Amorcer la conversation

La recherche ne se fait pas toujours en laboratoire – Le Réseau d’enquête de McGill intègre la recherche et l’érudition aux cursus de premier cycle, une idée qui fait école dans toute l’Université, et au-delà. //

Par Laura Pellerine

Aujourd’hui, George McCourt cumule les fonctions de directeur adjoint aux affaires étudiantes de premier cycle à McGill et de chargé de cours principal à l’École d’environnement; pourtant,sa carrière d’étudiant de premier cycle à l’Université de l’Alberta n’a pas très bien commencé.

« Au secondaire, j’étais un excellent élève. Puis, je suis entré dans ce système où personne n’avait l’air de se soucier de moi et j’ai obtenu des résultats médiocres, dit-il. J’en ai arraché. »

« Je suis fi nalement retombé sur mes pieds, mais je me suis souvent demandé combien d’étudiants nous perdons parce que le système n’est pas assez souple pour les mobiliser. L’un des meilleurs moyens d’éviter une telle situation est de les faire participer au processus de recherche. »

C’est cette volonté d’inspirer les étudiants de premier cycle qui incite bien des professeurs de McGill à ajouter le volet recherche à leurs cours. Et ils trouvent des moyens ingénieux d’y parvenir, même dans des classes qui accueillent des centaines d’étudiants.

Tout a commencé en 2006, quand le Centre d’enseignement supérieur (CES) a été mandaté pour diriger un projet à l’échelle de l’Université visant à examiner les liens entre la recherche, l’apprentissage et l’enseignement.

Ce projet a mené à la formation, en 2009, du Réseau d’enquête, un groupe de professeurs de diverses disciplines qui se rencontrent tous les mois pour discuter des moyens d’intégrer la recherche à l’enseignement.

« Il est important d’aider les étudiants à ne pas voir leur discipline comme un ensemble de faits, mais bien comme des conversations », affi rme Marcy Slapcoff , directrice du Réseau d’enquête et agente de développement en éducation au CES. « Lorsque les professeurs les invitent à prendre part à la conversation, ils peuvent poser des questions, ce qui est un excellent moyen de développer leur esprit critique. »

Si l’idée d’initier les étudiants de premier cycle à la recherche au sein d’universités comme McGill n’est pas nouvelle (elle a vu le jour en 1998 dans le rapport de la Commission Boyer sur l’enseignement au premier cycle dans les universités de recherche), le Réseau d’enquête l’est. « Un tel leadership est unique, affirme Mme Slapcoff . Je n’ai jamais vu de groupe comme le nôtre. »

Le Réseau d’enquête off re aux membres du corps professoral des ressources et du soutien, notamment sous forme d’ateliers, ainsi que des boîtes à outils pour les aider à intégrer la recherche à leur cours.

Selon Mme Slapcoff , « il est important de voir ce que chaque étudiant peut retirer en fréquentant une université à forte intensité de recherche. Or, ce n’est que dans les cours que l’on peut joindre chaque étudiant, ce qui représente un défi de taille. »

Et comment les professeurs de McGill le relèvent-ils?

« Pendant longtemps, nous avons eu du mal à imaginer des moyens d’intégrer la recherche aux cours, en raison de la taille des classes, mais nous avons trouvé des solutions », souligne Terry Hébert, professeur au Département de pharmacologie et thérapeutique. « Nous pouvons placer les étudiants dans des situations où ils développent leur esprit critique en leur faisant faire des exercices en petits  groupes; nous ne pouvons pas tous les amener au labo, mais nous pouvons leur faire connaître le genre de réfl exion qu’on y mène. »

Dans le cours de recherche pharmacologique qu’il donne en quatrième année, le professeur Hébert demande aux étudiants de choisir un sujet complexe et de le simplifi er pour qu’il soit à la portée de non professionnels. « Cet exercice leur fait mieux comprendre la matière en la traduisant dans des mots diff érents de ceux de l’auteur, explique-t-il. Ils doivent aller à l’essence même du sujet et évaluer la recherche, juger si elle a été bien faite. Ils perfectionnent ainsi leur esprit critique. »

De tels travaux amènent essentiellement les étudiants à aller au-delà de la simple mémorisation du contenu d’un manuel. « Nous avons souvent l’impression que recherche rime obligatoirement avec contribution originale à la

connaissance dans une discipline, souvent par un travail en laboratoire ou la consultation d’ouvrages à la bibliothèque, précise Mme Slapcoff . Cependant, quand on change la perspective et qu’il ne s’agit plus de faire de la recherche, mais de comprendre en quoi elle consiste, les possibilités se multiplient. »

George McCourt tient le même genre de raisonnement. Dans son cours sur les systèmes géologiques, il demande à ses étudiants de choisir un minéral, de l’étudier selon un angle qui les intéresse et de présenter les données obtenues dans une page d’opinions comme celles publiées dans le New York Times, dans un article scientifi que traditionnel ou dans un texte écrit à la première personne, du point de vue du minéral.

Selon lui, il est particulièrement important que ses étudiants de l’École d’environnement développent leur esprit critique. « J’ai beaucoup d’étudiants qui s’intéressent vivement aux questions d’environnement et de développement durable, mais pour bon nombre d’entre eux, c’est une aff aire d’émotion ou d’idéal.

Or, s’ils sont un jour appelés à s’adresser au grand public, ils devront présenter l’information de manière claire et concise et prouver ce qu’ils avancent. La recherche les aide à structurer leur pensée. » Ses étudiants de quatrième année en environnement vont un cran plus loin.

Ils participent à un projet de recherche de fi n d’études où ils travaillent avec de véritables clients. En 2008, certains de ses étudiants ont rencontré des représentants des Rôtisseries St-Hubert pour étudier les moyens de réduire les déchets et la consommation d’énergie de cette chaîne de restauration.

« Nous leur avons montré qu’en compostant leurs déchets, ils pourraient réduire leurs émissions de carbone d’environ 40 pour cent, affi rme le professeur McCourt. Quelques restaurants de la chaîne ont commencé à composter leurs restes de table et de cuisine et à distribuer le compost à leurs clients ce qui, du coup, incite ces derniers à y retourner. »

En 2010, ses étudiants ont également cherché des moyens d’off rir des produits de la mer plus écoresponsables dans les résidences de l’Université.

« Nous avons participé à la création d’un système permettant de retracer l’origine des produits et de vérifi er s’ils ont été pêchés et traités de façon écoresponsable, précise le professeur McCourt. Cette année, McGill est devenue la première université canadienne à obtenir la certifi cation écoresponsable du Conseil pour l’intendance du milieu marin pour tous les produits de la mer servis dans ses résidences. »

 

McGill Inquiry Network
Membres du Réseau d’enquête de McGill, un groupe de professeurs de diverses disciplines qui se rencontrent pour discuter des moyens d’intégrer la recherche à l’enseignement.

Des stages en recherche semblables sont off erts sur le campus par l’entremise de programmes comme SURE (programme estival de recherche de premier cycle en génie) et ARIA (prix pour stages en recherche de premier cycle dans le domaine des arts), qui permettent aux étudiants de participer activement au projet de l’un de leurs professeurs pendant 16 semaines au cours de l’été.

Bien que ces programmes soient très intéressants pour les étudiants qui y prennent part, le Réseau d’enquête veut tendre la main à ceux qui n’y participent pas.

« Par défi nition, ces programmes ne s’adressent qu’à un nombre limité d’étudiants et sont pour la plupart propres à une faculté, souligne Mme Slapcoff .Le Réseau d’enquête veut trouver le moyen de rejoindre l’ensemble des étudiants. Il est évident que tous les étudiants ne feront pas de la recherche individuelle, mais au moins, ils pourront mieux comprendre ce qu’est la recherche fondée sur des données probantes. »

« Nos étudiants de premier cycle qui ne poursuivent pas leur formation [aux cycles supérieurs] seront quand même appelés à prendre des décisions qui auront une incidence sur nos vies, souligne le professeur Hébert. Nous voulons

qu’ils soient de ceux qui osent affi rmer que le roi est nu, dire les choses comme elles sont. Le travail de McGill est de former des citoyens, pas seulement préparer des étudiants à occuper un emploi. » ■


 OPTIMISER LA COMPRÉHENSION DE LA RECHERCHE CHEZ L’ÉTUDIANT

DAVID RAGSDALE enseigne la physiologie humaine à un groupe de 1 100 étudiants qui examinent l’évolution de la compréhension du neurone, des dessins de Ramon y Cajal du début du 20e siècle à l’adoption de l’idée de la synapse chimique.

DIK HARRISenseigne la physique statistique et thermique à une classe comptant entre 40 et 50 étudiants qui évaluent les hypothèses et les limites de modèles théoriques traditionnels par le biais d’exercices de résolution de problèmes.

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ANNIE SAVARD enseigne la pédagogie des mathématiques niveau 1 à 160 étudiants qui font appel au jeu de rôle pour mettre à l’épreuve de nouvelles  approches traitant de l’enseignement de cette matière auprès de groupes.

RICHARD CHROMIK enseigne les propriétés des matériaux en génie électrique à un groupe formé de 40 à 60 étudiants qui interviewent des professeurs de McGill sur la façon dont ils appliquent les principes de génie dans le cadre de leurs recherches.

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