avec l’âge, les mécanismes de réparation spontanés s’affaiblissent, particulièrement dans les os. « La capacité de renouvellement décline, au même titre que la population de cellules régénératives », explique-t-elle. « Si les recherches que nous menons actuellement portent leurs fruits, nous devrions pouvoir à terme trouver les moyens de réactiver les cellules souches déjà présentes dans la moelle osseuse pour les amener à reconstruire l’os. »
En règle générale, les médecins prescrivent des facteurs de croissance chimique (tels que des protéines morphogénétiques osseuses) à leurs patients âgés pour accélérer la réparation des fractures osseuses. Cependant, Edward Harvey, l’un des collaborateurs de Janet Henderson, et Adam Hacking, un boursier de recherche postdoctorale, ont constaté que la texture de surface de l’os cassé semblait contribuer davantage à attirer les cellules souches et à stimuler la croissance. Jamais personne auparavant n’a toutefois cherché à savoir pourquoi ces cellules privilégiaient les surfaces rugueuses de l’os cassé et s’attachaient à le réparer. Pour comprendre vers quel type de surface osseuse les cellules souches sont attirées, M. Hacking collabore avec Srikar Vengallatore, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les matériaux avancés pour micro et nanosystèmes, afin de définir la topographie de l’os en examinant l’importance et la distance des aspérités et des bosses, c’est-à-dire en cartographiant le paysage de l’os brisé, pour ensuite créer des répliques détaillées.
Zone de bioconstruction
Pour fabriquer ces os factices, Adam Hacking, Edward Harvey et Janet Henderson s’appuient sur l’expertise de M. Vengallatore et de chercheurs de l’Institut des matériaux avancés de McGill (IMAM). Grâce aux équipements de nanotechnologie servant à la fabrication de semi conducteurs, les spécialistes en sciences des matériaux de l’IMAM créent des modèles de petite taille dotés de différentes textures de surface. Ils placent ensuite des cellules souches sur ces os factices, puis déterminent les surfaces les plus propices à la formation de tissus et d’os. « Il n’y a rien de plus stimulant d’un point de vue scientifique que de surmonter les obstacles qui se dressent entre les disciplines et de multiplier les collaborations », souligne Janet Henderson. « Il est fascinant de penser que nous pourrions très bientôt fabriquer des surfaces semblables à celle de l’os en utilisant la même technologie que celle permettant la fabrication de puces informatiques. »
Les chercheurs de l’IMAM travaillent à l’échelle microenvironnementale, une particularité qui devrait convenir parfaitement à la recherche sur les cellules souches. Jorge Viñals, professeur de physique et directeur de l’Institut, souligne que les scientifiques et les ingénieurs qui collaborent à ce projet se félicitent des partenariats qu’ils s’apprêtent à nouer avec d’autres départements de McGill. Les projets de l’Institut vont de l’édification d’échafaudages cellulaires microscopiques sur lesquels les cellules souches peuvent se fixer et se multiplier pour favoriser la réparation des fractures osseuses, à la conception de matériaux synthétiques dans lesquels sont injectés des cellules souches qui pourront être suturées chirurgicalement sur les organes lésés (voire les remplacer intégralement). « Les communautés scientifique et médicale prennent de plus en plus conscience de la juxtaposition évidente de nos recherches », souligne le Pr Viñals, qui fait remarquer que les biologistes s’intéressent aujourd’hui à l’échelle moléculaire, terrain de jeu traditionnel des spécialistes des nanotechnologies.
Pour le Dr Galipeau, le temps est un facteur essentiel pour permettre aux cellules souches de donner la pleine mesure de leur potentiel. « De toute évidence, la volonté d’élaborer des technologies n’a jamais été aussi forte. Et la même passion m’anime en tant que médecin : essayer de venir en aide aux personnes qui souffrent de maladies pour lesquelles il n’y a actuellement aucun espoir de guérison. »
Pour Linda Beliaut, qui souffre des effets incapacitants de l’hypertension pulmonaire depuis 15 ans, l’annonce de cet essai clinique est synonyme d’espoir. Cette ancienne professeure de niveau primaire qui faisait régulièrement de la bicyclette et de longues randonnées est aujourd’hui sévèrement handicapée par le combat constant qu’elle doit mener contre la fatigue et l’œdème. Elle attend avec impatience les résultats des essais de McGill, ne cachant pas son enthousiasme à la perspective de pouvoir bénéficier d’un nouveau traitement. « Je n’arrive pas à imaginer être de nouveau en bonne santé », dit-elle. « Sachant que le seul moyen de vaincre ma maladie est de bénéficier d’une greffe, il va sans dire que cette nouvelle technique constituerait un véritable pas en avant. »
Ces recherches sont financées par les Instituts de recherche en santé du Canada, l’Association canadienne du diabète, la Fondation de la recherche sur le diabète juvénile, le Réseau des cellules souches et le Réseau canadien de l’arthrite.