Selon Payam Akhavan, les génocides peuvent être prévus et évités.
Par Jeff Roberts
Payam Akhavan sirote tranquillement son café dans le brouhaha d’un café du centre-ville de Montréal. Regard doux et chevelure poivre et sel, il est l’homme dont la voix posée a su persuader le monde entier, des étudiants en droit de première année aux responsables des Nations Unies, de la validité de ses idées sur la résolution de conflits et le génocide.
Depuis la parution de son article « Beyond Impunity: Can International Criminal Justice Prevent Future Atrocities? » dans l’American Journal of International Law en 2001, Payam Akhavan est considéré comme l’un des plus grands penseurs en droits de la personne. « Le monde est en fait un laboratoire des droits de la personne », déclare le professeur agrégé de la Faculté de droit de McGill. Les efforts qu’il a déployés en vue de la réconciliation nationale au Rwanda, en Ouganda, en Bosnie, au Cambodge, au Guatemala, au Timor-Oriental et dans d’autres pays ravagés par la guerre et le génocide ont joué un rôle fondamental dans la définition des nouvelles frontières de la justice internationale. Les victimes d’atrocités qu’il a été amené à rencontrer l’ont convaincu que le génocide n’est pas un élément inévitable de l’avenir.
« Les crimes comme le génocide ne sont pas des explosions spontanées de haine ethnique », insiste-t-il. « Ils sont en fait l’expression calculée du pouvoir politique. » À ce titre, il rappelle que le génocide des Tutsis rwandais de 1994 a nécessité une préparation considérable et que la fameuse chaîne de radio RTLM, seule source d’information d’une population largement illettrée, a fortement incité à la haine et au génocide. Selon lui, si la communauté internationale avait brouillé les ondes de cette radio, le climat politique délétère qui a conduit aux massacres à grande échelle aurait pu être désamorcé. « Le génocide n’est pas une catastrophe naturelle. C’est une catastrophe orchestrée par l’homme, l’expression d’un choix politique, qui peut être prévue et stoppée. »
Pour le Pr Akhavan, les interventions précoces à faible coût (associées à l’écoute attentive des signes précurseurs de génocide par la communauté internationale) sont essentielles pour éviter de futures atrocités. Les organisations multilatérales comme les Nations Unies, l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord et l’Union africaine peuvent selon lui jouer un rôle considérable à ce chapitre, en prenant des mesures simples, comme éviter que la propagande haineuse ou les mouvements de milices ne se métastasent et ne se transforment en massacres organisés.
À défaut d’intervenir (comme cela a malheureusement souvent été le cas) ou en cas d’intervention trop tardive, le Pr Akhavan préconise le renvoi de génocidaires devant un tribunal pénal international. Premier conseiller juridique du Bureau du procureur du Tribunal pénal international (TPI) pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda, le Pr Akhavan a largement contribué à ce que les chefs politiques et militaires (y compris Slobodan Milosevic) soient redevables de leurs actes. Il a aussi apporté des contributions de taille aux travaux du Tribunal pénal international récemment constitué, le premier organe permanent au monde dont la vocation est de traduire en justice les auteurs de génocides et de crimes contre l’humanité.
Parmi les articles qu’il a récemment publiés figure celui qui décrit comment le TPI a joué un rôle clé dans le démembrement de la meurtrière Armée de résistance du Seigneur en Ouganda coupable, en 20 ans d’insurrection, d’avoir enlevé des milliers d’enfants pour les contraindre à devenir soldats. À la demande du gouvernement ougandais, le TPI a lancé des mandats d’arrêt contre quatre chefs de ce mouvement rebelle qui s’étaient réfugiés au Soudan. Les pressions internationales ont amené le Soudan à lever la protection qu’il accordait aux fugitifs, provoquant ainsi l’effondrement graduel de cette milice illégale.
Alors que le TPI fait de plus en plus figure d’outil puissant pour capturer les criminels de guerre, ses ordonnances ouvrent également de nouvelles possibilités pour la paix. Le Pr Akhavan pense que le TPI et les pouvoirs qui lui sont conférés peuvent jouer un rôle essentiel dans la marginalisation d’extrémistes dangereux. La présence du Tribunal facilite à la fois l’évacuation physique de criminels de guerre et leur stigmatisation sur la scène politique. Cela ménage un espace dans la société victimisée pour la mise en place de plates-formes politiques pacifiques et la résurgence d’une conscience sociale civile.
« Il importe de se centrer sur le rôle que les élites jouent dans la création de ce que je qualifie de “contexte aberrant d’incitation à la haine”», déclare-t-il, « un contexte où les justes sont aspirés dans une spirale de violence et de représailles autoperpétuées. Puisque les chefs politiques exploitent la haine et la violence pour exercer leur pouvoir, nous devons modifier le rapport coûts-rendements et bien leur faire comprendre que le crime ne paie pas et que les répercussions de l’épuration ethnique et du génocide ne seront pas légitimées a posteriori. »
Bien qu’il soit un défenseur infatigable des tribunaux internationaux et du TPI, le Pr Akhavan ne se berce pas d’illusions et demeure réaliste; il sait que la principale force de ces instances tient surtout à leur aptitude à mettre en garde les élites politiques et à les avertir que le génocide ne peut plus être perpétré sans impunité. Aider les victimes à guérir et à avoir le sentiment que justice leur a été rendue est par contre plus complexe et nécessite une certaine dose de participation locale et de sentiment d’appartenance.
« Pour les Rwandais, qui sont nombreux à n’avoir jamais quitté leur village, que le tribunal soit basé en Tanzanie ou à Vladivostok ne fait aucune différence », souligne-t-il. « Justice doit être rendue, mais il faut aussi que ceux qui sont directement concernés en soient témoins. » Les organes internationaux et la société civile, poursuit-il, doivent faire en sorte que justice soit rendue d’une manière qui tienne compte des traditions culturelles locales et des voies d’information. Au Rwanda, où la majorité de la population est illettrée et où les médias sont peu nombreux, il faudrait, pour les besoins de la réconciliation nationale, rassembler par exemple la foule dans un stade de soccer pour qu’elle puisse assister en direct à un procès ou compléter l’action des tribunaux internationaux par des gacaca, lesquels s’apparentent à des tribunaux populaires créés à l’image d’assemblées villageoises.
À la fois indéfectible et pragmatique, l’engagement dont fait montre Payam Akhavan en faveur des droits de la personne lui a permis de transcender les divisions entre les théoriciens idéalistes du droit et les agents du pouvoir du monde réel; grâce à des entretiens en tête-à-tête et à des recherches, il replace la protection des droits de la personne dans un contexte de realpolitik. Une façon de voir qu’il a présentée en octobre 2007 dans le cadre de la Conférence mondiale sur la prévention du génocide qui s’est tenue à McGill. À titre de président de l’événement, le Pr Akhavan a convoqué des personnalités des sphères politique, universitaire et militaire, ainsi que des survivants de génocide pour parler de droits de la personne. Cette conférence exceptionnelle a rassemblé des témoins de première ligne des atrocités perpétrées dans le monde et des décideurs qui, en dépit de leur éloignement, ont les moyens de prévenir de telles violences. La mise sur pied d’un forum a également permis à 35 jeunes leaders de différents pays de débattre, avec des dirigeants, d’un avenir sans génocide. La conférence a débouché sur de multiples initiatives, allant de séminaires de leadership en Éthiopie, à la réforme du mandat des Nations Unies en matière de prévention des génocides.
« L’enjeu est de passer d’une culture réactive à une culture préventive. À ce chapitre, le succès des Nations Unies se mesurera à l’aune de ce qui ne s’est pas produit. »
La Conférence mondiale sur la prévention du génocide a été parrainée par la famille Echenberg.