Cartographier l'ADN de l'humanité

Par Mark Reynolds

Un professeur de McGill a joué un rôle essentiel dans l’effort de recherche international voué à comparer les génomes humains

À titre de directeur du Centre d'innovation Génome Québec et Université McGill, Tom Hudson a contribué à l'achèvement du projet HapMap.
À titre de directeur du Centre d'innovation Génome Québec et Université McGill, Tom Hudson a contribué à l'achèvement du projet HapMap.

Comme le lierre rampant, une paire de brins d’ADN enroule une colonne de ciment et cache la vue sur les versants du mont Royal que l’on aperçoit des fenêtres du bureau de Tom Hudson. Il s’agit d’une œuvre d’art qui intéresse de très près la vie et le travail du directeur du Centre d’innovation Génome Québec et Université McGill.

Ce tableau est un cadeau de Jacques DesHaies, l’artiste qui illustre les couvertures de la prestigieuse revue Nature laquelle, à l’automne 2005, a fait paraître une des principales contributions de Tom Hudson à l’un des efforts scientifiques internationaux les plus importants des dix dernières années. Membre d’un réseau de centaines de chercheurs répartis dans une demi-douzaine de pays, Tom Hudson et ses collègues à Montréal ont en effet joué un rôle fondamental dans l’élaboration d’une carte comparative du génome humain appelée HapMap (pour carte haplotype), laquelle permettra aux scientifiques d’identifier les variantes génétiques à l’origine des maladies.

Lorsque le séquençage du génome humain a été terminé en grande pompe en 2001, cette prouesse a été acclamée comme l’une des plus grandes avancées de notre connaissance du fonctionnement de l’ADN. Mais il s’agissait d’un outil limité : la séquence est issue du code d’un seul individu. L’étape suivante devait en toute logique établir le catalogue des génomes d’un nombre suffisant de personnes pour permettre des comparaisons à l’échelle génomique dans son intégralité. Ces informations devaient permettre aux chercheurs d’avoir un génome de facto « normal » comme modèle pour comparer l’ADN individuel.

« Comment donc étudier le génome humain dans son intégralité à partir de la séquence d’une seule personne? Il nous fallait concevoir des outils pour passer les génomes au crible et y déceler les mutations », explique Tom Hudson, qui a également joué un rôle clé dans le Projet du génome humain, dans le cadre de son mandat à l’Institut de recherche biomédicale Whitehead, affilié à l’Institut de technologie du Massachusetts (MIT). Avec trois milliards de paires de base, cela relevait de l’impossible, à moins qu’une méthode permettant de fractionner le génome en parties plus petites soit mise au point, sous réserve naturellement que chacun de ces fragments soit significatif.

Le coup d’envoi du projet HapMap a été donné en 2001, lorsque Tom Hudson et ses collègues du MIT ont découvert que les gènes liés aux maladies inflammatoires de l’intestin tendaient à muter dans des groupes prévisibles rassemblés en régions. Du nom d’haplotypes, ces groupes de variants similaires sont comme des codes à barres et correspondent à certaines caractéristiques génétiques complexes. Pour les généticiens, ces regroupements de gènes peuvent ramener de quelques milliards de pièces à « seulement » 100 000 fragments environ le casse-tête des maladies génétiques. La localisation de ces codes à barres est l’objectif du projet HapMap.

Même à ce niveau de simplification, le projet restait titanesque et nécessitait la contribution d’une armée de scientifiques, de statisticiens, d’éthiciens et d’intervenants de Chine, du Japon, du Canada, des États-Unis et du Royaume-Uni. Ensemble, ces pays ont réuni 180 millions de dollars pour mener à bien ce projet. De l’ADN a été prélevé chez des donneurs d’Asie, d’Afrique et d’Amérique du Nord pour garantir la diversité géographique et le plus grand soin a été apporté au consentement éclairé et à l’anonymat.

« Lorsque l’enthousiasme pour une idée est au rendez-vous, il mobilise rapidement la planète entière. Ce projet a très certainement été perçu comme réalisable, avec des répercussions potentiellement considérables et comme un bon investissement pour la collectivité », souligne Tom Hudson, dont les contributions au projet HapMap ont été subventionnées par Génome Canada et Génome Québec. En 2002, lorsque le projet a été conçu, plusieurs chercheurs ont manifesté leur volonté d’y participer. Au bout du compte, seuls les chercheurs les plus aptes à contribuer à cette entreprise colossale ont été retenus. Grâce à son palmarès dans le domaine et à l’équipement de pointe mis à sa disposition, Tom Hudson et le Centre d’innovation de McGill ont tout naturellement été choisis.

« La recherche s’est mondialisée et des alliances ont été conclues avec des groupes qui se complètent très bien en termes d’expertise. Toute l’expertise pour un projet de cette envergure n’est pas plus disponible à McGill qu’elle ne l’est à Boston. De plus, cela coûte cher. Même les États-Unis, qui disposent de fonds considérables, ne pouvaient financer à eux seuls une entreprise de cette ampleur. Nous avons pu créer un réseau de laboratoires dotés de compétences complémentaires », souligne le Pr Hudson.

L’objectif du projet HapMap est d’identifier les codes à barres génétiques de manière à caractériser et éventuellement concevoir des traitements pour les maladies, une entreprise qui bat déjà son plein. Outre son utilité comme outil analytique, HapMap a permis de recueillir des informations précieuses sur le génome humain.

Selon Tom Hudson, on savait déjà que la plupart des sujets étaient à 99 pour cent identiques sur le plan de la génétique. HapMap a démontré que les variations génétiques d’une personne à une autre et d’une population à une autre tendent également à être similaires. Autrement dit, un code à barres haplotype qui correspond aux cheveux bouclés sera le même chez une personne née à Beijing ou à Brandon, au Manitoba. « Cela redéfinit à quoi ressemble une variation génomique en termes de population mondiale. En fait, la plupart des variations décelées à Toronto se retrouvent en Afrique et la plupart des variations observées en Asie se retrouvent en Amérique du Sud. »

Pour Tom Hudson, ce résultat a des conséquences scientifiques extraordinaires. « Si la plupart des haplotypes sont identiques d’une population à l’autre, il doit en être de même pour les mutations. Les phénomènes à l’origine de l’asthme en Amérique du Nord sont très vraisemblablement les mêmes qu’en Asie. »

Le type de dépistage génétique que permet le projet HapMap peut radicalement améliorer les taux de survie des patients atteints de maladies comme le cancer du côlon, par exemple, qui affichent 90 pour cent de chances de guérison dès lors que les tumeurs sont détectées assez tôt. Mais pour de nombreuses personnes, le dépistage génétique soulève des craintes sur l’utilisation qui sera faite des résultats. Le dépistage génétique pourrait être utilisé pour sélectionner les candidats à un emploi ou à une assurance. Alors qu’il existe un moratoire de cinq ans aux États-Unis contre ce type de pratique, les lois canadiennes sont moins strictes, ce qui, selon Tom Hudson, doit impérativement changer.

À certains égards, le projet HapMap est déjà utilisé à mauvais escient ou mal présenté par des organismes dont les objectifs n’ont pas toujours toute la transparence voulue. « Mes collègues ont été cités dans des articles qui essaient de justifier le racisme. Les groupes qui préconisent la haine raciale existent partout dans le monde et je n’en avais pas pris conscience jusqu’à ce que je visite certains sites Web », souligne Tom Hudson.

« Le concept de race n’existe pas. Rien dans la génomique ne permet de tracer une frontière entre les populations », insiste-t-il. S’il est une chose, les résultats du projet HapMap devraient dissiper le mythe sur les populations humaines et prouver que nos différences relèvent strictement de la théorie. Les recherches montrent que génétiquement, le genre humain forme une grande famille.


Pour obtenir de plus amples renseignements sur Tom Hudson et le HapMap, veuillez consulter l’article (en anglais) paru dans le McGill Reporter à l’adresse suivante : www.mcgill.ca/reporter/38/06/hudson/.


Le projet HapMap

  La technicienne de laboratoire Valérie Catudal travaille avec un robot d'extraction d'ADN au Centre d'innovation Génome Québec et Université McGill.
La technicienne de laboratoire Valérie Catudal travaille avec un robot d'extraction d'ADN au Centre d'innovation Génome Québec et Université McGill.

Créé en 2002, le Centre d’innovation Génome Québec et Université McGill est un monument de béton et de verre à la science moderne, situé avenue Docteur-Penfield à Montréal. Il figure aussi parmi les meilleurs du monde.

Tom Hudson et ses collègues du Centre étaient donc tout désignés pour jouer un rôle de premier plan dans le projet international HapMap. Le Centre, qui compte environ 120 chercheurs affiliés, prend appui sur le corps professoral de McGill. Quoique récent, il est devenu incontournable pour tous les travaux de génotypage au Canada.

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Les chiffres font d’ailleurs tourner la tête – plus de 260 laboratoires canadiens ont fait appel aux services du Centre pour des travaux de génotypage, de séquençage, de recherche sur l’ADN et de protéomique. Des recherches pharmacogénétiques sont également effectuées en collaboration avec l’Institut de cardiologie de Montréal pour transférer les découvertes faites dans le domaine de la génomique et de la protéomique à la pratique clinique.

L’an dernier, le Centre a réalisé au-delà d’un milliard de tests de génomique, pour une valeur de plus de 12 millions de dollars. Ces recettes sont investies directement dans l’achat de nouveaux équipements pour que le Centre reste à la fine pointe de la technologie. Tom Hudson précise avec fierté que le Centre est un modèle du genre pour plusieurs pays étrangers.

Lorsque le projet HapMap a été annoncé, Tom Hudson était prêt. La partie du projet qui lui a été confiée nécessite la cartographie des haplotypes d’environ dix pour cent du génome. Ce travail colossal a avancé beaucoup plus rapidement que prévu grâce à la technique de génotypage Illumina utilisée par McGill, la technique la plus évoluée dans ce secteur d’activité. Grâce à elle, les segments d’ADN sont étiquetés au moyen de marqueurs synthétiques qui se lient à des parties connues de molécules d’ADN, chacune d’une couleur particulière. Des dispositifs ultrafins qui contiennent chacun 50 000 filaments de fibre optique peuvent ensuite éclairer ces segments et les isoler. Le laboratoire de Tom Hudson peut réaliser 1 500 tests sur 25 segments identiques en même temps – la duplication nécessaire pour garantir la précision statistique des résultats.

L’objectif du projet HapMap est de cartographier le génome à 5 000 paires de base près. Ce degré de précision de l’ordre de 1:5 000 soutient très favorablement la comparaison avec les cartes topographiques, dont les meilleures utilisent une échelle de 1:25 000. Début 2005, le Centre avait déjà affiné cette technique et cartographié le génome à une échelle de 3 000 paires de base, ce qui a permis de conclure la phase I. Ces résultats ont été diffusés à la fin 2005 dans l’un des articles les plus importants publiés par la prestigieuse revue Nature. Une fois les données HapMap enregistrées, les chercheurs de McGill figuraient parmi les premiers à utiliser ce puissant nouvel outil.

« Nous avons attendu la fin du projet HapMap pour commencer à analyser les données. Le cancer du côlon, le diabète de l’adulte et la sclérose en plaques figuraient parmi nos trois projets les plus importants l’an dernier », souligne Tom Hudson. Certains professeurs de McGill cherchent pour leur part à percer le mystère des mécanismes propres aux maladies contagieuses grâce au HapMap – c’est ainsi qu’Erwin Schurr du Centre de recherche sur la résistance de l’hôte de McGill a identifié les gènes qui confèrent une susceptibilité à la lèpre.