Par Peter Farbridge et James Martin, avec le concours de Michael Woloschuk
L’intérêt de l’Université McGill pour le Grand Nord date de près d’un siècle. Déjà, J. J. O’Neill, ancien doyen de la Faculté des sciences, faisait partie de l’Expédition canadienne dans l’Arctique de 1914, un effort ambitieux pour cartographier les confi ns du plateau continental et mener des recherches météorologiques, géologiques et biologiques approfondies. Dans le sillage des travaux du Pr O’Neill, les chercheurs de McGill ouvrent en 1954 la Station de recherches subarctiques de McGill (SRSM) à Schefferville (Québec).
Et ce n’est qu’un début.
Wayne Pollard, directeur de la SRAM et spécialiste de longue date des questions polaires, a récemment supervisé le réaménagement des infrastructures implantées sur l’île Axel Heiberg et notamment la remise à niveau de ses capacities scientifiques ainsi que la construction d’une deuxième station moins énergivore à huit kilomètres de distance. (La nouvelle Station de recherché arctiques de McGill fait partie du Réseau canadien de recherche analogue de l’Agence spatiale canadienne axée sur les environnements qui, bien que terrestres, pourraient être utiles à l’exploration spatiale et à l’astrobiologie.) La station de McGill dans le Grand Nord est une base idéale pour tous ceux qui s’intéressent à l’hydrologie du pergélisol et à la biologie des milieux extrêmes. Son expansion témoigne du nombre de plus en plus important de chercheurs de McGill issus de presque toutes les facultés qui se passionnent pour le Grand Nord et ses habitants. Martin Grant, doyen de la Faculté des sciences de McGill, a été témoin de l’intérêt spectaculaire dont l’Arctique fait l’objet depuis ces cinq dernières années. Il y voit là un signe que « le remarquable manqué de curiosité des Canadiens pour le Grand Nord » touche enfin à sa fin.
« Trop souvent, le Canada est assimilé à une ceinture de 150 kilomètres de largeur, en plein milieu du continent nord-américain », fait-il remarquer. « Nos plans de prospérité et d’éducation de nos enfants seraient radicalement différents si cette ceinture avait quelques degrés de latitude plus au sud. Il est tellement courant aujourd’hui d’entendre dire que le Canada doit délaisser la culture du blé au profit de la haute technologie. Mais le même argument pourrait être avancé pour des pays comme le Japon, ou pour n’importe quel pays en réalité. Je suis physicien et par conséquent, je suis tout à fait favorable à la haute technologie, mais je crois qu’il serait bon aussi que le Canada inscrive le Nord dans ses plans d’avenir. Nous devons impérativement tenir compte de nos ressources naturelles. » Dans les pages qui suivent, plusieurs chercheurs de McGill, spécialistes des questions polaires, reviennent sur ce sujet intrinsèquement canadien – et de plus en plus d’actualité.
Je m’intéresse à l’Arctique parce que…
1. « …nous ne pouvons répondre au changement climatique comme nous l’avons fait il y a 4 000 ans. » – André Costopoulos
Lors de la dernière période glaciaire (il y a quelque 20 000 ans), une immense masse de glace recouvrait la majeure partie de l’hémisphère nord, comprimant la croûte terrestre sous son énorme poids. Quand ces glaciers ont commencé à fondre, la croûte sur laquelle ils reposaient a commencé à « rebondir ». Et cela se poursuit de plus belle. Ce phénomène de rebond provoque la hausse du niveau des mers. Au cours d’une vie humaine, il est donc possible de voir reculer la côte de plusieurs kilomètres. « Il y a quatre mille ans, les populations répondaient à ces changements par la mobilité », explique André Costopoulos, professeur adjoint au Département d’anthropologie. « Si la côte reculait, elles reculaient avec. » Le Pr Costopoulos a dirigé des fouilles archéologiques sur la côte de la Baie James et près du cercle polaire en Finlande, découvrant des villages autrefois occupés par plusieurs familles préhistoriques de chasseurs et de cueilleurs. En collaboration avec la Pre Gail Chmura (du Département de géographie), il a réalisé des reconstitutions paléoenvironnementales de la vie de ces populations. Pour le Pr Costopoulos, l’un des intérêts de l’histoire tient aux enseignements qu’elle nous permet de tirer pour construire un avenir meilleur, une entreprise qui pourrait bien nécessiter que l’on réfléchisse autrement à différentes questions comme l’occupation des sols. « Il y a quatre mille ans, si le niveau de la mer montait d’un mètre, cela ne posait pas de problème, car les populations se déplaçaient en conséquence », explique-t-il. « Aujourd’hui, si ce niveau change de quelques centimètres, des millions de personnes sont menacées, comme au Bangladesh, par exemple, parce que nous avons perdu la dimension mobile de notre faculté d’adaptation. Nous devons tous commencer à imaginer des moyens de préserver notre mode de vie, tout en recouvrant la mobilité qui nous permettra de faire face au changement environnemental et de nous y adapter.»
2. «… nous ne pouvons répondre au changement climatique comme nous l’avons fait il y a 4 000 ans.» – Subhasis Ghoshal
Depuis cinq ans, Subhasis Ghoshal, professeur agrégé au Département de génie civil et de mécanique appliquée, mène des expériences afin de préciser comment les bactéries indigènes pourraient être mises au service de la dégradation des hydrocarbures pétroliers présents dans les sols contaminés. Les essais du Pr Ghoshal sont menés sur des échantillons puisés dans une station radar déclassée de détection lointaine avancée, sur l’Île de résolution. En 1957, afin de scruter l’espace aérien nordique à la recherche de missiles soviétiques, l’armée canadienne et américaine ont créé 63 stations de détection lointaine avancée aux abords du 69e parallèle. Cependant, étant donné que les stations devaient recourir au carburant diesel pour tout, notamment pour l’électricité et le chauffage, elles avaient comme effet non délibéré de polluer le sol et l’eau. Depuis la fermeture de ces stations, diverses voix se font entendre pour inciter le gouvernement à rendre les terres aux communautés nordiques mais, il va sans dire, aucune d’entre elles ne souhaite vivre sur une terre possiblement toxique. Les travaux de Subhasis Ghoshal portent sur des bactéries qui, en quelque sorte, « mangent » le gazole résiduel et le transforme en dioxyde de carbone, en eau et en d’autres bactéries.
3. «… Je suis un véritable amoureux de la nature. »– Murray Humphries est professeur agrégé au Département des sciences des ressources naturelles et titulaire d’une chaire de recherche nordique du CRSNG. Le Pr Humphries étudie les liens entre l’environnement, la faune et les populations. « Lorsqu’un chasseur du Grand Nord tue un caribou à mi-chemin d’une migration qui s’étend sur 1 000 kilomètres, explique-t-il, je cherche à savoir d’où vient ce caribou et où il allait. » Pour l’heure, Murray Humphries étudie la taille et la structure de la population de narvals de l’Île de Baffi n.
S’il n’est pas le premier à étudier les propriétés pétrolivores des bactéries, le Pr Ghoshal innove néanmoins en affinant ce processus au froid. Grâce à une chambre froide financée par la FCI, qui se trouve dans les Laboratoires intégrés Benedek du Département de génie de l’environnement de McGill, il peut programmer des températures identiques aux températures moyennes de l’Île de résolution. « Nous avons découvert que la température est un facteur très sensible qu’il faut absolument prendre en considération », explique-t-il. Les propriétés de ces bactéries ne changent pratiquement pas lorsque la température fluctue entre 20 et 22 degrés Celsius, mais le même écart de température dans un intervalle compris entre huit à six degrés Celsius change tout. En collaboration avec Lyle Whyte, professeur adjoint au Département des sciences des ressources naturelles de McGill, Subhasis Ghoshal a découvert que l’enrichissement du sol en azote et en phosphore augmente considérablement la productivité des bactéries. (Les sols de l’Arctique sont naturellement pauvres en nutriments comme l’azote et le phosphore; en raison de la quasi-absence d’arbres, il y a en effet très peu de matière biologique en cours de dégradation dans les sols.) De fait, il a découvert qu’à la fi n du très court été arctique, il est possible de charger le sol en nutriments divers pour augmenter de 25 pour cent la biodégradation au cours des dix mois suivants. « En retournant sur le site au printemps venu, on constate que la situation s’est améliorée. » En plus de permettre l’assainissement des zones contaminées, cette technologie pourrait être appliquée aux marées noires de grande ampleur. Bien que fort complexe, il s’agit d’un sujet qu’on ne peut ignorer, compte tenu de l’intensification de l’exploration pétrolière dans le Grand Nord. « Il nous faut trouver les moyens de contenir et d’affronter ce type de risque. »
4. «…les Inuits sont des citoyens canadiens. » – George Wenzel
Chaque année depuis 1971, George Wenzel rend visite à la communauté de Clyde River sur l’Île de Baffi n – et les innombrables photos qui ornent le mur de son bureau témoignent des liens d’amitié profonds qu’il a noués avec les Inuits du Grand Nord. Professeur de géographie culturelle au Département de géographie de McGill, il a consacré sa carrière à l’étude de l’économie de la chasse et à la manière dont les institutions traditionnelles inuites favorisent les flux d’argent entre ceux qui le génèrent et ceux qui en ont besoin. Au fi l des années, il a constaté à quel point la chasse était affectée par le changement climatique, parfois pour le mieux (une saison des glaces plus courte prolonge la saison de la chasse en bateau), parfois pour le pire (fréquence et intensité accrues des tempêtes). Mais George Wenzel considère les Inuits comme des spécialistes « de la résolution de problèmes » et comme un peuple « extraordinairement pragmatique. Partant du principe que le changement est constant, les Inuits estiment qu’ils trouveront les moyens de s’y adapter, comme ils l’ont toujours fait. » Le Pr Wenzel se préoccupe davantage de leur avenir économique, car dans les collectivités où le taux de chômage frise les 30 à 35 pour cent, il est vrai que l’argent est une denrée rare.
« Pour moi, l’environnement recouvre un large éventail de notions, dont celles de gouvernement, explique-t-il. Les emplois sont attribués aux centres régionaux par Ottawa, lesquels les relaient aux collectivités éloignées. Or, plus l’on s’éloigne, plus la manne se réduit. Cela soulève de vraies questions, car la chasse est impossible sans flux d’argent. La chasse coûte cher parce que son équipement coûte cher. Pourtant, cet équipement est nécessaire. Ainsi, à Clyde River, il faut trois heures à une équipe en traîneau à chiens pour se rendre sur un site de chasse aux phoques alors qu’en motoneige, il ne faut qu’une heure. Il est alors plus facile et surtout plus efficace de partir chasser le phoque en motoneige pour le partager ensuite. »
George Wenzel a plusieurs fois conseillé des agences gouvernementales et des organismes inuits. Ses recherches ont à ses yeux « des répercussions potentiellement sérieuses » pour les politiques, comme celles relatives à la sécurité alimentaire ou à l’aide aux chasseurs, ou encore celles qui favorisent une économie basée sur les salaires au détriment du système traditionnel de partage des Inuits. « Ce qui peut paraître éloigné, comme la décision du Parlement européen au sujet de la vente de peaux de phoque en Europe, peut avoir des conséquences importantes sur la vie des Inuits », explique-t-il. « Vivre dans le Nord coûte cher, et ce coût a considérablement augmenté. »
5. « si l’état de santé de l’Arctique préfigurait celui de la planète? Il est peutêtre trop tard pour la banquise arctique, mais pas pour d’autres régions. » –Bruno Tremblay
Sportif aguerri, Bruno Tremblay est fait pour le travail de terrain qui caractérise son travail : monter des campements à côté de bateaux de recherche pris dans les glaces de la mer de Beaufort ou encore, sauter d’un hélicoptère pour installer des bouées sonar dans les glaces de la baie Resolute. « Pour de nombreuses personnes, le Grand Nord est source d’anxiété et de désolation. Moi, j’y trouve le calme absolu. »
6. «… Les populations du Grand Nord sont de plus en plus exposées aux maladies cardiovasculaires et au diabète de type 2. »– Grace Egeland, est chercheuse au Centre d’études sur la nutrition et l’environnement des peuples autochtones de l’École de diététique et de nutrition humaine du campus Macdonald de l’Université McGill et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en environnement, en nutrition et en santé. En 2007 et 2008, dans le cadre de l’Année polaire internationale, elle a sillonné les côtes du Nunavut, des Territoires du Nord-Ouest et du Nord du Labrador en brise-glace de la Garde côtière canadienne et participé à une étude sur la santé de 36 collectivités inuites. Cette étude était le prolongement d’une recherche comparable menée en 2004 par Éric Dewailly de l’Université Laval. Les résultats de l’enquête de 2007-2008 intitulée Qanuqitpit? Qanuippitali? Kanuivit? (que l’on peut traduire par « Que dire de nous? Comment nous portons-nous? » en trois dialectes inuktituts) ont été publiés au printemps 2011.
Qu’il s’agisse de la fonte de la calotte glacière ou de l’étude du pergélisol de l’Arctique eurasien en Russie et des algues qui colonisent la banquise, le Pr Bruno Tremblay (Département des sciences atmosphériques et océaniques) s’intéresse à tout ce qui touche à l’Arctique.
En 2006, il a fait la une de l’actualité en cosignant un rapport annonçant la disparition probable de la banquise arctique dès 2040. Ce rapport prévoyait un déclin régulier, suivi d’un brusque plongeon et le maintien d’une petite portion de la glace pérenne arctique sur la côte nord du Groenland et du Canada durant les mois d’été. Cette étude très médiatisée a permis de sensibiliser le public à l’urgence de la situation.
Et puis 2007 est arrivé. Cet été-là, le niveau de l’océan Arctique est tombé à son plus bas niveau historique. Même le Pr Tremblay en a été choqué. « Lorsque j’ai vu ce qui s’était passé cette année-là, j’ai compris que notre modèle était un peu conservateur. Nous pouvons faire confiance à la physique, mais pas aux délais. »
La glace présente l’été dans l’océan Arctique s’est quelque peu reconstituée ces trois dernières années, mais uniquement en surface, car son épaisseur ne cesse de diminuer.
En attendant, le Pr Tremblay poursuit ses travaux. « Ceux qui mettent en doute le changement climatique se plaignent de ce que nos modèles ne permettent pas de prédire avec précision la rapidité du changement. 2007 a prouvé que les modèles peuvent se tromper, mais surtout qu’ils peuvent se tromper dans les deux sens. »
7. « … sauver les écosystèmes de l’Arctique pourrait infléchir le changement climatique à l’échelle planétaire. » – Jeff McKenzie
« Au grand désespoir de ma famille, plaisante Jeff McKenzie, mes recherches se déroulent à haute altitude et dans les régions les plus au nord. » Depuis dix ans, l’affable jeune professeur adjoint du Département des sciences de la Terre et des planètes passe en effet le plus clair de son temps à chercher comment simuler le transport de l’eau et de la chaleur dans le pergélisol et les tourbières du Grand Nord.
Mais heureusement pour sa famille, le Pr McKenzie est surtout un explorateur « virtuel ».
« Les modèles informatiques sont très utiles pour essayer de comprendre les systèmes difficilement accessibles. Ce type de recherche est en effet difficile à réaliser dans l’Arctique. Non seulement il y fait très froid, mais l’acheminement du matériel coûte aussi très cher. »
Le Pr McKenzie travaille actuellement sur un modèle qui pourrait changer à tout jamais nos connaissances des tourbières gelées. Ce modèle, baptisé SUTRA 3.0, est en fait une mise à niveau d’un modèle antérieur du nom de SUTRA (Saturated-Unsaturated TRAnsport/transport en zone saturée et non saturée). Au moyen d’une interface visuelle très simple, un algorithme informatique décrit le transport de l’eau et de la chaleur dans le sol, mais avec un plus : « Le nouveau modèle est identique au précédent, mais il tient également compte du facteur gel, explique Jeff McKenzie. Personne n’y avait pensé avant. Dans un certain sens, c’est un peu de l’exploration… »
Ce modèle pourrait être utile pour résoudre un des mystères du Grand Nord : la disparition des lacs.
Depuis 30 ans, des milliers de lacs des régions les plus au nord s’assèchent lentement. Une étude terminée en 2005 par une équipe américaine a notamment révélé qu’un territoire de 500 millions d’hectares en Sibérie avait perdu 11 pour cent de ses lacs (soit 125 lacs) et 6 pour cent de son eau de surface.
Le Pr McKenzie étudie l’un des possibles responsables de ce phénomène, à savoir les trous qui se forment dans le pergélisol du nom de « taliks ». « Nous pensons que l’eau des lacs fait fonction d’isolateur et que le réchauffement du fond des lacs accélère le dégel du pergélisol et permet à l’eau de s’infiltrer dans le sol. »
Avec le réchauffement climatique, la ligne de gel du pergélisol est repoussée toujours plus au nord. L’avenir des lacs du Grand Nord augure mal. La disparition de l’eau de surface pourrait avoir un impact considérable sur l’ensemble de l’écosystème. L’étude américaine menée en Sibérie met d’ailleurs en garde contre le risque accru de feux, de perte des habitats ornithologiques et de changements dans les systèmes atmosphériques.
« Nous espérons que ce modèle nous permettra de déterminer si les lacs disparaissent à cause du réchauffement ou à cause de l’amincissement du pergélisol et de son dégel, explique le Pr McKenzie. Si nous pouvons répondre à cette question, nous devrions pouvoir mieux prédire et comprendre la disparition des lacs et son impact sur l’hydrologie arctique. »
9. « … le dégel du pergélisol pourrait libérer une grande quantité de dioxyde de carbone dans l’atmosphère et les oceans. » – Wayne Pollard
Wayne Pollard étudie l’Arctique depuis 35 ans. Tout a commencé par une exploration de prospection d’or lorsqu’il était étudiant de premier cycle en géologie. Aujourd’hui, il dirige les stations de recherche arctiques et subarctiques de McGill. Son attachement pour l’Arctique en tant que Canadien et scientifique est profond : « L’Arctique est le symbole du “vrai Nord, fort et libre”, explique-t-il, et c’est aussi l’environnement le plus vulnérable de notre planète. »
Ses recherches portent sur la dynamique des paysages de pergélisol et de glaces et il passe habituellement trois ou quatre mois par an dans le Grand Nord, y compris pendant l’hiver. « Pour bien comprendre les systèmes dominés par les températures froides, il convient de les observer sur place. » Ses travaux ont permis de mieux comprendre les différents phénomènes cryogéniques et cryo-hydrologiques propres au pergélisol, aux glaces terrestres et aux nappes souterraines d’eau froide salée. En étudiant le pergélisol et en modélisant les effets que le changement climatique peut avoir sur sa configuration, il espère pouvoir répondre à trois grandes questions : Jusqu’à quel point le paysage va-t-il changer? Quelle est la quantité de méthane et de dioxyde de carbone (les deux principaux gaz à effet de serre) prisonnière des matières organiques gelées? Et puisque de plus en plus de carbone est relâché dans l’atmosphère sous l’effet du dégel, jusqu’à quel point les écosystèmes vont-ils changer?
« Lorsqu’on parle de l’Arctique, on pense le plus souvent à la vulnérabilité de la culture inuite ou de la faune face au changement climatique, explique-t-il, mais les plus menacés sont sans doute les écosystèmes terrestres et marins dominés par le pergélisol et les glaces. En tant que géologue et géomorphologiste, je me préoccupe des changements permanents qui se produisent à la surface terrestre et des processus qui l’affectent. Le reste est davantage du ressort de l’adaptation : les ours polaires se déplaceront plus au Nord, les Inuits modifieront leurs habitudes de vie. La terre ne s’adapte pas, elle se contente de répondre. »
10. « …c’est une étendue sauvage recelant des trésors géologiques à découvrir. » – Don Francis
Peu de chercheurs ont des liens aussi étroits avec l’Arctique que Don Francis, professeur au Département des sciences de la Terre et des planètes. La fascination que les récits des premiers explorateurs du pôle, comme Amundsen, Franklin et Peary, a exercée sur lui pendant l’enfance n’est nullement étrangère à son choix professionnel et à sa volonté de passer le plus de temps possible au nord du 60e parallèle. « Ce qui me fascine dans l’Arctique, c’est la solitude, explique-t-il. Cette solitude peut être dangereuse, mais l’Arctique est l’un des rares espaces où il est encore possible de reprendre contact avec la simplicité. »
11. « … au cours des vingt dernières années, l’Arctique a beaucoup changé, et ce, pratiquement à tout point de vue. » – Marianne Stenbaek, professeure au Département d’anglais. De concert avec le Conseil circumpolaire inuit (CCI), Marianne Stenbaek actualise la Politique arctique inuite pour mieux tenir compte des idées et préoccupations des populations nordiques, notamment à l’égard de la souveraineté, du développement des ressources, du changement climatique et de l’éducation. Le CCI représente les populations inuites de l’Alaska, du Nunavut, du Chukotka (Russie) et du Groenland.
Le Pr Francis a de nombreuses anecdotes à raconter, notamment des moyens à déployer pour se protéger des ours polaires à l’aide de boules à mites et de la navigation entre les glaces flottantes. Mais c’est au cours d’une expédition à Anse Porpoise, dans la baie d’Ungava, que Don Francis a vécu une aventure qui, d’un point de vue géologique, est passablement plus trépidante qu’un tête-à-tête avec un ours polaire. Avec l’équipe de recherche à laquelle il prenait part aux côtés du doctorant Jonathan O’Neil, de Richard W. Carlson de l’Institut scientifique Carnegie et de Ross K. Stevenson de l’Université du Québec à Montréal, le Pr Francis espérait recueillir des données sur des roches vertes de Nuvvuagittuq de 3,8 milliards d’années. L’équipe a plutôt découvert des roches de 4,3 milliards d’années, d’à peine 300 millions d’années de moins que la formation de la Terre. Ces échantillons sont en fait les roches les plus anciennes jamais découvertes sur Terre et contiennent des données d’une valeur indescriptible quant à la naissance de la planète.
La constitution chimique de ces roches anciennes a permis aux géologues de reconstruire la formation de la Terre. « La ceinture de roches vertes de Nuvvuagittuq abrite de fines bandes riches de fer et de silice typiques des roches que l’on trouve dans les sources hydrothermales. Non seulement ces données indiquent-elles la présence d’océans lors de la formation de la Terre, mais elles permettent de soutenir fortement la théorie voulant que les évents hydrothermaux aient abrité les premières formes de vie terrestre. »
Les initiatives de recherche décrites aux pages suivantes sont financées par diverses sources dont : ArcticNet, la Fondation canadienne pour l’innovation, les Instituts de recherche en santé du Canada, le Programme du plateau continental polaire du Canada, les chaires de recherche du Canada, l’Agence spatiale canadienne, les Alliances de recherche universités-communautés, le Programme d’étude de l’atmosphere et des écosystemes boréaux de la Fondation européenne de la science, l’Académie finlandaise, le Fonds de recherche sur la nature et les technologies, le Fonds de recherche sur la société et la culture, le gouvernement du Nunavut, Santé Canada, le ministere des Aff aires indiennes et du Nord canadien, le Centre de recherche en santé inuite Nasivvik, la Fondation nationale des sciences des États-Unis, le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada et le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada.