Apprivoiser les traumatisme

Alléger le poids des souvenirs oppressants

par Jeff Roberts

Le professeur de psychologie Karim Nader atténue les symptômes invalidants des personnes souffrant d’un état de stress post-traumatique et les aide parfois à retrouver une vie normale.
Le professeur de psychologie Karim Nader atténue les symptômes invalidants des personnes souffrant d’un état de stress post-traumatique et les aide parfois à retrouver une vie normale.

Le professeur de psychologie Karim Nader atténue les symptômes invalidants des personnes souffrant d’un état de stress post-traumatique et les aide parfois à retrouver une vie normale.

Les souvenirs peuvent être tout à la fois doux et douloureux. Les victimes de violence, de viol ou de mauvais traitements risquent d’être atteintes du syndrome de stress post-traumatique (SSPT) qui les oblige à revivre indéfiniment leurs souffrances. Ces retours en arrière peuvent être invalidants au point que de nombreuses personnes atteintes du SSPT ont de la difficulté à entretenir des relations stables, à garder leur emploi et, dans des cas extrêmes, à sortir de chez elles. Aujourd’hui cependant, les travaux avant-gardistes de Karim Nader leur apportent une lueur d’espoir.

Les expériences du chercheur donnent en effet à penser que les souvenirs oppressants peuvent être dépouillés de leur pouvoir par l’administration d’un médicament couramment prescrit pour l’hypertension – le propranolol – dès lors que le souvenir d’un événement traumatisant revient en mémoire. Publiés dans Nature, les résultats des recherches de Karim Nader ont attiré l’attention de la BBC et de 60 Minutes. Ses travaux lui ont également valu de figurer au palmarès du prestigieux « Canada’s Top 40 Under 40 » du Globe and Mail/Caldwell Partners.

Les travaux de Karim Nader partent de l’hypothèse que les souvenirs, qu’ils soient anciens ou récents, sont instables pendant le processus de remémoration. Lorsqu’une personne se remémore activement un souvenir (comme lorsqu’une personne souffrant du SSPT revit son traumatisme), le souvenir est extrait de la mémoire et doit être restauré. Ce processus est analogue au transfert de données informatiques actives du disque dur vers la mémoire vive. Après la remémoration, le souvenir est « reconsolidé », ou réimprimé, et restauré sous une forme stable. Or, il se trouve que pendant cet état dynamique, les souvenirs peuvent être manipulés.

D’après les expériences qu’il a menées sur le rat, le chercheur de 39 ans né au Caire a « redécouvert » que les souvenirs émotionnels peuvent être reconsolidés dans l’amygdale, faisceau de neurones qui héberge un composant émotionnel de la mémoire. La prise de médicaments bloquant la reconsolidation, l’animal se comporte comme si le phénomène émotionnel n’était pas très important; d’autres recherches ont par la suite montré que le propranolol avait le même effet chez l’humain. En administrant du propranolol à une personne victime d’un SSPT qui se remémore un événement horrible, le souvenir du traumatisme est reconsolidé avec la charge émotionnelle d’un mauvais souvenir ordinaire, en somme non invalidant. Le souvenir reste aussi vif qu’auparavant, mais son caractère disproportionnellement traumatisant est atténué.

Professeur agrégé au Département de psychologie de l’Université McGill depuis 2001, Karim Nader précise qu’il n’essaie pas d’effacer les souvenirs ou de créer un médicament utopique qui purgera le monde de ses mauvaises expériences. La peur, la culpabilité, la colère et d’autres émotions désagréables font partie de la vie. « Il s’agit d’émotions qui guident notre existence. Chaque jour, nous prenons des décisions inspirées par la crainte de ce qui pourrait se produire », souligne-t-il. « Nous cherchons seulement à atténuer le souvenir traumatisant de sorte qu’il ne soit pas écrasant et qu’il puisse être traité à l’aide de moyens thérapeutiques traditionnels. »

Les conséquences des travaux de Karim Nader sont considérables. Avec son collègue Alain Brunet, psychologue clinicien au Département de psychiatrie, il a déjà démontré que le propranolol pouvait soulager le SSPT. Certains sujets de recherche ont répondu de manière si positive qu’ils ont pu reprendre leurs activités professionnelles, une victoire personnelle qu’ils croyaient impossible. D’autres résultats sont moins spectaculaires, mais tout aussi profonds; même chez les sujets expérimentaux qui souffraient d’un SSPT depuis 30 ans, les symptômes physiques (moiteur des mains, accélération du rythme cardiaque) ont considérablement diminué d’intensité au souvenir d’incidents traumatisants.

« Tout effet quel qu’il soit est extrêmement encourageant », précise Karim Nader, qui prévoit étudier comment différentes doses de propranolol peuvent aider les patients à alléger leurs souvenirs traumatisants. « Le seul fait de permettre aux réactions physiques de retrouver un niveau normal est déjà formidable en soi. »


Le Pr Karim Nader est titulaire d’une chaire de recherche William Dawson à l’Université McGill. Il est également boursier de la Fondation de recherche Alfred P. Sloan et nouveau chercheur des Instituts de recherche en santé du Canada.